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Abdallah Al-Sennawi : Ce dialogue ne doit être ni un procès, ni une acclamation des politiques en place

Samar Al-Gamal , Mercredi, 08 juin 2022

Abdallah Al-Sennawi, éditorialiste et analyste politique, revient sur les enjeux du dialogue politique auquel a appelé le président de la République.

Photos : Ahmed Refaat
Photo : Ahmed Refaat

Al-Ahram Hebdo : Depuis l ’appel   lancé par le président Sissi à   un dialogue politique global,   les spéculations vont bon train   quant aux raisons de cet appel. Quelle est   votre interprétation ?

Abdallah Al-Sennawi : L’idée du dialogue   national n’est pas nouvelle en Egypte.   Historiquement, on a toujours vu des dialogues   dans les moments de crise. Nasser a appelé au   dialogue après la dissolution de l’unité égyptosyrienne   en 1961, dans le cadre de ce qu’on   appelait à l’époque la « Conférence nationale   des forces populaires ». C’était en grande   partie un dialogue démocratique qui a abouti   à un débat entre Nasser et le penseur islamiste   Khaled Mohamad Khaled. La Charte nationale   a été rédigée sur la base de ces discussions   et a été adoptée en tant que guide du projet   socialiste. A l’époque de Sadate, l’idée des   Dialogues d’Octobre a émergé immédiatement   après la guerre de 1973. Sadate voulait changer   les politiques en place, surtout en ce qui a trait   aux relations avec les Etats-Unis. Il voulait   s’ouvrir sur l’Occident et lancer la politique   d’ouverture économique.

Et sous Moubarak, il y a eu plusieurs   dialogues. Le premier était une sorte de   conférence économique, et ce fut une   expérience très réussie. Tous les économistes   égyptiens y avaient participé et le dialogue   était un message positif, mais ses résultats   n’ont pas été appliqués. En 2005, un nouveau   dialogue, politique cette fois-ci, a eu lieu au   parlement, mené par Safwat Al-Chérif, Kamal   Al-Chazli et Fathi Sorour avec les chefs des   partis. Il s’agissait pour Moubarak d’ouvrir la   voie de la succession à son fils. Quelles que   soient les intentions, l’idée du dialogue envoie   un message positif. Le jugement est laissé   à l’histoire et nous voulons que ce nouveau   dialogue soit réussi et ses résultats mis en   oeuvre.

Vous dites que les dialogues   interviennent dans les moments de crise. Ce   principe s’applique-t-il à ce dialogue ?

— Le problème est — et je l’ai dit devant les   chefs des partis — que certains croient à tort   que le dialogue accompagne nécessairement   une crise qui menace le pouvoir. Au contraire,   il reflète la solidité du régime et sa volonté de   se rectifier. Si certains sont convaincus qu’il   n’y a pas de crise, pourquoi et de quoi allonsnous   discuter ? La crise touche tout le pays. La   société est en crise, par exemple, avec des taux   élevés de criminalité. Il y a une crise morale et   comportementale dans la rue. Il y a une guerre   en Ukraine et d’autres problèmes ont surgi   dans les pays du tiers-monde. Le Sri Lanka   est en faillite, le Liban est au bord de la faillite   et l’Egypte connaît une crise économique qui   pourrait avoir des répercussions sociales ou   générer un état de chaos. Et c’est le premier   déclencheur de cette invitation.


Photo : Ahmed Refaat

Je   ne pense pas que les politiciens   aient un grand rôle dans de pareilles   situations, mais leur présence sur la   scène donnera l’impression que la   situation peut être corrigée et que   la politique en place peut être revue   parce que personne ne veut le chaos.   Nous voulons que le pays trouve des   solutions à ses problèmes et crée une   ambiance positive.

— Mais officiellement, on ne parle   pas de crise …

— Il est vrai que l’invitation ne   mentionne pas le mot crise, mais par la   logique des choses et selon les rapports   internationaux, nous avons un dilemme   économique et la démarche la plus raisonnable   est de le reconnaître et de lancer un dialogue   avec les spécialistes. Le gouvernement s’est   empressé de prendre des mesures   économiques stratégiques avant   le dialogue et je pense que c’était   une erreur. Nous aurions pu   commencer par une réunion qui   regroupe 20 à 30 économistes de   toutes les tendances pour définir   un certain nombre de points-clés,   comme la suspension temporaire   des projets d’infrastructure dont le coût est   élevé. Nous ne discutons pas de leur faisabilité   ou de leur importance, mais plutôt d’une   suspension temporaire pour diriger l’attention   vers l’industrie, l’agriculture et l’autosuffisance   et former une vision collective.

— Mais c’est un dialogue politique et non   pas économique ...

— Deux enjeux majeurs constituent le   thème principal du dialogue. Le premier est la   crise économique et l’élaboration d’une feuille   de route pour la surmonter, et le deuxième   est la réforme politique avec une vision   d’ouverture de la sphère publique, des médias,   l’abolition de la loi sur la détention provisoire,   la libération des jeunes détenus et la grâce   présidentielle pour ceux dont les mains ne sont   pas entachées de sang. Je pense qu’il est dans   l’intérêt du pays et dans l’intérêt général que   cette grâce prenne toute son ampleur, et selon   mes informations, il y a plus d’un millier de   noms sur les listes de libération, dont 250   subissent un examen plus approfondi. Ce sont   des préludes au dialogue.

Quel intérêt pour les autorités   d’organiser un dialogue politique ?

— Parce qu’il y a des gains directs et   indirects. D’abord, le président n’a jamais,   au fil des années, déclaré qu’il était un   homme politique, et il s’agit   donc d’une correction positive   de la définition, car le poste de   président de la République, selon   la définition constitutionnelle, est   le poste politique le plus élevé.   Puis, on voit que les gens ont   commencé à parler du dialogue   et on en parle à la télévision,   alors on a commencé à sortir de l’impasse.   Ce dialogue ne doit être ni un procès du   système en place, ni une acclamation de ses   politiques, nous voulons discuter de la manière   de sauver le pays et d’arrêter toute éventuelle   détérioration, à condition que l’on fasse   preuve de sérieux, sans idéalisme, pessimisme   ou optimisme. Ce dialogue est un appel à   une cohésion nationale dans le contexte des   crises régionales, économiques et sociales, et   c’est un appel acceptable. Ainsi, des mesures   spécifiques qui se reflètent sur la vie des gens et   donnent confiance en l’avenir sont nécessaires.

— Comment le dialogue sera-t-il mis en   oeuvre ?

— Presque toutes les forces politiques ont   accepté l’appel, y compris celles à l’étranger.   Personne ne s’est opposé au principe. Les   invités sont les forces civiles ou les forces   du 30 Juin. Les Frères musulmans sont   complètement en dehors de ce dialogue. La   chose la plus importante maintenant est de   faire en sorte que l’Académie nationale, où   se tiendra le dialogue, accueille et   ne dirige pas le dialogue, qu’elle   ne fournisse que des services   logistiques.

— Cette question a-t-elle été   discutée ?

— Oui, l’académie assurera les   services logistiques car l’importance   du dialogue est qu’il se déroule   à l’invitation du président. Nous   proposons la formation d’un   secrétariat pour le dialogue, auquel   participent l’opposition et le   gouvernement.

— Et qui le dirigera alors ?

— Un secrétaire général. Il doit s’engager   à mettre en oeuvre les résultats du dialogue.   Il doit avoir la confiance du président et être   en même temps respecté par l’opposition. J’ai   proposé un nom que je préfère garder anonyme   pour le moment.

— Pensez-vous que l’opposition détienne   certaines cartes de pression ?

— Il peut y avoir des réserves, mais   personne n’a refusé par principe et c’est un   moment rare. C’est un point de départ idéal et   une opportunité pour le pays et le régime.

— Pensez-vous que les partis engagés dans   ce dialogue aient de quoi faire contrepoids ?

— Nous n’avons pas de vie politique. Nous   avons des pseudo-partis. C’est comme des   aliments périmés ... et les nouveaux partis   regroupent des cadres anciens et les partis   loyalistes ne voient pas qu’il y a un problème   du tout. A l’exception de deux ou trois partis ou   quelques noms, il n’y a pas d’élite politique, il   y a un semi-vide et le dialogue peut changer   la donne. Ainsi, à la question de savoir qui   peut diriger le dialogue, il faut savoir que   par le passé, il y avait une personne au sein   du système qui avait la capacité de mener   de tels dialogues. Aujourd’hui, nous avons   d’excellents technocrates au gouvernement,   mais qui n’ont aucune expérience politique et   c’est un problème. Nous voulons renouveler   les partis et également tester les jeunes qui   ont été formés à l’Académie nationale pour   savoir s’ils possèdent le calibre politique   nécessaire pour l’avenir ou non. Je pense que   la formation des cadres politiques a besoin de   grands incubateurs, que ce soit des partis, des   unions estudiantines ou des syndicats, et cela   fait défaut.

— Qu’en est-il de l’ordre du jour et du   calendrier du dialogue ?

— Des consultations sont en cours.   L’Etat discute avec les chefs des partis qui   présenteront des documents sur leur vision, et   tout cela doit se cristalliser dans un document   de travail. Nous verrons, je ne veux pas   préjuger des suites.

— Qu’est-ce qui garantit la réussite du   dialogue ?

— La libération de tous les détenus   politiques signifiera que le dialogue a réussi   avant de commencer. Aucun pays ne peut   se passer de sa sécurité et il ne peut pas non   plus rivaliser avec son avenir, sa jeunesse.   Le pays doit se calmer et se débarrasser de   l’accumulation des doutes et peurs qui existent   depuis la Révolution de janvier.

— Qu’est-ce qui pourrait, au contraire,   mener à son échec ?

— Franchement, nous sautons à la perche   dans un champ de mines. Il y a ceux à   l’intérieur et à l’extérieur du régime qui ne   veulent pas qu’un tel dialogue ait lieu du tout,   mais ils ne peuvent pas s’opposer à l’invitation   du président. La scène du président saluant   Hamdine Sabahi n’a pas plu à beaucoup et il y   a un secteur qui pense que parler d’une réforme   ou d’un ajustement revient à remettre en doute   le pouvoir. Cette vision entrave tout dialogue.   Ce n’est pas une tâche facile et elle nécessite   de la patience, de la franchise et le fait de ne   pas s’empresser de voir les résultats .

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