Washington tente de retourner une opinion publique et un Congrès sceptique face au recours à la force. (Photo : AP)
Faut-il croire le secrétaire d’Etat américain John Kerry, lorsqu’il déclare que « les Etats-Unis, le président Obama, moi-même et d’autres sommes d’accord pour dire que la fin du conflit en Syrie requiert une solution politique » ? Quelle crédibilité a le chef de la diplomatie américaine en disant qu’il « n’y a pas de solution militaire, nous n’avons aucune illusion à ce propos » ? Quelle crédibilité alors que M. Kerry a fait ces déclarations lundi dernier à Londres, dernière étape de son offensive diplomatique en Europe visant à justifier des frappes contre la Syrie accusée d’avoir perpétré un massacre à l’arme chimique ?
Une offensive qui semble porter ses fruits. Alors que les Etats-Unis ont gagné le soutien de la France, le chef de la diplomatie britannique, William Hague, a assuré son homologue américain du « soutien diplomatique total du Royaume-Uni » aux Etats-Unis dans leur projet d’action militaire contre la Syrie. Un soutien qui ne risque cependant pas de se traduire en une participation britannique à d’éventuelles frappes, en raison du refus du Parlement.
Aujourd’hui, l’enjeu est de taille pour les Etats-Unis : à l’étranger, il s’agit de recueillir le plus de soutiens possibles afin de donner une sorte de légitimité à une éventuelle frappe. A l’intérieur du pays, il s’agit de retourner un Congrès et une opinion publique sceptiques face au recours à la force en Syrie. Et l’Administration Obama, sur le front intérieur comme à l’international, a jeté toutes ses forces dans cette bataille. Conscient de jouer à la fois de la crédibilité des Etats-Unis et de sa propre présidence, Barack Obama a lancé lundi dernier une offensive tous azimuts pour convaincre les élus républicains et démocrates du bien-fondé d’une nouvelle intervention militaire. Au Sénat, le débat sur la résolution autorisant l’usage de la force, déjà adoptée en commission, n’a formellement commencé que mardi. Un premier vote important pourrait intervenir dès ce mercredi. Mais rien n’est encore sûr. A l’heure actuelle, la résolution prévoit une durée limite de 60 jours, prolongeable à 90 jours, et l’interdiction de troupes au sol dans le but d’opérations de combat. Du côté de la Chambre des représentants, les dirigeants républicains n’ont pas annoncé de calendrier précis, se contentant de prévoir un vote « dans les deux semaines ».
Damas « prêt à négocier »
Pendant ce temps, le président syrien Bachar Al-Assad continue de nier « avoir quelque chose à voir dans cette attaque » chimique. Et la Russie continue de soutenir le régime de Damas. A quelques heures de l’ouverture de la session du Congrès, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, recevait à Moscou son homologue syrien, Walid Mouallem. Tous deux ont affirmé que la Syrie était toujours prête à participer à des négociations de paix. « Une solution politique est encore possible », a déclaré Sergueï Lavrov lors d’une conférence de presse à l’issue de ces pourparlers, affirmant que Damas était toujours « prêt à des négociations de paix ». « Nous sommes en effet prêts à participer à une rencontre à Genève sans conditions préalables », a renchéri Walid Mouallem, faisant allusion à l’organisation d’une nouvelle conférence internationale de paix dont l’idée avait été proposée en mai par Moscou et Washington, mais qui est restée lettre morte en raison des tensions russo-américaines. « Nous sommes aussi prêts au dialogue avec toutes les forces politiques syriennes qui veulent le rétablissement de la paix dans notre pays », a-t-il ajouté. Mais il a averti que la position du régime syrien changerait en cas de frappes.
Sergueï Lavrov a par ailleurs mis en garde contre l’« explosion de terrorisme » au Moyen-Orient que provoqueraient, selon lui, des frappes contre le régime syrien. Pour Moscou comme pour Washington, l’enjeu est de taille. Pour la Russie, l’alliance avec Damas est un héritage de la Guerre froide : Moscou conserve une base navale à Tartous, « offerte » en 1971 par Hafez Al-Assad. Un pied à terre en Méditerranée pour la flotte russe. Assad demeure un client fidèle, qui achète pour 1,5 milliard de dollars par an d’armes russes. L’alliance avec Damas (et indirectement avec Téhéran) permet enfin au président russe, Vladimir Poutine, de peser dans la région. Pour les Etats-Unis, la Syrie n’est en apparence pas aussi vitale. Mais les Américains la considèrent du point de vue de la sécurité d’Israël, comme un axe majeur de leur politique étrangère. Pour Washington également, punir Assad, c’est donner un avertissement à l’Iran et à ses ambitions nucléaires.
Iran et Iraq, alliés malgré eux
La République islamique d’Iran tente d’obtenir des soutiens régionaux contre une action militaire en Syrie, notamment auprès de son voisin iraqien. Mais l’éventuelle intervention américaine met Bagdad mal à l’aise. Pour son premier voyage à l’étranger depuis sa nomination en août dernier, le nouveau ministre iranien des Affaires étrangères, Mohammad Javad Zarif, s’est rendu dimanche dernier en Iraq. Autrefois ennemis (une guerre meurtrière a opposé les deux pays entre 1980 et 1988), l’Iran et l’Iraq, deux ténors du chiisme dans la région, sont aujourd’hui obligés de s’allier, malgré des points de discorde non réglés depuis des années. Cette fois-ci, ils se retrouvent face à un objectif commun : contrer la guerre qui se prépare contre le régime syrien. « Ce voyage a pour but de rapprocher nos points de vue sur les questions bilatérales et régionales », a déclaré Mohammad Javad Zarif. L’Iran et l’Iraq « partagent les mêmes inquiétudes concernant un nouveau conflit en train de naître dans la région », a-t-il ajouté.
Lors d’une conférence de presse avec Hoshyar Zebari, son homologue iraqien, le ministre iranien, interrogé par un journaliste qui lui a demandé si en cas d’intervention américaine contre la Syrie, la République islamique prendrait pour cible les intérêts des Etats-Unis en Iraq, a déclaré que l’Iran ne ferait jamais rien contre les intérêts nationaux de son voisin iraqien. « Je suis porteur de messages d’amitié et de fraternité des dirigeants et du peuple iranien aux hauts responsables iraqiens et au peuple d’Iraq », a-t-il souligné. Et d’ajouter : « L’Iran et l’Iraq ont des relations très étroites, qui s’appuient sur les affinités historiques et culturelles entre les deux pays. Nous considérons la stabilité et la sécurité de l’Iraq comme des éléments de la sécurité nationale de la République islamique d’Iran ».
L’Iran est donc venu courtiser son voisin afin d’obtenir des soutiens régionaux contre la guerre que les Etats-Unis entendent mener. Mais si la position de l’Iran, principal soutien de la Syrie dans la région et ennemi déclaré des Etats-Unis, est claire depuis le début de la crise, celle de l’Iraq est plus ambivalente. Pays à majorité chiite, l’Iraq est aussi un allié de Washington. Bagdad a donc longtemps cherché à éviter de prendre publiquement position sur le conflit. Un conflit qui a pourtant, à plusieurs reprises, débordé sur sa longue frontière avec la Syrie. Sans soutenir ouvertement le président syrien Bachar Al-Assad, l’Iraq a opté pour une positon médiane, se contentant d’appeler à une solution pacifique à la crise : « Nous oeuvrons avec toutes les parties, en insistant sur une solution pacifique pour la Syrie, et nous avons discuté avec plusieurs membres de la Ligue arabe de la nécessité de trouver un compromis pacifique », a déclaré Hoshyar Zebari. Auparavant, le premier ministre iraqien, Nouri Al-Maliki, avait fait part de son opposition à une intervention militaire étrangère en Syrie, tout en annonçant l’état d’alerte pour parer à d’éventuelles retombées de la crise dans son pays.
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