« A l'occasion de la reconnaissance par les Etats- Unis de l’indépendance de l’Egypte, je vous souhaite, en mon nom et au nom du peuple américain, la bienvenue dans la famille des nations libres ». Cette lettre adressée le 26 avril 1922 par Warren Harding, président des Etats-Unis de 1921 à 1923, au roi Ahmad Fouad marque le début des relations diplomatiques entre l’Egypte et les Etats- Unis. Au cours de la visite du ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukri, à Washington la semaine dernière, le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, a présenté une copie de cette lettre comme « un cadeau à l’Egypte » pour commémorer le centenaire des relations entre les deux pays. En fait, les relations entre les deux pays remontent à plus loin. Les Etats-Unis ont ouvert leur premier consulat en Egypte à Alexandrie en 1832 sous le règne de Mohamad Ali pacha.
Mais comment sont ces relations ? Selon Ahmed Sayed Ahmed, spécialiste des affaires américaines à Al-Ahram, elles sont passées par plusieurs phases marquées par des hauts et des bas sans pour autant réduire à aucun moment l’importance centrale des relations. La première étape commence de 1922 jusqu’à 1945. Au cours de cette période, l’Egypte, placée sous protectorat britannique, n’avait pas de politique étrangère claire envers l’Amérique, alors que les Etats-Unis n’étaient pas impliqués dans les questions et les interactions internationales. Dans une autre phase, sous le règne de Nasser, les relations étaient conflictuelles après que les Etats- Unis avaient rejeté toutes ses demandes, soit d’approvisionner l’Egypte en armes, de financer la construction du barrage ou d’abolir le Pacte de Bagdad vu par l’Egypte comme un facteur de division du monde arabe. En riposte, Nasser a annoncé la nationalisation du Canal de Suez. Cette controverse a atteint son summum quand l’Egypte a décidé de rompre les relations diplomatiques à cause du soutien américain à Israël dans son agression contre l’Egypte, le 5 juin 1967.
Plusieurs phases
Contrairement à l’époque de Nasser, Anouar Al-Sadate, a décidé de passer de l’alliance avec l’Union soviétique à une alliance avec Washington, marquant ainsi « un tournant stratégique » dans les relations. Cette alliance s’est confirmée après la signature en 1979 du traité de paix avec Israël. Depuis lors, l’Egypte est devenue un principal allié des Etats- Unis dans la région. Sadate a justifié le changement d’alliance vers les Etats-Unis par cette phrase célèbre : « Les cartes du jeu sont entre les mains des Etats-Unis ». Autre phase. Arrivé au pouvoir en 1981, le président Hosni Moubarak avait le souci de suivre la même approche de son prédécesseur. A son époque, les relations égypto-américaines sont restées amicales, avec parfois quelques divergences dans les points de vue. En 2001, les relations bilatérales ont connu une tension évidente, lorsque l’Administration Bush a adopté l’idée de la propagation de la démocratie au Moyen-Orient. La Révolution du 25 Janvier est venue pour entamer une nouvelle phase. Au début de la révolution, l’attitude américaine était hésitante, avant qu’Obama ne demande à Moubarak de renoncer au pouvoir. Les réactions américaines vis-à-vis de la Révolution du 30 Juin ont été variées.
Selon Ahmad Youssef, le président Abdel-Fattah Al-Sissi, depuis son investiture à la présidence en 2014, a réussi à « rétablir l’équilibre » dans les relations égypto-américaines, c’est-à-dire que « l’Egypte est engagée d’entretenir, autant que possible, les bonnes relations avec les Etats-Unis, sans pour autant être obligée de répondre à toutes leurs exigences qui pourraient nuire aux intérêts égyptiens ». Le spécialiste donne un exemple : à l’époque de Donald Trump, au moment où les relations égypto-américaines au niveau présidentiel étaient caractérisées par un haut degré d’entente, l’Egypte n’a pas hésité à rejeter le projet américain de la soi-disant Otan arabe. Autre exemple, l’Egypte a adopté « une neutralité positive » vis-à-vis de la guerre Ukraine- Russie, comme l’explique Sayed Ahmed. Bien que les relations avec Biden ne soient pas de la même intensité qu’avec Trump, le dialogue stratégique a été repris, en novembre 2021, après six ans de suspension.
Une continuité malgré les crises
En fait, les relations entre les deux pays suivent deux voies parallèles : relations bilatérales et coordination sur des questions régionales d’intérêt commun. Sur le plan économique, les Etats-Unis constituent le troisième investisseur étranger en Egypte après le Royaume- Uni et la Belgique, alors que les relations militaires « constituent dès le lendemain de la guerre d’Octobre le fondement des relations bilatérales entre Le Caire et Washington », explique Ahmed Sayed Ahmed. Quant au deuxième volet, les deux pays partagent des visions et des intérêts sur de nombreuses questions régionales et internationales, dont la guerre commune contre le terrorisme. L’Egypte a une expérience réussie dans la lutte contre le terrorisme et l’idéologie extrémiste. La question palestinienne, où Le Caire est un médiateur incontournable, occupe aussi une position centrale.
« L’Egypte est le seul pays à avoir des canaux de communication avec les différentes parties : les factions armées palestiniennes, le gouvernement palestinien en Cisjordanie et le gouvernement israélien ». Quant au conflit libyen, il existe une convergence de vues sur la nécessité de parvenir à la stabilité en Libye et sur la sortie de toute présence militaire étrangère du pays. Quant à la crise au Liban, l’Egypte et les Etats-Unis avaient oeuvré à trouver un accord avec les pays voisins pour permettre à l’Egypte d’acheminer le gaz naturel au Liban. De même, les Etats-Unis soutiennent l’émergence de la Méditerranée orientale comme un fournisseur d’énergie alternatif à l’Europe à la place de la Russie.
Tout ceci explique pourquoi, malgré les hauts et les bas, les relations Le Caire- Washington s’inscrivent toujours dans la continuité et résistent aux différentes crises. « On peut parler de partenariat, d’amitié ou d’alliance stratégique ; et stratégique signifie que les relations sont régies par des facteurs constants et des intérêts réciproques qui ne changent pas avec les changements du contexte régional, des Administrations américaines, démocrate ou républicaine, et des régimes politiques en Egypte », conclut Sayed Ahmed .
Lien court: