L'avenir de bourbier afghan demeure enseveli de mystère.photo : AP
A quelques jours de l’ouverture des dépôts de candidatures pour la présidentielle en Afghanistan, il est difficile de prévoir les scénarios d’avenir pour ce pays tiraillé par 12 ans de violences talibanes, malgré la présence des forces internationales de l’Otan (Isaf). Loin de tout pronostic, l’année 2014 marquera un tournant décisif pour le «
cimetière afghan » avec deux événements-clés : présidentielle en avril et retrait des troupes de l’Isaf à la fin de l’année. Ce qui dit que le «
bébé afghan » doit faire «
seul » ses premiers pas dans le monde de l’indépendance sous la tutelle d’un nouveau président et sous une forte menace talibane.
Malgré cette ambiance lourde de menaces, le pouvoir afghan a commencé à préparer une présidentielle-clé qui doit permettre d’élire le successeur de Karzaï, qui ne peut pas briguer un troisième mandat. Du 16 septembre au 6 octobre, les candidats pourront présenter leurs dossiers à la Commission électorale. Cette semaine, le président afghan a affirmé qu’il ne souhaitait pas voir trop de candidats en lice afin de ne pas semer la confusion chez les électeurs, voire qu’il soit un simple duel entre deux candidats comme aux Etats-Unis. En 2009, il y avait 41 candidats qui ont fait un scrutin chaotique marqué par de larges fraudes.
Ces dernières semaines étaient, en fait, riches de négociations dans les coulisses entre candidats et partis. Ne cachant pas leur désir du pouvoir, des ténors de l’opposition, incluant le principal rival de Karzaï lors de la présidentielle de 2009, Abdullah Abdullah, l’ancien chef de guerre devenu gouverneur de la province stratégique de Balkh (nord) et le seigneur de guerre Abdul Rashid Dostum, ont formé une nouvelle coalition dans la perspective des présidentielles. « Les principaux partis politiques sont déterminés à appuyer un seul candidat », a dit Abdullah, sans lever le voile sur son éventuelle candidature. Ce regroupement, baptisé « l’Alliance électorale d’Afghanistan », est calqué sur le modèle de « l’Alliance du Nord », coalition ayant renversé les talibans avec l’aide des Etats-Unis dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001. Cette nouvelle alliance est composée de Tadjiks, d’Ouzbeks et de Hazaras, mais compte peu d’appuis chez les Pachtounes, l’ethnie la plus nombreuse du pays.
Pour l’heure, les noms d’Abdullah Abdullah, de l’ancien seigneur de guerre Abdul Rasul Sayyaf, et surtout de l’ex-ambassadeur afghan au Pakistan, Omar Daudzaï, sont souvent cités comme d’éventuels présidentiables. « Abdullah pourrait sortir du jeu car il n’est pas pachtoune. Le favori de cette élection semble Omar Daudzaï car il est un homme politique d’origine pachtoune et très proche de Karzaï. Je pense qu’il sera soutenu par Washington. Il est préférable que le président afghan appartienne à l’ethnie pachtoune », estime l’expert Mohamed Fayez. Début septembre, Karzaï a désigné Omar Daudzaï comme nouveau ministre de l’Intérieur, quelques semaines après la destitution de son prédécesseur par le Parlement, lui reprochant de ne pas avoir réussi à juguler la résurgence de la rébellion talibane. Ceci dit, le nouveau ministre aura peu de temps pour assumer la tâche herculéenne de casser l’épine des rebelles avant de laisser son nouveau poste pour se présenter aux présidentielles.
Or, le seul scénario à craindre : si un seigneur de guerre comme Sayyaf ou Dostum remporte le vote, le pays plongera dans l’anarchie, car ces chefs de guerre possèdent leurs propres milices et l’armée afghane ne pourra pas les vaincre. Un problème de plus : ces chefs de guerre sont contre toute réconciliation avec les talibans. « Je ne pense pas que Washington aille permettre à un seigneur de guerre de remporter le vote », estime M. Fayez.
La violence, un scénario qui prédomine
Selon les analystes, ces présidentielles qui coïncident avec le retrait des troupes étrangères promettent un avenir « sombre » à ce pays qui plongerait, avec l’aube de 2015, dans l’abîme d’une guerre civile. Pendant plus d’une décennie, les forces étrangères ont beau tenter de réprimer les rebelles, mais au contraire, ces derniers sont devenus de plus en plus organisés et renforcés grâce au trafic des drogues — source de leur financement — et à la nature montagneuse du pays. Les récentes violences ne sont qu’une goutte qui annonce la pluie. Chassés du pouvoir en 2001, les talibans ont fait des démonstrations de force sans précédent ces dernières semaines. Selon Mohamed Fayez, l’avenir du pays serait « catastrophique » après le retrait de l’Isaf. « Ces deux dernières semaines étaient très sanglantes, ce qui n’augure rien de bon pour le processus électoral. Les rebelles rejettent ces élections et les considèrent comme une perte de temps. Ils ont déjà annoncé qu’ils n’allaient pas reconnaître le futur président », analyse l’expert. Le bilan des violences semble affreux : Depuis la semaine dernière, les talibans ont lancé une série d’assauts contre les forces de l’Otan et les bases américaines, faisant plus de 30 morts, y compris 15 policiers, outre la destruction d’une quarantaine de camions de ravitaillement et blindés américains. Outre les militaires, les civils n’ont pas été épargnés. Un récent attentat suicide perpétré dans la cour d’une mosquée du nord a tué 8 civils, alors que 12 autres civils afghans avaient été exécutés par les rebelles.
Ce regain de violences fait d’une pierre deux coups : menacer l’élection et étouffer toutes prémices de paix. Ce n’est pas par pure coïncidence que ces violences se sont aggravées juste après la visite de deux jours du président afghan à Islamabad pour raviver les discussions de paix avec les talibans à l’approche de 2014. Les talibans refusent de parler à Karzaï, qu’ils considèrent comme une « marionnette » des Etats-Unis. En réponse à la visite de Karzaï, Islamabad a libéré, samedi, sept talibans afghans afin d’aider le processus de paix en Afghanistan. Islamabad avait libéré 26 autres talibans en 2012 pour faciliter la réconciliation entre Afghans, mais cette libération n’avait eu aucun résultat positif sur les négociations de paix. « Je pense que les talibans ne sont pas sérieux dans ce processus de réconciliation. Leurs yeux sont braqués sur le pouvoir. Ils veulent évacuer au plus vite les forces étrangères pour reprendre le pouvoir. Si Washington laisse le pays sans conclure des accords sécuritaires pour l’après-2014 avec les talibans ou au moins avec les forces régionales comme le Pakistan, ce pays retournera à la case départ », analyse M. Fayez. Quel que soit le nom du nouveau président, il aura la lourde tâche d’instaurer la paix dans un pays sans forte armée, sans cohésion nationale et sans appui international .
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