L’histoire de son ascension sociale fait rêver les petits dans les banlieues parisiennes. En quelques années, il est devenu une star, surtout grâce au succès mondial de son film Les Misérables, primé à Cannes en 2019, césarisé en 2020 et nominé aux Oscars la même année. Membre du jury de la compétition officielle Longs métrages documentaires du Festival international d’Ismaïliya, le réalisateur français d’origine malienne Ladj Ly a évoqué son parcours atypique durant un master class, qui s’est tenu dimanche dernier au Palais de la culture de cette ville tranquille du Canal de Suez.
Il y a partagé son expérience qui a commencé, il y a 28 ans, dans la commune de Montfermeil, située en banlieue parisienne, où cohabite une quarantaine de nationalités différentes. Né au Mali en 1978, il a grandi en France, a suivi une formation multimédia et a rejoint dans les années 1990 le collectif d’audiovisuel Koutrajmé (court métrage en verlan), regroupant aujourd’hui une centaine d’artistes. « J’ai acheté une caméra à 17 ans et je filmais des copwatchs, c’est-à-dire des vidéos qui enregistraient les agissements des policiers dans les quartiers difficiles, notamment lors d’arrestations violentes. J’ai fait ceci pendant dix ans, jusqu’au jour où j’ai capté une vraie bavure policière. C’était la première fois où des policiers étaient condamnés à cause de la diffusion d’une vidéo », a-t-il raconté durant la conférence.
Le documentaire 365 Jours au Mali.
A la suite des émeutes qui ont explosé en France en 2005, en protestation contre la mort tragique de deux adolescents d’origine africaine, électrocutés en essayant d’échapper à un contrôle de police, il a sorti son documentaire 365 Jours à Clichy Montfermeil (en 2006). Et ce, après avoir coréalisé avec Stéphane Freitas le documentaire A Voix haute: la force de la parole, abordant un concours d’éloquence à l’Université Saint-Denis. Mais il a surtout impressionné avec sa première fiction, un court métrage intitulé Les Misérables, suivant avec sa caméra un membre de la brigade anticriminalité de Montfermeil. De quoi lui avoir valu un prix au Festival de Clermont-Ferrand et la nomination au César du meilleur court métrage en 2018. Ce succès l’a tout de suite encouragé à développer son film pour en faire un long métrage, à un coût plus conséquent. « J’ai pensé que c’était la bonne stratégie pour décrocher le budget nécessaire », a-t-il affirmé.
Avec Saad Hindawi, le directeur du festival, lors du master class.
Des écoles de cinéma partout
La notoriété ouvre pas mal de portes. Ladj Ly est à même alors de poursuivre un autre rêve qui lui tenait à coeur, avant même de devenir un réalisateur multi-récompensé, celui de fonder des écoles de cinéma, gratuites, ouvertes à tous, sans condition d’âge ni de diplôme. La toute première a été inaugurée en 2018 à Montfermeil, le quartier où il a grandi, et suivie de quatre autres à Marseille, à Madrid, au Guadeloupe et enfin, à Dakar (au Sénégal), en janvier dernier. « La première du Moyen-Orient sera prochainement en Palestine, c’est le pays de mon coeur. J’y ai voyagé quatre fois et j’ai même tourné là-bas », a-t-il souligné. Et d’ajouter: « Dans ces écoles, on apprend aux étudiants à faire des courts métrages, à développer ensuite les plus réussis, pour en faire de longs métrages. Donc, un peu le même processus que j’ai suivi ».
Le long métrage Les Misérables.
La première école africaine aurait pu naître au Mali, où il a ses racines. Mais la tourmente où se trouve le pays ne l’a pas permis, alors le centre de formation a pris place dans un ancien bâtiment professionnel reconverti en espace culturel, non loin du coeur de la capitale du Sénégal. Celui-ci est d’ailleurs devenu incontournable au niveau de la production audiovisuelle, en particulier des séries; il possède des techniciens de qualité et de beaux paysages, en étant à cinq heures de Paris par avion. « Depuis une dizaine d’années, le Mali est en guerre, donc ce n’était pas simple d’y implanter notre école. J’ai pris ma caméra et ai tourné, pendant un an, avec d’autres réalisateurs franco-maliens, le documentaire 365 Jours au Mali (sorti en 2014), où on a donné la parole à tous les acteurs. J’ai interviewé des milices sur place, des membres de l’armée malienne, etc. Le film a été censuré par les chaînes françaises, mais il est disponible sur YouTube », a précisé Ladj Ly, en évoquant ce documentaire de 48 minutes, qui nous fait pénétrer dans la région en ébullition du nord du Mali, offrant une chronologie de la crise politico-sécuritaire entre début 2012 et fin 2013.
Un combatif
Le réalisateur de 44 ans continue à s’inspirer de son vécu, de ses histoires et celles des gens autour de lui, pour exprimer pas mal d’autres personnes déshéritées. Cela ne manque pas de lui attirer parfois quelques ennuis, étant perçu par les uns comme un « pugnace » qui a réussi, avec des aides financières publiques et privées, à fonder ses centres de formation.
De temps en temps, on rappelle qu’il était impliqué dans une affaire d’enlèvement et de séquestration en 2009 et condamné à trois ans de prison. Et récemment, il a été accusé d’avoir détourné plusieurs centaines de milliers d’euros et de s’être servi dans les caisses de son école de cinéma. « L’enquête est finie », a-t-il déclaré dans la presse française, « notre école dérange (…), l’important est qu’elle existe et qu’on continue à en ouvrir un peu partout », a-t-il dit, en faisant allusion à la montée de l’extrême droite en France et à certains « syndicats policiers », selon ses termes.
Il tient cependant à nourrir l’espoir d’ascension sociale qu’il a fait naître, en se projetant dans l’avenir. « Je travaille en ce moment sur un nouveau film, Le Jeune imam. J’ai produit également un film, intitulé Athena, qui est programmé sur Netflix, en septembre prochain. J’étais d’abord sceptique quant à collaborer avec ce géant américain, mais j’avais carte blanche de faire ce que je voulais. Il y a aussi la suite de la trilogie des Misérables, le deuxième volet est intitulé Le Maire et se déroule en 2005 (ndlr: la France s’était embrasée pendant trois semaines à cause des émeutes des banlieues). Et le troisième volet, dont je n’ai pas encore précisé le titre, se situe dans les années 1990 », conclut le réalisateur sur une note positive.
Lien court: