(Photo : Bassam Al-Zoghbi)
Approuvé le 13 mars par le président de la république, l’amendement de la loi sur les anciens loyers est entré en vigueur. « Il est vrai que cet amendement porte seulement sur les unités administratives louées par des personnes morales. Mais c’est un début. L’Etat égyptien a entamé une phase de réforme institutionnelle et ouvre tous les anciens dossiers abandonnés pendant des années », commente l’économiste Walid Gaballah. Une personne morale est un groupement ayant une existence juridique. Généralement c’est un groupe de personnes physiques réunies pour accomplir quelque chose en commun. Le droit égyptien distingue les personnes morales de droit public, comme l’Etat et les organismes administratifs, et les personnes morales de droit privé, comme les entreprises privées et les organisations de la société civile.
L’ancienne loi de location stipule le gel des loyers sans déterminer un délai d’expiration du bail. C’est ainsi que des appartements au Caire et dans les grandes villes égyptiennes sont loués depuis des décennies à des sommes dérisoires ne dépassant pas les 20 livres. Ces appartements ont été transmis de manière héréditaire aux enfants des locataires d’origine. Au fil des années, les propriétaires se sont retrouvés en quelque sorte dépossédés de leurs appartements qui ne leur rapportent plus rien.
De plus, les locataires considèrent leurs appartements comme un droit acquis que leur octroie la loi. La majorité sont des personnes à la retraite qui ne peuvent pas assumer le montant des loyers actuels ou dont les revenus ne leur permettent pas de louer des appartements similaires. Ils affirment avoir payé une grande partie du prix de ces appartements en guise de dépôt lors de la conclusion du bail. L’amendement apporte un certain équilibre à cette relation entre propriétaires et locataires. Il stipule que le loyer des unités administratives louées aux personnes morales soit multiplié par 5 à partir du mois de mars pour être ensuite soumis à une augmentation annuelle de 15 % pendant 5 ans, avant que le bail ne soit définitivement rompu et que le locataire ne restitue l’unité louée. La loi sur les anciennes locations remonte à plus d’un siècle. La première loi réglementant la relation entre le propriétaire et le locataire remonte à 1920. En vertu de cette loi, le locataire ne peut être expulsé du logement que par une décision de justice basée sur le non-paiement du loyer.
En 1941, au milieu des turbulences de la Seconde Guerre mondiale, une loi a été adoptée empêchant le propriétaire d’augmenter le loyer. Puis, après la Révolution de Juillet 1952, plusieurs lois ont été promulguées en faveur des locataires. De 1952 à 1965, les loyers ont été réduits de 15 % à 20 % (voir page 5). « Dans les années 1950 et 1960, l’Etat supervisait la relation locative. Il déterminait le montant du loyer à l’époque où toutes les marchandises étaient soumises à la tarification obligatoire. Mais avec l’économie de marché et la libéralisation des prix des biens et des services, les loyers n’ont pas été libérés. A l’époque nassérienne, l’Etat a réduit trois fois les loyers. Les gouvernements consécutifs auraient dû ensuite augmenter les loyers de manière graduelle pour maintenir l’équilibre entre propriétaires et locataires. Mais rien n’a été fait », explique Gaballah. Seule une loi a été promulguée en 1981 obligeant les deux parties, propriétaire et locataire, à contribuer à la maintenance des immeubles et augmentant les loyers des unités non destinées au logement, alors que l’Etat est intervenu une dernière fois en 1996, en promulguant la « nouvelle loi sur les locations », qui a déterminé pour la première fois la durée du bail.
Des appartements qui valent des millions sont loués à moins de 20 L.E. par mois.
Mesures concrètes
Au cours des dernières années, de nombreux députés ont proposé des projets de loi pour résoudre la crise, que ce soit en augmentant le montant des loyers ou en libéralisant la relation locative après une période déterminée. Mais ces bonnes intentions n’ont pas abouti à une loi concrète. En août dernier, le président de la République a jeté une pierre dans les eaux stagnantes des anciens loyers en déclarant que la solution au problème était d’augmenter le nombre d’appartements. « Il y a des appartements au centre-ville qui sont loués à 20 livres et qui valent des millions. Le locataire a le droit d’y séjourner, mais le propriétaire a également le droit de profiter de leur valeur », a-t-il déclaré.
Ces propos ont été considérés comme un indice que l’Etat est déterminé à résoudre le problème des anciens loyers, vieux de plusieurs décennies. C’est ainsi que le Conseil des ministres a formé une commission composée de représentants du gouvernement et de membres des deux Chambres législatives pour élaborer le brouillon d’une loi globale régissant la relation locative. Un brouillon qui devrait être soumis à un dialogue sociétal avant d’être transféré au Conseil des députés. « La philosophie de cette loi a été résumée par le premier ministre dans des déclarations, selon lesquelles il y aura une augmentation graduelle du loyer, un délai pour l’annulation du bail et la création d’un fonds pour aider les personnes démunies qui ne pourront pas payer les nouveaux loyers, tout en présentant des facilités aux locataires. On parle de réductions pour les locataires qui veulent devenir propriétaires d’unités construites par l’Etat », explique Gaballah. D’ailleurs, l’avocat Essam Chiha, président de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme, estime que le dialogue sociétal est extrêmement important concernant cette question qui touche directement la vie de nombreux Egyptiens. « Il s’agit de réaliser un équilibre entre les intérêts des propriétaires et des locataires », affirme Chiha.
Dans ce contexte, le dialogue sociétal permettra de déterminer le montant des nouveaux loyers après la libération de la relation locative, ainsi que le délai avant cette libération. « Les propositions sont nombreuses. Le loyer peut être lié au seuil minimum des salaires, à la valeur de l’unité déterminée par les impôts fonciers, à l’inflation ou à la valeur correspondante de l’or au moment de la location », explique Gaballah, alors que le président de l’Organisation des droits de l’homme estime que le délai sera de 5 ans pour les unités commerciales et de 7 ans pour les unités de logement.
Un problème ardu
Selon le dernier rapport de l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS), le nombre d’unités louées selon l’ancienne loi s’élève à 3 millions, dont près de 81 % sont destinées au logement, alors qu’un million d’unités au total sont fermées et inexploitées par les locataires qui les gardent fermées à cause du loyer minime et de l’absence de loi les obligeant à les rendre aux propriétaires. « L’ampleur du problème a considérablement diminué avec l’augmentation du nombre de logements présentés par l’Etat au cours des dernières années (voir encadré). Selon la CAPMAS, la population égyptienne est composée de 24 millions de familles qui habitent 24 millions d’unités de logement, dont près de 2 millions sont louées selon l’ancienne loi de location », explique Gaballah.
Et d’ajouter : « Cependant, le problème ne peut être résolu du jour au lendemain. Il est indispensable de régler le problème étape par étape. Par exemple, il sera facile la première année de s’attaquer aux appartements fermés, puis aux personnes qui possèdent d’autres appartements, puis aux personnes dont les revenus dépassent le plafond maximum des salaires, de sorte qu’au moins 500 000 appartements soient libérés chaque année ». Dans ce contexte, Essam Chiha conseille à tous les locataires de ne pas attendre la promulgation de la loi et d’entamer immédiatement un dialogue avec les propriétaires pour parvenir à un compromis. « La loi sera promulguée. C’est inéluctable », conclut Chiha.
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