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Trois hommes, trois époques

Samar Al-Gamal , Mercredi, 16 mars 2022

Entre le contexte politico-historique et la personne du ministre, la diplomatie égyptienne a évolué au fil des années. Portraits de trois ministres des Affaires étrangères qui ont marqué leur temps.

Mahmoud Fawzy, le fidèle (1954-1964)
Mahmoud Fawzy à côté de Nasser à l’Onu.

Mahmoud Fawzy, le fidèle (1954-1964)

« La politique éternelle n’existe pas, mais son absence ne signifie pas que la politique change toutes les cinq minutes. Nous nous sommes réunis pour coordonner la politique arabe. Si la tendance n’est pas de se lier, alors pourquoi nous réunissons-nous ? Il est clair que nous nous sommes réunis pour coordonner notre politique, il y a donc un contrat entre nous. Il y a deux pactes : un pacte avec notre conscience et un autre entre nous et nos peuples », lançait Mahmoud Fawzy aux chefs de gouvernement de la Jordanie, de la Syrie, du Liban et de l’Arabie saoudite lors d’une réunion dirigée par le président Gamal Abdel-Nasser. Il était 6h du soir du 22 janvier 1955 et Nasser les a invités pour discuter de l’alliance que Washington voulait créer entre la Turquie, le Pakistan, l’Iran et l’Iraq, connue sous le nom de « Pacte de Bagdad ».

Nous sommes à la veille de la triple agression contre l’Egypte et les Etats-Unis faisaient pression sur des pays arabes pour rejoindre cette alliance placée sous le slogan « Défendre le Moyen-Orient ». Fawzy prend à son compte cette bataille. Il est le premier ministre des Affaires étrangères après la Révolution du 23 Juillet et représente ainsi la politique étrangère révolutionnaire de 1952 face à une politique internationale et à un ordre international stable. Il effectue ainsi des tournées diplomatiques à l’Onu et des visites à l’étranger pour consolider les relations de l’Egypte avec les pays en transition politique. Fawzy venait du coeur de la diplomatie égyptienne, faisant des études en Angleterre et servant au Japon, puis à Jérusalem et aux Nations-Unies. Il excelle et fait preuve de professionnalisme dans une phase pleine de turbulence. « Il représentait l’expérience et cela lui a donné du crédit et a poussé le président Nasser et ses collègues à lui donner un large espace et beaucoup de confiance », estime Ahmed Megahed, diplomate égyptien.

« C’est un diplomate classique et sage et qui a appris l’importance du secret et de la loyauté absolue envers le chef de l’Etat. Avec lui, les loyautés partisanes ont disparu. Il était en matière de diplomatie une école de modération au plus haut degré, mais il pouvait adopter des décisions extrêmes, quand il s’agit de la volonté du président », explique Gamil Matar, écrivain et ancien diplomate. Durant son mandat ministériel, il participe aux négociations d’évacuation des Britanniques et contribue également à l’établissement des principes du Mouvement des non alignés et à la fondation de l’Organisation de l’unité africaine. Après la guerre de 1967, il est nommé assistant du président de la République pour les affaires politiques, et avec l’arrivée de Sadate, il est nommé premier ministre, puis devient vice-président en 1972, mais deux ans plus tard, il se retire de la vie politique.

Ismaïl Fahmy, celui qui a dit non à la normalisation (1973-1977)


Ismaïl Fahmy en discussion avec Kissinger en présence de Moubarak.

« Je ne me sens pas à l’aise de raconter ce qui s’est passé après le voyage de Sadate à Jérusalem, car même si les événements ont montré que j’avais raison dans mon estimation des résultats d›une démarche aussi irrationnelle, les conséquences pour l›Egypte et l›ensemble du monde arabe ont été si négatives qu›elles m›ont rendu profondément triste et ému », ainsi écrit Ismaïl Fahmy, ancien ministre des Affaires étrangères sous Sadate, dans ses mémoires intitulés « Négocier pour la paix au Moyen-Orient ». Au fil des pages, Fahmy révèle les raisons de son refus catégorique de la visite du président Sadate à la Knesset israélienne. « Je pensais que rien de bon ne sortirait de cette visite (...) Elle nuirait à la sécurité nationale de l’Egypte, nuirait à nos relations avec les autres pays arabes et détruirait notre leadership dans le monde arabe ».

Il appelle Moubarak, alors vice-président, lui demandant d’informer Sadate qu’il ne pourra pas l’accompagner lors de son voyage à Damas, à cause d’une « fatigue soudaine », et Sadate a envoyé la réponse à Moubarak, disant qu’il « comprend bien ses problèmes d’estomac », mais lui demande d’accélérer la préparation d’un discours approprié pour lui à la Knesset. La vraie raison des excuses de Fahmy était qu’il savait que Sadate se rendrait à Damas pour consulter Hafez Al- Assad, le président syrien, concernant son voyage en Israël. Il finit par envoyer une enveloppe scellée à Moubarak, lui demandant de la remettre personnellement à Sadate. A l’intérieur, il trouva la démission de Fahmy. On était en novembre 1977. Fahmy avait 55 ans et une longue carrière de diplomate intelligent et sûr de lui et de négociateur coriace. C’est ce qui avait en effet impressionné Sadate, surtout ses arguments sur une refonte des relations égypto-soviétiques et un contact plus étroit avec les Etats-Unis en gardant des lignes de communication ouvertes avec les Soviétiques. « Malgré sa proximité avec le pouvoir et ses inclinations occidentales, ses prises de position patriotiques priment. Il a démissionné, alors que nous étions au seuil d’une étape historique qui avait un succès au niveau international, mais il n’était pas convaincu qu’elle servait les intérêts de l’Egypte. Ismaïl s’est imposé et s’est forgé une place dans la période de l’après-guerre. Et il a, en même temps, soutenu les jeunes diplomates, qu’il jugeait efficaces et qui ont plus tard occupé son siège à la tête du ministère », explique le diplomate égyptien Ahmed Megahed. C’est lui qui avait introduit Mohamad Al-Orabi et Sameh Choukri, ainsi que son fils Nabil Fahmy. Son apport comprend également Mohamad Al-Baradei et Amr Moussa qui ont travaillé tout près de lui.

« Son héritage est à la fois ses positions patriotiques et la promotion des jeunes talents », ajoute le diplomate égyptien.

Amr Moussa, le charismatique (1991-2001)


Amr Moussa avec Sarkozy et Moubarak.​

« J’aime Amr Moussa et je déteste Israël ! ». Le tube fait un tabac en 2001 et Moussa était à la tête de la diplomatie depuis une décennie.  A la fois sévère et doux, arrogant et destructeur de l’arrogance des autres, il ne mâche pas ses mots même en public et surtout lorsqu’il critique Israël et la politique américaine. Il donne à la diplomatie égyptienne une voix haute et franche. Apprenti d’Ismaïl Fahmy, il est soucieux d’être le modèle du maître.

Moussa entre au ministère égyptien des Affaires étrangères en 1958, il est nommé ambassadeur en Inde puis auprès des Nations-Unies en 1990 avant de diriger le ministère. On est en 1991, la guerre du Golfe est une opportunité pour lui pour un regain du positionnement régional de l’Egypte. « Les circonstances, ainsi que sa personnalité l’ont beaucoup aidé. Sa personnalité et son estime de soi donnent du poids à la politique étrangère. Il est à la fois compétent, a des capacités de négociation et un charisme personnel », estime Megahed. Il suit son maître, soutient les plus jeunes diplomates et procède à un remaniement à l’américaine des rouages du ministère. « C’est à lui que revient ce mérite de réorganiser le ministère et de désigner un responsable pour chaque dossier en diplomatie », explique Matar.

Orateur éloquent, actif et ambitieux, il gagne en popularité. Il refuse d’adhérer au Parti national démocrate du président Moubarak, à l’instar de ses confrères ministres, et refuse de serrer la main de son homologue israélien, Ariel Sharon, en raison de l’attitude de ce dernier à l’égard du président palestinien, Yasser Arafat. « On se débarrassa de lui car son charisme le plaçait comme un rival de Moubarak ». La chanson de Chaabane Abdel-Réhim s’est vendue à des millions d’exemplaires mais précipite le départ de Moussa et il va siéger à la tête de la Ligue arabe.

Mais Moussa commence à prendre des positions indépendantes et prend un grand pas en décidant de se porter candidat à la présidentielle en 2012. Dès 2004, des pétitions lui demandaient de se présenter à l’élection présidentielle de 2005, mais il a dû attendre le départ de Moubarak pour le faire.

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