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Dileita Mohamed Dileita : « Je prévois la levée de la suspension de l’Egypte à l’UA en octobre »

Propos recueillis par Hicham Mourad, Mardi, 03 septembre 2013

La délégation tripartite, chargée par l’Union Africaine (UA) d’examiner la situation en Egypte, a achevé mercredi 4 septembre sa deuxième et dernière visite au Caire. Dileita Mohamed Dileita, ancien premier ministre de Djibouti et membre de ce panel, souligne que son action était de transmettre aux pays africains la situation réelle en Egypte.

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Al-Ahram Hebdo : La majorité des Egyptiens ont critiqué la décision de l’UA de suspendre l’Egypte, la considérant comme ignorant la réalité de la situation dans le pays. Comment l’expliquez-vous ?

Dileita Mohamed Dileita : Quand la délégation est arrivée la première fois en Egypte, du 27 juillet au 4 août, nous avons rencontré plusieurs parties prenantes, dont le gouvernement, des jeunes, une délégation de femmes, etc. Ils ne comprenaient pas pourquoi l’Egypte a été sanctionnée par la décision de la suspendre de l’UA. En fait, il ne s’agit pas d’une sanction, mais d’une mesure automatique conformément à une décision qui a été prise par l’UA en 2000 quand l’Afrique était victime de plusieurs coups d’Etat. Il fallait à l’époque mettre un terme à cette situation. Nous y avons réussi, même s’il existe toujours des coups d’Etat. Si on regarde de plus près le communiqué de l’UA suspendant l’Egypte, le 5 juillet, on trouve qu’il ne parle pas de coup d’Etat, mais de changement anticonstitutionnel. Il ne demande pas non plus le retour au pouvoir de l’ancien président, Mohamad Morsi, contrairement à d’autres communiqués de l’Organisation, qui demandaient le retour à l’ordre constitutionnel. Le troisième point positif pour l’Egypte est que le communiqué n’a pas demandé aux autres organisations internationales, comme les Nations-Unies ou la Francophonie, de s’aligner sur la position de l’UA. Les parties égyptiennes que nous avons rencontrées lors de la première visite ne connaissaient pas ces détails de la position de l’UA. Et c’est ce que nous avons essayé d’expliquer.

De l’autre côté, nous avons aussi expliqué aux pays du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) de l’UA l’évolution de la situation en Egypte après la révolution du 25 janvier 2011 et l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir. Nous leur avons expliqué comment la situation s’est retournée contre le président Morsi, avec 22 millions de signatures demandant de lui retirer la confiance populaire, avec cette révolution par plus de 33 millions de citoyens qui sont descendus dans les rues et ont manifesté le 30 juin, et avec l’appel par la population à l’armée pour qu’elle prenne des mesures. Certes, l’armée a appuyé l’appel lancé par la population. Mais elle n’a pas pris le pouvoir et a choisi la légalité pour transmettre le pouvoir au président de la Cour constitutionnelle. C’est pour cela que lors de la réunion de notre panel avec les 15 membres du CPS, tous les participants se sont montrés compréhensifs, y compris les grands pays qui étaient plus ou moins hostiles aux évolutions en Egypte, comme le Nigeria.

— Qu’en est-il de l’Afrique du Sud qui a qualifié le changement en Egypte de « coup d’Etat militaire » ?

— C’était une erreur de sa part. A partir du moment où l’UA avait pris la décision de former un panel pour examiner la situation en Egypte, il fallait attendre ses conclusions avant de se prononcer.

— Quel est le but de la deuxième visite du panel, présidé par l’ancien président du Mali, Alpha Oumar Konaré, avec la participation de l’ancien président du Botswana, Festus Mogae, et de vous-mêmes ?

— Il nous fallait compléter les rencontres avec le reste des parties prenantes en Egypte, comme le cheikh d’Al-Azhar et le pape des coptes, le pape Tawadros II. Nous voulons aussi montrer aux autorités égyptiennes que nous avons compris la situation et que nous sommes sur la bonne voie. En même temps, nous voulons appuyer la feuille de route, qui est le seul chemin pour sortir de la crise. A cet égard, nous souhaitons que toutes les parties y soient associées et nous voulons accompagner l’Egypte pour que cette approche soit inclusive de toutes les parties, sans exclusion.

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— Vous avez rencontré des membres des Frères musulmans. Pensez-vous qu’ils soient disposés à accepter la feuille de route, malgré leur refus affiché ?

— Nous leur avons lancé un message de paix. Nous avons essayé de les convaincre de la nécessité d’adhérer à la feuille de route et de leur faire comprendre qu’elle est la seule alternative. Nous essayons de les persuader de cesser la violence et de s’asseoir à la table des négociations avec les autres parties. Nous saluons à cet égard la décision du premier ministre égyptien, Hazem Al-Beblawi, de ne pas exclure les Frères musulmans de la feuille de route.

— Comment était la réaction de l’ex-président Mohamad Morsi et des Frères musulmans lors de la première visite de la dél&´gation de l’UA ?

— Lorsque nous avons rencontré Morsi, il nous a présenté sa propre lecture des événements en soulignant qu’il était toujours le président, que c’était l’armée qui l’a destitué et que c’était un complot contre lui. Mais le président du panel, Alpha Oumar Konaré, lui a posé des questions pertinentes. Il lui a demandé comment, après avoir été élu avec presque 52 %, il se retrouve à peine un an après dans cette situation, et pourquoi plusieurs responsables l’ont quitté. C’étaient des questions auxquelles il était difficile de répondre. Nous avons prévu de nous revoir, mais la situation aujourd’hui devient beaucoup plus compliquée et nous avons décidé de ne pas en faire la demande pour ne pas gêner les autorités égyptiennes.

Quant aux Frères musulmans, nous les avons visités dans le sit-in de Rabea Al-Adawiya. Et c’était très difficile. Ils nous ont bien accueillis en pensant que la décision de suspendre l’Egypte était une sanction en faveur des Frères musulmans, alors qu’en réalité il s’agissait d’une automaticité, que je viens d’expliquer. A l’intérieur du sit-in, le dialogue était difficile, car il y avait beaucoup de gens excités. Mais puisqu’il s’agissait d’une mission d’écoute, nous avons écouté sans prendre position. Ils voulaient nous faire entrer dans des détails, en nous proposant par exemple de visiter l’hôpital installé dans la place, mais nous n’avons pas voulu entrer dans ce jeu-là.

— Quelle était la teneur du rapport d’étape présenté au CPS par le panel, après sa première visite en Egypte ?

— Ce rapport contenait tout ce que nous avons constaté lors de notre visite. Nous y avons insisté sur la façon d’aider l’Egypte à sortir de cette crise, mais également sur la manière d’aider les Africains à mieux comprendre ce qui s’est passé en Egypte. Nous voulons ainsi jouer aux intermédiaires pour faire comprendre aux pays de l’UA ce qui s’est réellement passé et non ce que nous avons entendu ou ce que certains ont voulu nous faire comprendre.

— La dispersion, le 14 août, des sit-in pro-Morsi qui a provoqué beaucoup de morts et de blessés, influencera-t-elle les conclusions du rapport final que la délégation remettra au CPS de l’UA ?

— Ce qui s’est passé à Rabea Al-Adawiya était prévisible. Les gens là-bas tenaient un langage de refus de négociation. Ils voulaient le retour de Morsi et le retour à la situation antérieure. Avec ce langage, on pouvait penser que les choses allaient en arriver à ce niveau. On ne pouvait pas ne pas penser à cela. Malheureusement, il y a eu des morts, ce que nous déplorons. En tout cas, rien ne nous fera changer la ligne sur laquelle nous nous appuyons pour faire notre rapport définitif.

— Le rapport définitif du panel recommandera-t-il donc la levée de la suspension de l’Egypte ?

— Oui. Nous demanderons non seulement la levée de la suspension, mais qu’elle intervienne le plus rapidement possible. C’est pour cela qu’après la rédaction de notre rapport, nous allons convoquer rapidement une réunion du CPS pour qu’il fasse sa recommandation au Conseil des ministres africains des Affaires étrangères. La décision, qui est du ressort de ce dernier, devrait intervenir début octobre, après la fin des travaux de l’Assemblée générale de l’Onu, fin septembre.

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