
La Somalie au centre des mutations géopolitiques de la Corne de l’Afrique.
La région de la Corne de l’Afrique traverse des transformations géopolitiques majeures qui se sont intensifiées depuis le déclenchement de la guerre civile éthiopienne dans la région du Tigré en novembre 2020. L’implication officielle des forces érythréennes dans ce conflit aux côtés du régime d’Abiy Ahmed est l’une des répercussions régionales, la plus dangereuse sans doute de cette guerre. Selon des rapports somaliens, la Somalie a elle aussi envoyé des forces pour soutenir Abiy Ahmed. Ces changements sont intervenus alors que la région témoigne d’une vague de sécheresse sans précédent, et au moment où la Somalie — le pays le plus touché par ces récentes tensions régionales et par les changements climatiques — souffre de plus d’un an d’un report successif des élections législatives prévues initialement en février 2021.
Par ailleurs, les problèmes que confronte actuellement l’Etat somalien se croisent de manière réciproque avec les transformations de la Corne de l’Afrique : la crise éthiopienne a jeté ses ombres sur le déroulement des élections somaliennes et a réduit les chances du président sortant, Mohamed Abdullahi, de briguer un second mandat. En outre, les plans d’investissements dans les ports de certains acteurs régionaux et qui s’étendent dans des zones de la Somalie, sans coordination avec son gouvernement fédéral à Mogadiscio, affectent le processus de la construction de l’Etat et menacent même son unité.
En fait, le processus politique en Somalie reste conditionné à la fin du processus électoral. Les législatives n’ont été que partiellement tenues, seuls 130 sièges sur un total de 275 sièges ont été tranchés jusqu’à présent. Il est évident que la communauté internationale accorde peu d’intérêt aux élections somaliennes (à l’exception de la Chine dont la position a radicalement changé vis-à-vis de cette question) malgré la mise en garde internationale sur la gravité de la sécheresse qui frappe la région. Le Fonds Monétaire International (FMI) a averti, quant à lui, que le fait de reporter les élections au mois de mai prochain pourrait peser lourd sur le budget du gouvernement somalien.
L’ombre de l’Ethiopie
Parallèlement, le mois de février a témoigné d’attaques d’une grande ampleur à Mogadiscio, les plus importantes ces 9 dernières années, entraînant la mort d’au moins 5 personnes. Ainsi, le ministre somalien de la Sécurité a argumenté le report des élections à la crise sécuritaire et au manque d’échange d’informations entre l’appareil de sécurité somalien et les partenaires internationaux qui, selon lui, focalisent essentiellement leur intérêt sur la crise de la région du Tigré en marginalisant les autres dossiers d’urgence de la Corne de l’Afrique.
Sur le plan régional, l’Ethiopie a joué un rôle considérable pour soutenir le président somalien sortant Mohamed Abdullahi, afin de maintenir son mandat jusqu’en février 2022. D’un autre côté, la présidente éthiopienne a élevé, le 26 janvier 2022, la représentation diplomatique de son pays de consul à ambassadeur en Somaliland, cette région aspirant à se séparer de la République fédérale de la Somalie, une semaine après la visite de son président, Musa Bihi Abdi, à Addis-Abeba. Ce qui laisse présager de nouvelles tentatives éthiopiennes d’interférence dans les affaires internes de la Somalie, parallèlement avec l’intention du gouvernement d’Abiy Ahmed d’annexer à l’Ethiopie le port Zeila qui se trouve sur les frontières djibouto-éthiopiennes. Ce qui suscite des craintes quant à l’escalade d’une tension régionale et l’instigation des guerres civiles entre les Somaliens à Djibouti qui ont des ascendances factionnelles sur la terre de Somalie.
A ces troubles politiques s’ajoute la crise humanitaire. Exposée depuis une décennie à des vagues de sécheresse consécutives, la crise humanitaire actuelle dépasse la capacité de ce pays de la corne de l’Afrique. Des millions de Somaliens ont été obligés de quitter leurs maisons à la recherche de nourriture et d’eau. Cependant, les expériences précédentes ont révélé la réaction au ralenti des organisations internationales et du gouvernement éthiopien à chaque fois que « l’alerte précoce » vis-à-vis de l’apparition de la famine a été lancée. Selon les dernières prévisions de sécurité alimentaire en Somalie, environ 4,6 millions d’habitants seront confrontés à un niveau de « la crise à l’urgence » dans la période février-mai 2022, alors que seulement 2,3 % du total des demandes d’aide demandées par les Nations-Unies ont été acheminées.
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