Qui dit cérémonie de mariage aujourd’hui dit nouveautés et mode. Toute une liste de nouveaux concepts et de tendances dernier cri de décoration mariage importés de l’étranger qui rendent la facture excessivement salée. En quête de singularité, les futurs conjoints veulent organiser un mariage à leur image. Lieux insolites, idées excentriques et décors spécialement conçus pour l’événement, toutes les folies sont permises pour rendre ce jour inoubliable. L’époque où les parents et beaux-parents s’occupaient de l’organisation est bel et bien révolue.
Tout commence par la demande en mariage. Demander la main de sa chérie doit commencer par le célèbre cérémonial du « Proposal », ou proposition de mariage. Le prétendant doit orchestrer, dans une scène un peu théâtrale, son désir de l’épouser. Les idées pour animer cet événement ne manquent pas. Et à l’instar du héros du film Al-Sellem wel Teabane, sorti en 2001, qui a déclaré son amour et son désir d’épouser sa bien-aimée à travers un grand panneau publicitaire, les jeunes d’aujourd’hui ne manquent pas d’idées originales.
A la manière classique, dans un bar huppé du quartier Al-Tagammoe Al-Khamès, Ahmad, ingénieur de 29 ans, a organisé une soirée en invitant une vingtaine de ses amis. Au rythme de la chanson Lady in Red, il monte sur scène, s’agenouille tel un chevalier tiré des contes de fées et fait sa proposition de mariage. Puis le couple entame un slow alors que la princesse vêtue d’une longue robe rouge de style médiéval suscite l’admiration. Les applaudissements et les cris de joie retentissent. « C’est pour marquer la dernière soirée d’union clandestine avant que les parents ne le sachent. On se connaît depuis 5 ans. Aujourd’hui, nos études sont terminées et mes parents, qui se montraient réticents, vont être surpris. Le Proposal est un moment important pour nous, car il marque l’enterrement de notre vie de célibataire », déclare Amina, étudiante en dernière année à la faculté de communications de masses.
Et du cérémonial de proposition de mariage à la « Bachelorette Party », une fête d’enterrement de vie de jeune fille qui remplace la soirée du henné, parfois même un voyage. La dame nubienne qui appliquait du henné sur les mains de la mariée et de ses amies n’a plus la cote. Aujourd’hui, il existe d’autres thèmes tels que le café alexandrin, le décor hawaïen, l’ambiance indienne... La future mariée pourrait changer huit fois de tenue et imposer aux amies qu’elle a invitées un code vestimentaire qui respecte le thème choisi. A l’affût des dernières tendances pour un mariage parfait, convenant à son goût, la nouvelle génération ne manque pas d’idées, surtout lorsqu’il s’agit de la dernière soirée de célibat. C’est là où Nihal, directrice de finances, 36 ans, a choisi d’intervenir. Elle raconte : « On a célébré la Bachelorette Party de ma meilleure amie en Nubie. Un refuge dans une maison typiquement nubienne et des balades en felouque sur le Nil. Goûter des plats traditionnels nubiens et jouir de l’ambiance calme et sereine où les couleurs blanches des maisons, jaune du sable et verte du paysage se conjuguent parfaitement, c’est l’idéal pour un séjour reposant ». Mais l’important, selon elle, c’est de s’amuser! « On a voulu en profiter au maximum, et surtout s’éclater. Des moments extraordinaires de détente et de bonheur avant les préparatifs du Jour J », avance Nihal. Quant à la concernée, Riham, elle confie: « C’était magnifique, j’y ai pris beaucoup de plaisir. Une parfaite Bachelorette Party organisée de A à Z par mes demoiselles d’honneur ».
S’intéresser aux moindres détails
Toute mariée rêve d’être une reine le jour de ses noces.
D’après Salma Nabil, planificatrice de mariage, les jeunes filles se soucient du moindre détail de l’événement. Ce qui n’était pas le cas jadis. « Les célébrations de mariage font partie aujourd’hui des trends des réseaux sociaux. Plus on suit la mode, plus on gagne des followers et plus on enflamme la toile », explique Salma Nabil, 26 ans, architecte de formation qui a créé une page Instagram sur laquelle elle publie les photos de cérémonies de mariage qu’elle a organisées en tant que planificatrice de mariage, après avoir changé de métier. Amira Yousri, une autre Wedding Planner, précise: « Il existe chaque année une nouvelle tendance dans les célébrations de noces. Cette année, par exemple, la décoration de la chambre des mariés avec des ballons est très en vogue. Cela peut coûter une somme de 5000 L.E. », précise-t-elle. Elle ajoute que la mariée doit choisir ses demoiselles d’honneur et leur offrir une boîte renfermant un souvenir, dont le prix est estimé à 500 L.E. au moins et une robe de chambre chacune qu’elles doivent porter lors de la séance photo qui commence bien avant la cérémonie, dans la pièce décorée. Et bien sûr, il faut que la déco et les demoiselles d’honneur se tenant autour de la mariée soient en harmonie avec le thème choisi.
Enflammer les réseaux sociaux
Le prétendant doit proposer à sa bien-aimée dans une scène un peu théâtrale son désir de l’épouser.
Avec un tel engouement et un tel intérêt accordé au moindre détail, de nouveaux métiers ont vu le jour. Selon Yousri, il existe aujourd’hui des pages sur Instagram ou Facebook qui proposent de faire le décor de la chambre d’hôtel où la mariée se prépare, des boîtes et même des accessoires pour cheveux. Mais le métier le plus en vogue cette année, c’est celui de Media Coverage (la couverture médiatique). Une personne chargée de filmer tous les détails de la soirée, les préparatifs concernant le maquillage, la coiffure, le port de la robe, d’enregistrer les blagues et les chansons des demoiselles d’honneur, et ce, sans oublier de mentionner le nom du joaillier chez qui elle a acheté sa bague et son alliance, celui du styliste qui a confectionné sa robe blanche, la maquilleuse, le coiffeur et d’autres détails. C’est une sorte de documentation, mais moderne et très tendance, et la mariée aura à la fin plus de 2000 vidéos ainsi qu’une promo, à l’instar de ce qui se passe dans les grands festivals de cinéma. « Tout cela est publié sur Instagram — l’application qui attire les couches sociales aisées — et certaines pages spécialisées qui font circuler ces vidéos. Une nouvelle tendance qui peut coûter 5 000 L.E., sans compter le prix de la promo de 3 à 4 minutes pouvant atteindre les 10000 L.E. », explique Salma Nabil.
Facture salée? Qu’importe! Les mariées de cette nouvelle génération s’en soucient peu. « Le mariage est une étape cruciale dans la vie d’une personne, les noces, le début d’une merveilleuse aventure », confie Amira Yousri, qui s’apprête elle aussi à célébrer son mariage. Omniya Kamel, directrice de relations publiques de 29 ans, qui est sur le point d’organiser une soirée de mariage dans un jardin, partage cet avis. Pour elle, les détails font la différence. « Chaque fille veut se sentir reine le jour de son mariage, être la star de la soirée ».
C’est ce qu’on essaie de réaliser pour chaque couple, comme le dit Salma Nabil. « On se réunit souvent avec les futurs époux pour étudier leurs caractères distinctifs, connaître leurs goûts et les limites de leur budget. Il s’agit de faire une sorte de Brain Storming, afin de présenter une fête de mariage qui respecte toutes les données ». La chose est prise très au sérieux …
Une facture salée salée …
Plus on suit la mode, plus on gagne des followers et plus on enflamme la toile.
L’importance du mariage ne facilite guère les choses. En Egypte, mariage signifie également dépenses importantes pour les festivités, et surtout la préparation du trousseau. Les milieux aisés donnent de gigantesques réceptions dans les hôtels de luxe. Aujourd’hui, les familles riches et la tranche supérieure de la classe moyenne se saignent aux quatre veines pour satisfaire leurs enfants.
Le coût du mariage en Egypte est l’un des plus élevés du continent. Il suffit de jeter un coup d’oeil sur les frais occasionnés par la mariée et estimer le coût de son look le jour du mariage pour avoir un aperçu de la facture assumée par la famille : la location de la robe pour une première utilisation peut monter jusqu’à 30000 L.E., les frais de la maquilleuse coûtent environ 9 000 L.E., le coiffeur pas moins de 5 000 L.E., les accessoires près de 2 000, et les chaussures à partir de 500 L.E. Il suffit de faire un petit calcul pour s’apercevoir que le look de la mariée coûte à lui seul 50000 L.E., et ce, pour les quelques heures que dure la soirée.
Apparences et appartenance sociale
Et ces dernières années, les frais de mariage ont nettement augmenté. Entre les dépenses coutumières — la dot, les bijoux en or— et la cérémonie, les jeunes époux, ou plutôt leurs parents, peuvent dépenser des dizaines de milliers de L.E., et ce, pour de nouveaux concepts que l’on voit dans les films étrangers. Des mariages somptueux pour montrer sa réussite sociale. « Notre génération bouscule les traditions et casse les codes du mariage », comme l’explique Hayssam, comptable de 32 ans qui va bientôt se marier.
Dr Nadia Radwane, professeur de sociologie à la faculté des lettres de l’Université de Port-Saïd, estime que de telles nouveautés s’observent souvent chez certaines classes sociales, la tranche supérieure de la classe moyenne et la bourgeoisie. C’est ce qu’on appelle la « culture de l’élite ». « Nombre de ces familles égyptiennes ont tendance aujourd’hui à envoyer leurs enfants poursuivre leurs études à l’étranger, et les coutumes de ces sociétés occidentales deviennent alors une partie intégrante de leur formation. De retour, ils ramènent avec eux des idées dernier cri ». Et il ne faut pas aussi oublier l’impact de la téléréalité qui ne cesse d’imposer un style de vie à l’occidental, sans compter les films et l’impact des réseaux sociaux. « Le problème, c’est que nous sommes tout le temps en train d’importer les apparences superficielles d’autres cultures aux dépens de tout ce qui est profond et important. Le type qui a fait un Proposal à sa bien-aimée à l’occidentale va-t-il traiter sa femme comme son égale, comme dans les sociétés occidentales ? Va-t-il l’aider à faire le ménage, la vaisselle, le linge ou bien s’occuper des enfants ? », s’interroge la sociologue.
« L’importance excessive accordée à la cérémonie, les millions de L.E. dépensées pour la fête et le mariage, tout ça et beaucoup de couples divorcent juste quelques mois après l’union », estime Nadia Radwane. Et de conclure : « C’est bien dommage, tout ça sonne faux. L’authenticité de notre culture qui marque nos fêtes, comme le mariage ou la naissance d’un enfant, est en train de disparaître » .
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