Quelques heures après son très attendu lancement, le jeudi 20 janvier, sur la plateforme Netflix, le long métrage libano-égyptien, Ashab Walla Aazz (amis ou encore plus chers), le remake arabe du célèbre film italien Perfect Strangers (parfaits inconnus), vient de se classer en tête des top 10 films les plus vus sur la plateforme au Liban et en Egypte. Controversé de par les idées qu’il étale, ce long métrage réalisé par le Libanais Wessam Soumayra a été bombardé — dès sa diffusion — par plusieurs appels sur Internet et dans les médias, avancés par des cinéphiles conservateurs, réclamant l’interdiction ou l’arrêt de sa projection sur Netflix. Ils se déclarent contre l’audace des idées, du dialogue et des comportements des protagonistes de l’oeuvre.
Pour ceux qui ne le connaissent pas, Perfect Strangers est un hit italien produit en 2016 et célébré en 2019 par Guinness Records comme le film le plus présenté en différentes versions à travers le monde. Il raconte l’histoire d’un groupe de sept amis qui se réunissent pour un dîner et décident de se lancer dans un jeu, où chacun pose son téléphone portable sur la table pour que tous les nouveaux messages ou les appels soient vus de tous. Mais, très vite, le jeu qui se voulait amusant se transforme dramatiquement en une série de scandales, avec la révélation de secrets que personne ne connaissait, y compris les meilleurs amis, ou plutôt ceux qui se croyaient meilleurs amis. Les événements prennent alors une tournure tragique.
Ashab Walla Aazz, le 19e remake du film italien, regroupe à la liste de ses héros tout un bouquet de stars arabes : l’Egyptienne Mona Zaki, le Jordanien Iyad Nassar et les Libanais Nadine Labaki, Georges Khabbaz, Adel Karam, Fouad Yammine et Diamand Bou Abboud. Dans cette version panarabe, la trame se déroule dans une maison au Liban. Le langage est assez franc, parfois audacieux, mais naturel, entre des amis qui pensaient qu’ils se connaissaient trop bien, mais qui découvrent un côté sombre l’un de l›autre, alors que la nuit continue avec tous les secrets qu’elle fait remonter à la surface. Un drame social donc, dont le grand but est de gagner l’audimat et l’attention du public, par une liberté parfois excessive et un langage qui ne cherche qu’à captiver. Le débat, dans ce cas, s’impose !
Controverse virale
D’où la polémique qui est en train de s’amplifier en Egypte sur fond de différence de points de vue quant au rôle de l’art et des sujets à aborder. Ceux qui ne cessent d’attaquer le film le trouvent moralement dégradant et inapproprié aux valeurs de la société égyptienne. Ils pointent du doigt le langage, le scénario, mais surtout les idées qu’il aborde, tout en l’accusant de promouvoir l’homosexualité et de s’écarter des valeurs conservatrices du monde arabe. Leur argument principal : la culture occidentale ne peut pas être appliquée à nos sociétés arabes, un film italien ne peut donc pas être adapté à la lettre (ou presque) en une version arabe.
Les « pros », eux, défendent le film avec acharnement, estimant qu’il raconte des histoires de la réalité aujourd’hui. Une ou des réalités vécues partout par des gens qui nous entourent, le film reflète ainsi — d’après eux — de vrais problèmes et maux sociaux vus comme tabous. Plusieurs critiques et artistes s’élèvent également contre toute demande de punir les acteurs de ce film et menacent même d’aller jusqu’aux poursuites judiciaires contre ceux qu’ils qualifient de fanatiques !
Face à ce ping-pong de déclarations et de critiques acerbes, où chaque camp s’en est pris à l’autre, le syndicat des Artistes en Egypte a publié un communiqué officiel où il a déclaré son « refus total de toute agression verbale ou de toute tentative d’effrayer et d’injurier ses membres des artistes égyptiens, pour le simple fait de participer à une oeuvre controversée, tout en soulignant sa responsabilité de défendre et de soutenir la liberté de création des artistes égyptiens ». Le syndicat a également annoncé qu’il « soutiendrait l’actrice Mona Zaki au cas où n’importe quelle personne ou entité tenterait de prendre la moindre mesure contre elle ».
Idée classique mais bonne technique
Le film est basé sur une idée simple : coincés dans un même espace et pendant un certain temps, les protagonistes voient se dévoiler la vérité crue. Une idée plutôt classique, déjà présentée à plusieurs reprises dans le cinéma égyptien, depuis Sekket Al-Salama (bon trajet) ou Al-Bidaya (le début), jusqu’à Al-Markeb (le bateau) ou même Haflet Montassaf Al-Leil (cérémonie de minuit).
Cette fois, c’est un parfait étalage des vices humains, aucun personnage n’est louable, à part le personnage de Walid Sakis, le médecin esthétique assez serein, tous les caractères du film s’avèrent fautifs, égoïstes ou malintentionnés. Pour Wessam Soumayra, le défi était trop grand : entrer avec un premier long métrage dans la cour de la plateforme géante Netflix n’était pas certes une simple affaire, surtout pour un réalisateur venu tout droit du monde de la publicité.
Côté réalisation, la forme est bien mise au service du fond, et le tout sert l’idée de créer une ambiance assez attirante, tant au niveau du drame qu’à celui visuel. C’est donc avec une formidable équipe de techniciens de l’image, dont le chef directeur photo tunisien, Soufiane Al-Fani, lauréat de César, d’experts de son, tout en passant par le montage signé par la jeune cinéaste palestino-jordano-américaine Chérine Dabis, que ce film a été bien fabriqué. Et c’est grâce à cette belle image que le spectateur se retrouve dans le film, parmi ces amis qui se disputent, s’aiment et se rejettent. La bande musicale, signée par le doué Khaled Mouzannar, offre une certaine finesse et une assez grande richesse à la bande sonore. Quant à l’interprétation, tous les comédiens ont bien fait leur boulot : ils ont tous excellé en fait dans leurs rôles, bien que certains personnages paraissent, au cours des événements, assez bien dessinés par le scénariste par rapport à d’autres, cependant moins profonds.
Bref, le produit final est bien riche en états d’âme, ainsi qu’en idées assez délicates, épineuses, voire provocatrices, ce qui en a fait, du jour au lendemain, l’objet de toute une polémique qui ne semble pas près de s’éteindre. Avant ce film, bien d’autres avaient déjà soulevé ce débat toujours pas clos : toute vérité est-elle bonne de mettre à nu ?
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