En l’absence (ou presque) de concerts et de tournées mondiales à cause de la pandémie, l’industrie musicale de par le monde s’acharne à réinventer des spectacles en ligne. Avec le Nouvel An, l’évolution numérique, à bout de souffle, mettra en place une nouvelle forme de divertissement : le Metaverse. Il s’agit de créer un avatar 3D dans Facebook ou Microsoft Teams et de l’utiliser pour assister à un spectacle musical virtuel avec des amis dont les avatars apparaissent parmi les centaines de petites têtes du public. L’expérience serait pleinement vécue.
En effet, l’intrusion du virtuel au réel a eu lieu pour la première fois en Egypte à travers des concerts en hologramme produits par l’entreprise New Dimension productions (NDP). Le public était au rendez-vous avec Oum Kalsoum et son orchestre au Palais de Abdine en novembre 2020 et avec Abdel- Halim Hafez au Palais du Baron Empain en juin dernier. Et malgré un prix de ticket relativement élevé (entre 650 et 2 250 L.E.), les concerts ont connu un succès fou. Sans besoin de casque, ni de lunettes 3D, le public était invité à admirer les deux stars dont la projection en 3D dans l’espace donne une illusion très particulière de leur présence. « L’hologramme est l’avenir du divertissement en direct. Nous croyons que cette technologie deviendra la norme pour le divertissement visuel. Nous recevons des demandes pour ajouter plus de chansons et produire de nouvelles expériences avec d’autres artistes », souligne Hasan Hina, fondateur, producteur exécutif et directeur de NDP. Et d’ajouter : « Nous croyons que les événements basés sur l’hologramme que nous produisons deviendront un acteur-clé dans le Metaverse. Le public pourra revenir sur ces expériences plus tard ou assister à ces concerts virtuellement ».
Concept de son tridimensionnel Ce que le Metaverse promet, c’est de mélanger le monde numérique et le monde physique grâce à un appareil de type lunettes, afin de faire apparaître un univers entièrement virtuel où l’on peut sentir plus, vivre plus. Bref, sortir de son corps et de ses limites pour explorer autrement et au-delà. Comment ? « En mélangeant des technologies numériques. La manière dont ces éléments s’assembleront est un travail en cours, mais les investisseurs et les dirigeants, dont le PDG de Facebook, Mark Zuckerberg, sont surtout intéressés par le potentiel commercial. Ainsi, Zuckerberg a commencé à en faire le marketing sans expliciter l’idée au public », explique Hossam Sorour, informaticien et musicien expérimenté.
Que signifie le Metaverse pour l’avenir de la musique ? Une question que Sorour trouve délicate. Car selon lui, il fallait d’abord que la technologie mise en place soit prête pour le Metaverse. « Et ce, en établissant une norme industrielle commune. Jusqu’à présent, les diverses entreprises de réalité virtuelle (VR) recourent à des technologies différentes, donc des systèmes de fonctionnement qui ne sont pas compatibles avec tous les logiciels. Dans le domaine musical, il existe des logiciels qui sont compatibles avec le PC et d’autres qui ne fonctionnent que sur Mac. Mais pour la VR, c’est encore plus compliqué », affirmet- il. Toutefois, il conçoit que le domaine musical profitera du Metaverse. Selon lui, il répondra à un besoin plutôt stratégique à une époque où la pandémie a changé les modes d’interaction. Il est donc normal que l’art se numérise à son tour. « Déjà une nouvelle technologie vient de voir le jour cette année : Dolby Atmos. Celle-ci assure une meilleure distribution du son. Plutôt que de se baser sur des canaux comme c’est le cas avec les formats sur rounds habituels (gauche, droite, centre), le Dolby Atmos introduit le concept de son tridimensionnel grâce aux objets audio. Avec le Dolby Atmos, chaque son peut exister comme un objet audio indépendant, sans aucune restriction de canaux ».
Une fusion fan-idole
Le compositeur et arrangeur Amr Ismaïl partage la même opinion que Sorour et estime que « le Metaverse ajouterait une nouvelle dimension à la musique. Cette dernière, autrefois uniquement entendue, puis vue à travers les vidéoclips, serait aussi vécue à travers des techniques qui agiraient sur les yeux et les esprits. Les expériences musicales seraient immersives : une réelle réflexion se porte sur la possibilité d’un artiste à offrir une expérience rapprochée et privilégiée avec ses plus grands fans en les invitant à s’immerger dans son propre univers. Imaginez-vous avoir un accès étroit à votre artiste préféré en chattant avec lui dans sa propre maison virtuelle ? ». Mais les dimensions humaines et sociales réelles risqueraient-elles ainsi de disparaître ? « Combien de fois un fan auraitil la chance de rencontrer, dans le monde réel, son artiste préféré ? Dans le Metaverse, ceci serait beaucoup plus simple », répond-il.
Mohamed Nagla, jeune compositeur, croit que même si le contact entre les fans et les artistes devient plus facile, il faut des règles pour que l’artiste puisse filtrer ceux qui voudraient avoir accès à son monde. Il ajoute que le Metaverse permettrait l’épanouissement des genres musicaux peu présents sur la scène musicale égyptienne, tels le chillout ou la musique électronique. « Toutefois, le concert live restera le plus préféré ». Ismaïl ne s’y oppose pas, mais s’interroge : « Combien de compositeurs ou de groupes donnent-ils des concerts régulièrement ? Et puis, il ne faut pas oublier l’existence de certaines barrières temporelles et spatiales auxquelles s’ajoutent les barrières sanitaires ».
Nour, 14 ans, exprime son inquiétude quant à une vie numérique et connectée en ligne, même pour assister à des concerts. « J’imagine qu’avec le Metaverse, les gens se transformeront en des individus obèses et incapables de bouger à l’instar de ceux qui figuraient dans le film Wall-E produit par Disney-Pixar en 2008. La technologie est importante, mais il ne faut pas qu’elle affecte le contact humain ». Chams, 19 ans, trouve par contre que le Metaverse lui permettra d’assister aux concerts de sa chanteuse préférée, Taylor Swift, depuis son domicile. « En outre, de tels concerts pourraient rendre les concerts live moins bondés et plus organisés, ce qui peut éviter les mauvaises expériences comme ce qui s’est passé lors du concert meurtrier de Travis Scott qui a eu lieu en novembre dernier, lorsqu’un mouvement de foule a fait des morts et des blessés ».
La course vers le Metaverse n’en finit pas et déjà plusieurs plateformes souhaitent se positionner dans la nouvelle industrie de la musique grâce à des expériences musicales immersives. Où en est l’Egypte ? « L’Egypte est consommatrice. Les infrastructures seront établies par des sociétés géantes », souligne Sorour.
Ailleurs, on est déjà dans le « concret ». Jean-Michel Jarre s’est associé à la société détenue par le milliardaire russe Mikhail Prokhorov, Sensorium Corporation, qui construit un Metaverse numérique appelé Sensorium Galaxy. « Le Metaverse et la VR me font penser au début du cinéma comme les frères Lumière, à la fin du XIXe siècle, quand beaucoup de gens du théâtre disaient qu’ils n’étaient pas des acteurs ; un vrai acteur est quelqu’un sur scène devant un vrai public, mais alors le cinéma est devenu la forme d’art majeure. Nous savons que la réalité virtuelle est exactement dans la même situation aujourd’hui », a déclaré Jarre à la presse.
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