Néologismes, expressions en vogue, sigles … Les dictionnaires fleurissent de toutes les nouveautés. Chaque nouvelle réalité impose son propre vocabulaire, tantôt produit par les institutions, tantôt par les usagers. « La langue est le miroir et le reflet de la société : un constat incontestable comme le prouve la sociolinguistique. Pour être vivante, la langue doit évoluer, sinon elle tombera en désuétude et finira comme le latin par devenir une langue morte », explique ainsi Dr Rania Adel, cheffe du département de français à la faculté de langues de l’Université de Aïn-Chams. Et comme tous les ans, les nouveaux mots sont liés à l’actualité. Au top des mots de l’année 2021 : NTF, crypto et metaverse, nous dit le dictionnaire incontournable des pays anglo-saxons, le Collins, qui publie, chaque novembre, le « top 10 » des mots qui ont marqué l’année. La percée du terme NFT est remarquable avec une hausse de l’utilisation de 11 000 % par rapport à l’année précédente. Crypto, lui, arrive en 4e position et metaverse en 7e. NTF, c’est l’abréviation en anglais de « Non-Fungible Token », c’est-à-dire un jeton non fongible, une sorte de cryptomonnaie. Collins le définit comme « un certificat numérique unique, enregistré sur une blockchain, qui est utilisé pour enregistrer la propriété d’un actif tel qu’une oeuvre d’art ou un objet de collection ». « Blockchain », voilà un autre terme très « in », qui signifie un mode de stockage et de transmission de données sous forme de blocs liés les uns aux autres et protégés contre toute modification.
Trop compliqué ? Trop abstrait ? Pour beaucoup d’entre nous, certainement oui. Comme l’est cette nouvelle réalité dans laquelle nous nous trouvons progressivement plongés, malgré nous. A propos de réalité, il y a aussi la VR, « Virtual Reality » ou réalité virtuelle, une technologie qui permet une immersion dans un monde artificiel créé numériquement. Il peut s’agir d’une reproduction du monde réel ou bien d’un univers totalement imaginaire, une expérience à la fois visuelle, auditive et, dans certains cas, haptique. A ne pas confondre avec la AR (Augmented Reality), ou réalité augmentée, qui désigne, elle, une interface virtuelle, en 2D ou en 3D, qui vient enrichir la réalité en y superposant des informations complémentaires et qui fonctionne par l’intermédiaire d’un terminal qui filme le monde réel et y incruste en direct des objets virtuels, animations, textes, données, sons que l’utilisateur visionne à partir de l’écran.
2D, 3D, 4D, 5D ; la liste n’est pas près de s’achever. Le Metaverse est presque déjà là. Il nous propulse dans un avenir qui nous fait peur. Quid de la pandémie ? Elle reste omniprésente dans nos vies et nos esprits : si en 2020, « lockdown » (confinement) a été le mot le plus recherché, d’après le Collins, le terme « double-vaxxed » (vacciné deux fois) est tout de même n°2 du top 10 de 2021.
Des mots pour des maux
A côté de lui, toute une panoplie de mots qui ont envahi notre quotidien. A époque « covidisée », vocabulaire « covidien » ! Permettons-nous quelques néologismes ! En 2020, une bonne partie des nouveaux mots qui ont fait leur entrée en langue française est liée au même thème : la pandémie de Covid-19. Et la tendance s’est poursuivie en 2021 et se poursuit encore à en croire l’édition du Petit Robert de 2022. « En 2020-2021, plus de 70 mots ont fait leur apparition, il s’agit soit de mots nouvellement forgés, soit de mots qui ont subi un glissement de sens. Et en 2021-2022, il y aura 170 mots nouveaux. Des mots qui se forment par préfixation, comme télétravail, téléconsultation, reconfinement, ou par composition, comme mesures barrières, patient zéro. Des néologismes nés sous l’effet de nouveaux besoins de communication et d’expression. La pandémie a imposé sa terminologie : la langue ne fait qu’absorber les chocs sociaux et sociétaux », explique Dr Rania Adel. « Avez-vous fait votre vaxxie ? Et oui, c’est le nouveau mot de 2021, la contraction de vaccin et selfie, soit l’acte de se prendre en photo au moment de se faire piquer », dit-elle.
Quatorzaine, déconfinement, distanciation … Ces mots se trouvent désormais dans nos dictionnaires et dans nos vies. Parallèlement, il y a ceux qui existaient, mais qui n’ont jamais été autant utilisés : confinement, asymptomatique, comorbidité. Et les expressions de plus en plus vulgarisées : taux d’incidence, obligation vaccinale, chemin vaccinal, cas contact, tempête cytokinique, vague épidémique et immunité collective. On a appris à faire la différence entre une épidémie et une pandémie, connu les variants d’un virus et mémorisé quelques lettres de l’alphabet grec dont ils portent le nom ! Mais on a aussi manié les noms de médicaments ou de compagnies pharmaceutiques, les marques de vaccins, voire les nouveautés scientifiques. Qui ne sait pas aujourd’hui, ne serait-ce que d’une manière approximative, ce qu’est l’ARN-messager ?
Et puis tout d’un coup, le distanciel a commencé à faire partie de notre quotidien, on a découvert le télétravail, les visioconférences, avec tout ce qui va avec : Zoom et les petites innovations du type zoomapéro et skypéro. Il faut bien trouver des moyens pour s’acclimater à ce nouveau monde, communiquer, rester socialement reliés tout en étant connectés.
De la politique
Une langue qui évolue, ce sont aussi de petits soucis. Le Covid ou la Covid ? Un vrai-faux problème soulevé par les linguistes, mais qui prouve surtout que l’usage général l’emporte sur les règles dictées, que la langue est gérée par les utilisateurs et non par des institutions, puisque même si la prestigieuse Académie française a opté pour le féminin, c’est le masculin qui s’impose. Et le metaverse ? C’est metaverse, métaverse ou métavers ? La question n’est pas encore tranchée …
A côté de cela, le « politique » est venu s’y mêler, avec les anti-vaccins, les « vaccinosceptiques », voire les « vaccinophobes » ! Et ceux qui défendent ce qui a été considéré, en période de confinement, comme des activités « non essentielles ». La politique, c’est aussi et surtout la fameuse question : qui a le pouvoir ? Les nouveaux termes ont encore une fois donné lieu à une polémique : pourquoi utiliser les anglicismes ? Pourquoi dire « cluster » quand on peut dire « foyer de contamination » ? « tracking » au lieu de « traçage numérique » ? « booster shot » plutôt que « dose de rappel » ? Les plus puristes parmi les linguistes français se défendent. Ils se penchent aussi sur les plus infimes détails. Distanciation physique ou sociale ? Là aussi, on pointe l’anglicisme, car en français, disent les linguistes, distanciation sociale signifierait entre les classes sociales. Il faut donc privilégier distanciation physique. Qu’importe ! Qui s’en soucie ?! Au diable « physique » ou « sociale », la distanciation, on n’en veut pas, tout simplement !
Si maintenant nous nous projetons dans le monde virtuel de demain, autant accepter les vérités d’aujourd’hui. L’anglais règne en maître, ce n’est pas nouveau. Pour Dr Rania Adel, c’est tout à fait normal que « toute puissance impose sa langue, il n’est donc pas étrange que les anglicismes abondent et soient utilisés dans toutes les langues ». Tout est question de pouvoir. « Durant le Moyen Age, conclut-elle, c’est la civilisation arabo-islamique qui prônait, et par la suite nombre de termes arabes furent intégrés dans les langues latines, à l’instar de toubib, algèbre, zéro. Aujourd’hui, nous assistons à l’américanisation des langues. Les jeunes préfèrent dire c’est top au lieu de dire c’est superbe. Le numérique est plutôt digital et ce qui est intéressant est plutôt cool. On passe notre temps à scroller et à twitter pour être dans l’air. Face à cet état de choses, les puristes tentent de préserver les règles classiques contre ces ondes de choc. Mission impossible, la société évolue et la langue la suit ».
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