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Sans nul doute, nous ne pourrons plus revenir à la coopération d’autrefois », déclarait le président américain Barack Obama, dans un entretien sur CNN. Obama, qui analysait les événements en Egypte depuis l’éviction de Mohamad Morsi par l’armée, faisait référence à la coopération économique et militaire entre Le Caire et Washington depuis les années 1970. Obama se préparait à une rencontre avec ses conseillers en politique étrangère dans ladite « situation room » à la Maison Blanche pour décider s’il faut ou non couper l’aide de 1,55 milliard de dollars versée chaque année par son pays dans un compte égyptien à la banque fédérale de New York. Le nouveau régime instauré par le général Al-Sissi est au coeur de la tourmente. L’Occident multiplie les menaces de suspension de l’aide financière, sans toutefois parler de « coup militaire », un mot peut-être lourd de conséquences. Le président américain, en tout cas, pense qu’un gel de l’aide « ne changerait finalement rien à la situation ». « Vous savez, l’aide en soi ne va pas inverser ce qui a été fait par le gouvernement intérimaire », a-t-il dit encore à la télé. Pas très difficile de comprendre le dilemme de l’Administration américaine. Elle ne veut pas soutenir un régime opposé à ses « valeurs démocratiques », mais ne veut pas pour autant perdre son alliance stratégique avec un pays-clé de la région. Les dirigeants américains ont régulièrement justifié l’aide versée à l’Egypte qu’ils considèrent comme un investissement dans la stabilité régionale, bâtie autour de la coopération militaire et du maintien du traité de paix égypto-israélien de 1979.
En approuvant l’aide de l’année fiscale 2012-2013, le Congrès américain écrivait : « Les Etats-Unis continuent d’avoir des inquiétudes considérables sur les intentions et les actions des Frères musulmans et sur le fait de savoir si le gouvernement du président Morsi est vraiment engagé pour une Egypte démocratique et pluraliste ». Le Congrès pense également que les relations militaires, de longue date, entre Washington et l’armée égyptienne doivent « rester un pilier essentiel et une composante de l’engagement des Etats-Unis en Egypte ».
Deuxième bénéficiaire de l'aide après Israël
Entre 1948 et 2011, les Etats-Unis ont fourni à l’Egypte un total de 71,6 milliards de dollars, dont 1,3 milliard par an d’aide militaire depuis 1987. Et depuis 1979, l’Egypte a été le deuxième bénéficiaire, après Israël, de l’aide étrangère américaine. Pourtant en juillet 2007, l’administration de George W. Bush a signé un mémorandum d’entente de 10 ans avec Israël pour accroître l’aide militaire de 2,4 milliards de dollars à plus de 3 milliards de dollars avant 2018. L’Egypte, elle, n’a reçu aucune augmentation mais a continué à bénéficier de la somme décidée il y a 35 ans et dont 80 % profite directement aux entreprises américaines, liées avec l’Egypte par des contrats d’armements jusqu’en 2018 (lire détails page 5).
Parallèlement, l’aide économique a été revue à la baisse passant de 815 millions de dollars en 1998 à 411 millions 10 ans plus tard. En 2009, elle n’était plus que de 200 millions de dollars. Avec l’arrivée d’Obama en 2010, l’aide économique a été augmentée de quelque 50 millions de dollars pour atteindre un total de 250 millions. Et l’Egypte est ainsi devenue, selon un rapport du Congrès américain, daté du 27 juin, le 5e bénéficiaire de l’aide américaine derrière Israël, l’Afghanistan, le Pakistan et l’Iraq.
L’embarras dans lequel se trouvent les preneurs de décision américains a été « expliqué franchement aux Egyptiens », explique un haut diplomate à Washington. Selon le diplomate qui a requis l’anonymat, l’Administration Obama a récemment négocié avec Le Caire la possibilité de suspendre une partie de l’aide, jusqu’aux élections parlementaires, pour réduire les pressions du Congrès, notamment l’opposition républicaine, pour qui le dossier de l’aide était une occasion pour attaquer l’Administration démocrate. Les Egyptiens ont en gros dit aux Américains, « c’est votre choix, mais vous ne recevrez plus la contrepartie de cette aide », résume le diplomate. Le premier ministre Hazem Al-Beblawi l’a formulé dans un langage plus diplomatique : « Si cette aide venait à être suspendue, ce ne serait pas la fin du monde et nous pouvons vivre dans des circonstances différentes ». Il brandissait peut-être la carte russe. L’Egypte avait bénéficié, par le passé, de l’armement soviétique. Un nouveau retour dans les arènes de Moscou ne serait certes pas si facile et ce n’est pas ce que craignent le plus les Américains. Ceux-ci ont les yeux braqués sur la paix avec Israël. Ils ne veulent pas qu’on touche à cette paix, quel que soit le prix. Un diplomate occidental à New York explique ainsi comment les Américains et les Russes ont exigé que la réunion à huis clos du Conseil de sécurité sur l’Egypte n’émette aucun communiqué. Réuni à la demande de la France, l’Angleterre et l’Australie, le Conseil de sécurité s’est contenté d’un point de presse par le pays président condamnant la violence et appelant au dialogue. Et selon le diplomate, « les Européens comprennent les appréhensions américaines et sur le fond leurs positions restent presque identiques ».
12 milliards d'aides arabes
En réunion d’urgence à Bruxelles, les ministres des Affaires étrangères européens ont hésité à toucher à l’aide financière, et ont juste suspendu la livraison d’équipements de sécurité. Une mesure dont l’impact est très limité car 10 fois moins importante que l’aide militaire américaine. Fin 2012, l’UE débloque une somme importante pour l’Egypte. Il s’agit de 6,7 milliards de dollars pour la période 2012-2014 mais sous forme de prêts et de garanties bancaires.
Les Arabes ont déjà promis le double à l’Egypte. Riyad, Koweït et Abu-Dhabi se sont engagés à fournir au gouvernement de l’après-Morsi une aide de 12 milliards de dollars dont 5 milliards sont déjà parvenus au Caire. (lire page 5). « Mais pour l’Egypte, les Arabes ne peuvent pas compenser des relations avec 27 pays européens et un marché économique important », précise Fakhri Al-Feqqi, économiste et ancien conseiller à la Banque mondiale, en allusion à une balance commerciale entre l’UE et l’Egypte autour de 30 milliards de dollars, selon les chiffres de la Commission européenne en 2012. Un risque que l’économie égyptienne ne peut pas prendre. Elle souffre déjà depuis la révolution de 2011, et les efforts pour stabiliser le déficit budgétaire du pays courent le risque d’exacerber les tensions sociales, alors que près de trois quarts du budget national sont consacrés aux salaires de l’Etat, aux subventions et au paiement des intérêts de la dette. Selon le rapport du Congrès américain, l’Egypte est dans une situation de « stagflation », une combinaison de « stagnation » et d’« inflation » avec une croissance faible ou presque nulle. En 2012, le PIB réel de l’Egypte a progressé de 2,2 %, un chiffre qui dépasse à peine celui de la croissance démographique du pays. En 2011, le PIB réel avait progressé de 1,7 %. La dette intérieure augmente et la dette extérieure aussi alors que les réserves de change ne cessent de baisser.
Le plan d’aide du FMI à l’Egypte, d’un montant de 4,8 milliards de dollars, est au point mort.
Une bonne nouvelle pour les adversaires de l’endettement qui se sont lancés dans une farouche campagne contre le prêt du FMI sous le slogan « Ouvrez les yeux, les dettes sont retirées de votre poche ». Une autre campagne plutôt symbolique a été lancée pour compenser l’aide américaine. Un prédicateur salafiste, proche de l’armée, avait, durant la transition gérée par le Conseil militaire du maréchal Tantawi (2011-2012), entamé une collecte pour compenser l’aide américaine, en pleine crise avec les Américains sur le procès des ONG des droits de l’homme oeuvrant en Egypte. Personne ne sait qu’est devenu l’argent collecté, mais pour l’instant tout le débat sur l’Occident ne semble servir que la rhétorique nationaliste des militaires.
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