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Etat d’urgence : Une page tournée

Lundi, 01 novembre 2021

Conséquence logique du rétablissement de la stabilité en Egypte et de la victoire contre le terrorisme, la levée de l’état d’urgence ouvre la voie à une nouvelle phase. Explications.

Etat d’urgence : Une page tournée
L’opération « Sinaï 2018 » a permis de détruire la structure organisationnelle des groupes terroristes.

Ahmed Eleiba,

Chercheur au CEPS

La loi d’urgence en Egypte remonte à 6 décennies, durant lesquelles elle n’a été annulée que rarement et pour de courtes durées. La décision du président Abdel-Fattah Al-Sissi annoncée le 26 octobre dernier sur la non-prolongation de l’état d’urgence représente une exception. Le timing de cette annonce n’est pas anodin : aucune raison sécuritaire ne nécessite la prorogation de la loi d’urgence. Ce qui prouve que son application pendant la phase de l’après-30 Juin 2013 a été motivée par des raisons purement sécuritaires, sans être instrumentalisée à des fins politiques. Par conséquent, avec l’amélioration des conditions sécuritaires, la loi n’a pas été prorogée, comme l’a expliqué le président Sissi.

Dès le lendemain de l’annonce, la Bourse a connu un essor important. Un effet positif attendu, alors que cette décision s’inscrit dans le cadre du renforcement de la démocratie par l’Etat. Elle intervient suite à la recomposition du Conseil national des droits de l’homme et au lancement de la première stratégie nationale des droits de l’homme et alors que l’année 2022 a été proclamée « Année de la société civile en Egypte ». Autant d’indices qui témoignent d’une volonté politique de l’Etat de renforcer les droits de l’homme, les libertés et le pluralisme politique.

Ainsi, les estimations sécuritaires sur lesquelles a été basée cette décision confirment que les lois d’exception n’ont plus de raison d’exister à un stade où la stabilité politique et sécuritaire est assurée. Selon les indices sur la situation sécuritaire, surtout au Sinaï, la péninsule a repris une vie normale après l’endiguement de la vague féroce de terrorisme qui y sévissait. Une réussite qui revient aux efforts de la lutte antiterroriste menés par les forces armées égyptiennes au Nord-Sinaï. Le terrorisme avait été favorisé par un contexte régional perturbé et qui s’est accentué suite à la prise du pouvoir en Egypte en 2012 par les islamistes et leur chute en 2013. Et là, il faut surtout noter que l’Egypte a été le seul pays à combattre le terrorisme sans soutien étranger.

Le terrorisme a commencé à connaître une courbe descendante au Sinaï depuis le lancement de l’opération militaire globale antiterroriste « Sinaï 2018 ». Une victoire, puisqu’elle est parvenue à détruire la structure organisationnelle des groupes terroristes et à dessécher leurs ressources en armes, éléments et argent, mais aussi à sécuriser les frontières occidentales avec la Libye, qui étaient une source extrême de menace vu la domination du terrorisme en Libye. Un an à peine après le lancement de l’opération, l’Egypte ne figurait plus sur la liste des 10 premiers pays les plus touchés par le terrorisme sur l’indice mondial du terrorisme. De plus, selon une étude effectuée début 2021 par un organisme égyptien, sur 110 actes terroristes perpétrés en 2020 dans des pays de la région qui vivent sous la coupe des crises et des conflits, 7 opérations ciblant des civils ont eu lieu au Nord-Sinaï. Aujourd’hui, on constate qu’après cette victoire dans la guerre antiterroriste, les forces armées veillent à éviter tout retour du terrorisme par le biais de mesures préventives et par une vigilance sécuritaire accrue.

La lutte antiterroriste ne s’est pas restreinte à l’aspect militaire, elle a aussi inclus un processus de développement de la péninsule, l’objectif étant de briser son isolement et d’éviter qu’elle soit ré-exploitée par les groupes terroristes. C’est ainsi que pour la première fois dans son histoire, cette région connaît un développement à grande échelle, avec un budget proche de celui consacré au développement du reste du pays. Lors du dernier séminaire des forces armées tenu à l’occasion de la commémoration de la victoire d’Octobre 1973, le président Sissi a déclaré : « L’Etat tentait de compenser trois décennies de négligence du Sinaï ». Ce qui marque la conscience de l’Etat du lien entre le développement et la lutte contre le terrorisme.

Nouvelle configuration politique

Par ailleurs, il faut savoir que l’annulation de l’état de l’urgence ne risque pas de favoriser la résurgence du terrorisme comme le redoutent certains. L’Etat a déjà promulgué de nombreuses lois qui permettent d’appliquer un nombre de procédures en mesure d’assiéger le terrorisme sans toutefois recourir à la loi d’urgence. A l’exemple de la loi sur la lutte contre le terrorisme, qui définit clairement le terrorisme et les groupes terroristes, ainsi que les mesures et les procédures à adopter à leur égard. Ainsi, avec l’annulation de l’état de l’urgence, les tribunaux d’urgence seront annulés, mais la mise en vigueur ne sera pas rétroactive, et ils poursuivront les procès qu’ils examinaient avant l’émission de cette décision.

La société civile et la classe politique se sont dit ravies de l’annulation de la loi d’urgence, qualifiant la décision d’« historique ». Désormais, les ONG et les partis politiques ont à répondre à la stratégie nationale des droits de l’homme qui appelle à sceller la culture des droits de l’homme et du pluralisme. Or, auparavant, ils étaient habitués à jouer un rôle dépendant de l’Etat ou simplement à critiquer l’Etat. Aujourd’hui, bien qu’il n’existe pas de parti présidentiel, les partis semblent être toujours fragiles et fragmentés. Auparavant, ils imputaient leur faiblesse aux restrictions qu’impose la loi d’urgence. Après son annulation, ils doivent relever le défi de jouer un rôle politique tangible.

Sur un autre volet, l’imposition de l’état d’urgence a longtemps valu à l’Egypte des critiques à l’étranger. Des critiques qui ne prenaient pas en considération les nécessités de la sécurité nationale et qui omettaient souvent les grands progrès qu’a connus le pays au cours des dernières années et dont ont profité des millions de citoyens. Aujourd’hui, ce ne sera plus le cas, et l’Egypte n’aura pas besoin de répliquer à ce genre de critiques, surtout que la décision émane d’une volonté sincère de réforme. Cela dit, la décision ne vient pas suite à des pressions quelconques externes ou internes, comme c’était le cas après la Révolution de 2011. Au contraire, cette fois-ci et pour la première fois, elle vient refléter l’état de sécurité et de stabilité politique dans le pays. Autre point positif à constater, l’annulation de l’état d’urgence intervient conjointement avec le lancement de la stratégie globale de droits de l’homme, qui inclut la société civile au processus de réforme.

Autant d’indices positifs qui laissent prévoir une plus grande amélioration durant 2022, afin de tourner la page de la loi d’urgence en Egypte. Reste que la leçon tirée de l’expérience de la loi d’urgence est que sa mise en vigueur pendant les périodes de stabilité risque de ligoter les efforts vitaux de l’Etat dans tous les domaines, en particulier politique et économique.

L’état d’urgence de 1956 à 2021

Novembre 1956

Déclaration de l’état d’urgence par le président Gamal Abdel-Nasser et création des tribunaux de sûreté de l’Etat.

Avril 1964

Levée de l’état d’urgence.

Juillet 1965

Décret républicain en faveur du maintien de l’état d’urgence dans le Sinaï.

Juin 1967

Décret républicain rétablissant l’état d’urgence.

Mai 1980

Le président Anouar Al-Sadate lève l’état d’urgence.

Juin 1980

L’état d’urgence est décrété dans les zones proches des frontières occidentales de l’Egypte.

1981

Le président Hosni Moubarak déclare l’état d’urgence.

Septembre 2011

Le Conseil suprême des forces armées apporte des modifications à la loi sur l’état d’urgence.

Janvier 2012

Le Conseil suprême des forces armées suspend l’état d’urgence, celui-ci s’applique seulement aux crimes violents.

Août 2013

Le président Adly Mansour déclare l’état d’urgence pour une durée d’un mois sur l’ensemble de la République.

Octobre 2014

Le président Abdel-Fattah Al-Sissi déclare l’état d’urgence au Nord-Sinaï.

Octobre 2014 et avril 2015

Sissi décide de déléguer au premier ministre les pouvoirs du président de la République.

Avril 2015

L’état d’urgence est décrété au Nord-Sinaï.

Octobre 2021

Le président Sissi décide de lever l’état d’urgence dans l’ensemble de la République.

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