Présentée en compétition à Cannes, puis à Al-Gouna, la longue fiction du réalisateur marocain Nabil Ayouch offre un portrait musical des milieux défavorisés de Casablanca. L’action de
Haut et fort (
Casablanca Beats) se déroule dans le quartier pauvre de Sidi Moumen, décrit comme le Bronx marocain ; elle nous plonge dans l’univers d’une jeunesse portée par le hip-hop. Un ancien rappeur vient enseigner son art dans un centre culturel, situé en banlieue. Chacun des élèves tente de raconter sa propre histoire. Ils parlent surtout religion et politique, réclament leur liberté, car faire du rap c’est aussi aller contre la tradition familiale et évoquer des sujets tabous.
Les interprètes du film ne sont que des jeunes du centre culturel Les Etoiles de Sidi Moumen, créé par la fondation Ali Zaoua en 2014 (ndlr : cette fondation est lancée par le réalisateur lui-même et porte le titre de l’un de ses meilleurs films). Ayouch, qui a écrit le long métrage avec sa femme, Maryam Touzani, a voulu livrer en images une confrontation de rap, entre vieux et jeunes, opposant des mentalités diverses. Il aurait pu faire une oeuvre profonde remplie de couleurs, de musiques et de discussions, mais souvent les discours trop longs et trop directs étaient lassants et redondants. Ils altéraient la fraîcheur des jeunes interprètes, plus doués les uns que les autres.
Le jeune héros du court métrage Nour Chams, de la journaliste et réalisatrice saoudienne Faïza Ambah, a lui aussi recours au rap, pour remédier à ses problèmes. Il cherche à participer à un concours musical avec l’espoir de remporter le prix et bénéficier d’un séjour à l’étranger. Ambah a toujours un côté tendre, drôle et grave à la fois. Il y a quelques années, elle avait tourné Mariam, un film sur le hidjab en France, relatant l’histoire d’une brillante écolière qui se voit refuser l’entrée dans sa classe car elle porte le voile. Cette fois-ci dans Nour Chams, on a affaire à un jeune homme issu d’un mariage mixte entre un père yéménite et une mère saoudienne, qui a la peau trop foncée, tout comme sa grand-mère, autrefois esclave.
Le sujet doublement tabou est traité avec une grande finesse. La mère, qui a peur d’être abandonnée par son fils, comme elle l’a été par le père, s’empare du passeport du premier pour l’empêcher de partir. A plusieurs endroits du film, on les voit fredonner ensemble le refrain d’une chanson célèbre de la star golfienne Abdel-Rab Idriss, Leilat Omr (s’il me reste une seule nuit à vivre), un thème que le jeune rappeur reprend dans la chanson finale du film, mélangé à d’autres paroles s’adressant à sa mère.
Le football, espoir de vie meilleure
Nour Chams.
En 75 minutes, le long documentaire Capitaines de Zaatari met en scène deux jeunes réfugiés syriens du camp de Zaatari, installé en Jordanie depuis 2012. Fawzi et Mahmoud s’y entraînent pour réaliser leur rêve et devenir joueurs professionnels de football. Pour ces derniers, la balle à leurs pieds est le seul moyen de connaître un monde au-delà des clôtures de ce plus grand camp de réfugiés au Moyen-Orient, abritant quelque 80 000 personnes. Le réalisateur-producteur égyptien Ali Al-Arabi a eu l’idée du film, en rassemblant des reportages vidéo du camp pour les Nations-Unies et la Ligue arabe. Il est tombé sur des matchs de football décousus et passionnés, joués par les jeunes Syriens du camp. Et a donc décidé de travailler dessus, collectant lentement le matériel nécessaire à son premier long métrage dont le tournage et la préparation ont duré 7 ans. Durant ce temps, il a appris à mieux comprendre la dynamique et le monde interne des joueurs, fredonnant de temps en temps des airs de Abdel-Halim Hafez ou d’autres chansons plus modernes, accompagnant leurs rêves. Ils sont sélectionnés pour rejoindre une académie sportive au Qatar, qui recrute des joueurs doués ou des jeunes espoirs. Leur vie bascule. Un success-story qui a quand même quelque chose de déjà-vu.
Tous nos hommes sont en enfer
Capitaine Volkonogov s’est échappé.
Des corps suppliciés et du sang qui coule aux yeux de tous. Le drame se situe en 1938. Le régime torture et exécute des innocents, sans raison, s’inventant des ennemis pour se maintenir en place. Tout au long du film, le chant soviétique Plaine, ma plaine donne la cadence. Composé en 1934 par Lev Knipper pour les parties chorales de sa quatrième symphonie Poèmes aux jeunes soldats, le chant était souvent interprété par l’armée Rouge ; on prétend qu’il a été écrit pendant la Révolution russe.
Le couple de réalisateurs, Alexei Chupov et Natasha Merkulova, l’a brillamment utilisé, afin de raconter la purge stalinienne dans leur thriller politique Capitaine Volkonogov s’est échappé (Captain Volkonogov Escaped). Projeté avec succès à la dernière Mostra de Venise, il n’est pas sans rappeler leur percée au même festival avec L’Homme qui a surpris tout le monde, produit en 2018.
Dans leur nouveau film, on entend les voix des hommes du NKVD chanter en chorale Plaine, ma plaine à des moments différents du drame. « Les jeunes filles pleurent, aujourd’hui, les jeunes filles sont tristes. Leurs amants sont partis pour longtemps. Ah ! Leurs amants sont partis à l’armée », répète-t-on. Capitaine Volkonogov et ses collègues étalent leurs prouesses sportives et combatives, aux rythmes de la chanson, avant d’être condamnés l’un après l’autre.
Entre août 1937 et novembre 1938, plus d’un million et demi de personnes sont arrêtées, dont 800 000 sont condamnées à mort. Un nombre à peu près équivalent était condamné à une peine de dix ans de travaux forcés dans les camps du Goulag. L’époque de la grande terreur. Staline avait planifié des opérations répressives, mises en oeuvre par l’immense appareil de la sécurité de l’Etat. Les unes ciblaient des citoyens ordinaires, puis d’autres menées parallèlement visaient les élites politiques, intellectuelles et militaires. « Ils plaident tous leur innocence, y insistent, car ils le sont vraiment », dit l’un des responsables, exécutant les ordres.
Faire son mea culpa
Volkonogov, un capitaine du service national de sécurité, prend la fuite, avec un dossier comprenant les adresses de plusieurs victimes, afin de révéler toute la vérité à leurs familles et implorer leur pardon. Son meilleur ami a été exécuté, et dans l’un de ses cauchemars, ce dernier lui confie : « J’ai été tout droit en enfer, tous nos hommes sont là-bas ». Kolonogov semble englué dans une malheureuse répétition. Il passe d’une maison à un bureau, rencontre des pères, des mères, des maris, des enfants, leur expliquant qu’un des leurs a été torturé jusqu’à avouer des crimes qu’il n’avait pas commis, cependant, il n’a jamais été parmi les ennemis de la patrie.
Le capitaine veut échapper à l’enfer, en expiant ses fautes, mais l’enfant de l’une des victimes à qui il a rendu visite lui affirme dans la plus grande simplicité : « Personne ne te pardonnera ». D’une incroyable puissance, cette coproduction entre la Russie, la France et l’Estonie mérite bien le prix Cinéma pour l’humanité. On sort du film avec la peur dans l’estomac, tout en fredonnant l’air de la chanson.
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