Douze espaces d’art, situés au centre-ville du Caire, accueillent un large éventail d’oeuvres signées par des plasticiens égyptiens et étrangers, toutes disciplines et techniques confondues. Et ce, dans le cadre de la première édition de l’événement artistique Cairo International Art District (CIAD), organisé par la société privée Art d’Egypte, en coopération avec la société Ismaïliya pour les biens immobiliers, propriétaire des lieux de l’exposition.
Amado Alfadni évoque l’histoire d’un parfum soudanais qui a envahi l’Afrique.
The Factory, à la rue Nabarawi, accueille les oeuvres de 18 artistes sous le titre de Tangled Structures (structures enchevêtrées). L’installation de Hany Rashed est proche d’un jeu de simulation sociale fait d’ironie et de déformation. « J’aime procrastiner, temporiser à l’infini. La répétition des mêmes choses et faits me tue. Les algorithmes, aujourd’hui omniprésents sur Internet, ont un pouvoir monstre dans notre vie quotidienne, et cela me tue encore davantage. Pourquoi leur accorde-t-on une confiance si aveugle ? », se demande Rashed. L’artiste italien Michelangelo Bastiani expose une vidéo avec la technologie des hologrammes, évoquant la figure sacrée du dieu chat chez les Anciens Egyptiens, Bastet. En vidéo, un chat tigré se trouve dans un bocal en verre. « Fille de Ra et d’Isis, déesse de la protection contre les maladies et les mauvais esprits, Bastet était à l’origine une féroce guerrière lionne, la déesse du soleil, vénérée tout au long de l’histoire de l’Ancienne Egypte. Plus tard, elle devint Bastet, la déesse chat à l’aspect plus doux », explique Bastiani.
Plus loin, Sherin Guirguis s’inspire de l’idée du moucharabieh pour créer son installation Qasr Al-Choq (le palais du désir), selon le titre de l’oeuvre de Naguib Mahfouz. L’installation de Guirguis revêt la forme de bijoux arabes traditionnels et celle d’un corps féminin, un corps qui « passe de la beauté passive à la vibration et à la menace », indique Guirguis.
Système est le titre de la peinture murale formée de sept plaques en bronze, de l’artiste suisse Sandrine Pelletier. Visionneuse des moments de calme et de désordre vécus peu après le début du Printemps arabe au Caire, Pelletier aborde son rapport au temps et à la vie, en s’immergeant dans des histoires de plusieurs lieux et personnes.
Le Chanel n°5 de l’Afrique
Une belle promenade artistique
au centre-ville du Caire
L’artiste soudanais Amado Alfadni participe avec son installation Bint El Sudan. « Bint El Sudan est un parfum soudanais largement utilisé en Afrique de l’Ouest et de l’Est. En 1920, Eric Burgess crée le parfum Bint El Sudan dans les laboratoires WJ Bush à Londres. Il est devenu un best-seller, en particulier dans les années 1970, et était surnommé le Chanel n°5 de l’Afrique. Au cours des années 1990, lorsque le Soudan a connu des changements politiques et sociaux massifs, l’identité soudanaise a été ébranlée, le design de l’étui du parfum est devenu un outil de propagande de l’Etat », raconte Alfadni, qui aborde à sa façon les questions d’ethnicité au Soudan.
A l’espace Access, à l’étage, d’autres artistes exposent sous le titre Fragments of A Land (fragments de terre). La statue en paille d’Ahmed Askalany représente un fidèle ou un soufi, on dirait un ascète. Plus loin, une sculpture d’Ahmed Karaly fait allusion à l’évolution de l’architecture islamique et sa reformulation aux temps modernes.
Les sculptures en gypse blanc de Maged Mikhael sont dotées de motifs populaires et ruraux, très égyptiens et très contemporains à la fois. Décorés de lotus bleus et de la couronne d’Horus, ses personnages répétitifs, agencés en série, ont le dos tout droit et attendent de pied ferme, tout en respect.
Voix de femmes
Toujours à l’espace Access, Caroline Berzi allie l’esthétisme et les causes de l’environnement à travers des installations-peintures en 3D revêtant la forme de paysages floraux. Le floral, c’est ce qui caractérise également les deux peintures de l’artiste Nazli Madkour, datant de 2018. Son jardinage poétique, aux jeux contrastés et imaginatifs qui s’enchevêtrent, s’emmêlent et s’entrelacent dans de belles compositions abstraites, complexes et contrastées, est brillamment harmonisé dans un monde de sens et de sensations, miroirs d’émotions humaines multiples.
En toute liberté, la toile The Two Prisonners de Weaam El-Masry, réalisée au fusain et au crayon, soulève tant de questionnements sur ce rapport homme/femme, oscillant entre conflit et fantasme. Aux corps obèses, les protagonistes d’El-Masry se regardent en face dans le miroir sociétal.
On se promène encore plus loin, et l’on tombe sur les oeuvres de 12 artistes prometteurs, relativement plus jeunes, qui exposent au 36 rue Abdel-Khaleq Sarwat, sous le titre de Verve. Leur art conceptuel soulève également des questions liées à l’identité culturelle et sociale. C’est le cas des deux monoprints de Rawan Abbas, travaillés sur tissu en laine et brodés aux fils blanc et noir, comme le dualisme de la vie.
Dans sa peinture Nycticorax Nycticorax, Rana Samir accentue le bihoreau gris, un oiseau légendaire entouré de motifs égyptiens mythiques, un lézard, un rhinocéros, des poivrons rouges, des fleurs de lotus, des corps exotériques en état de prosternation, des idoles sacrées… Le tout reflète un échange fantastique et intense entre l’environnement, l’imagination et l’identité.
La promenade artistique peut durer encore des heures, en bougeant le catalogue en main d’une adresse à l’autre, pour découvrir les créations de 60 artistes, très différents les uns des autres.
Les expositions se déroulent aux adresses suivantes : Access: 10, rue Al-Nabarawi ;The Factory: 6, rue Hussein pacha Al-Meamari ;
Magasin no36: rue Abdel-Khaleq Sarwat ; Passage Kodak: 20, rue Adli ; Cinéma Radio: 24, rue Talaat Harb.
Lien court: