Après une interruption de dix ans, les livraisons de gaz naturel de l’Egypte vers le Liban via le gazoduc arabe devraient prochainement reprendre. C’est le résultat de la rencontre qui a réuni le 8 septembre les ministres égyptien, jordanien, syrien et libanais de l’Energie à Amman. Les quatre pays se sont entendus lors de cette rencontre sur «
un plan d’action et un calendrier » pour acheminer du gaz égyptien vers le Liban via la Syrie et la Jordanie. «
L’Egypte fera tout son possible pour que ce plan soit un succès. Elle oeuvre à acheminer sans retard le gaz au Liban conformément aux directives du président Abdel-Fattah Al-Sissi d’aider le Liban à surmonter sa crise énergétique », a déclaré le ministre du Pétrole et des Ressources minérales, Tarek El-Molla. En fait, cette rencontre a eu lieu deux jours avant que le Liban ne forme un nouveau gouvernement le 10 septembre, après 13 mois de vide politique qui a profondément aggravé la crise économique. Selon la Banque mondiale, il s’agit de l’une des pires crises économiques de l’histoire depuis 1850. La monnaie libanaise a perdu 90 % de sa valeur depuis 2019, alors que l’inflation a grimpé à 200 %. 78 % de la population libanaise vit en dessous du seuil de pauvreté. La pénurie de carburant est aujourd’hui au coeur de tous les autres problèmes au Liban. Depuis le mois d’août, les coupures de courant atteignant plus de 22 heures par jour ont paralysé les services et les activités des hôpitaux, restaurants, magasins et industries.
Cette réunion intervient aussi après une rencontre organisée le 4 septembre à Damas entre les responsables syriens et libanais, la première du genre depuis dix ans. Toutes ces démarches ont commencé après que Washington avait annoncé, fin août, donner son feu vert au Liban de négocier avec Damas son approvisionnement en énergie. Mais pourquoi les Etats-Unis ont-ils changé de position ? Cette annonce a été faite à peine un jour après que le Hezbollah avait déclaré son intention de prendre unilatéralement le contrôle de la situation et d’importer du carburant de l’Iran. Hassan Nasrallah, chef du parti chiite, est allé plus loin en demandant à l’Iran d’entamer l’exploitation de gisements pétroliers dans les eaux méditerranéennes. Pour contrebalancer l’influence iranienne, Washington a décidé d’exclure la Syrie des sanctions américaines, tout en insistant sur le fait que les sanctions sur le carburant iranien sont toujours en vigueur.
Que dit l’accord ?
Selon la feuille de route posée par cette réunion quadripartite pour que la vie reprenne au Liban, les équipes techniques des quatre pays procèderont à tous les examens nécessaires pour la reprise de l’approvisionnement en gaz dans quelques semaines. Les équipes vérifieront également les infrastructures afin de décider de la date de reprise de l’approvisionnement. Une autre réunion se tiendra bientôt en vue de définir un plan d’action pour fournir de l’électricité au Liban depuis la Jordanie à l’aide du réseau électrique syrien et réactiver le « gazoduc arabe ». Cette ligne arabe de gaz est l’un des plus importants projets de coopération du monde arabe, dont la mise en service a débuté en 2003. La Syrie, le Liban et l’Egypte étaient les premiers signataires du mémorandum d’entente en 2000. La Jordanie les avait rejoints un an après. C’est en 2011que les livraisons de gaz égyptien au Liban ont été suspendues à cause du conflit syrien (voir page 5).
Selon Bassam Tohmé, le ministre syrien, « la ligne de gaz arabe reliant la Syrie à la Jordanie était prête malgré le fait qu’elle ait été prise pour cible » depuis le début de la guerre en 2011. Pour sa part, la ministre jordanienne de l’Energie, Hala Zawati, a indiqué que « les infrastructures sont quasiment prêtes, mais il y a des réparations à prévoir ». Quant au ministre libanais Raymond Ghajar, il a dévoilé qu’« une seule centrale est équipée pour fonctionner au gaz », estimant que l’importation de gaz naturel pourrait permettre de produire près de 450 mégawatts, ce qui nécessiterait, selon lui, 600 millions de mètres cubes de gaz.
Mais quand le gaz égyptien arrivera-t-il au Liban ? « L’Egypte va pomper le gaz au Liban d’ici trois semaines. Toutes les parties se sont mises d’accord pour exporter le gaz égyptien vers le Liban avant le début de la saison de l’hiver », a expliqué El-Molla. « Nous devons revoir la validité du gazoduc suspendu depuis longtemps, afin que la livraison du gaz puisse commencer », a-t-il déclaré, avant d’ajouter que la livraison du gaz égyptien vers la Jordanie avait repris en 2018 sans aucun problème : « Nous pompons actuellement de 35 à 70 millions de pieds cubes par jour vers la Jordanie, et ce qui est requis par le Liban c’est de lui livrer 60 millions de pieds cubes par jour. Nous sommes toujours prêts pour toute demande supplémentaire ».
Réduire l’influence de l’Iran
Selon Mona Soliman, politologue, cet accord de coopération quadripartite qui vise à aider le Liban à surmonter la crise d’électricité « aura des répercussions régionales très larges et apportera aux parties concernées de multiples bénéfices ». L’initiative américaine a pour but de réduire l’influence iranienne au Liban et d’empêcher le Hezbollah d’exploiter la distribution des carburants iraniens afin de gagner des voix lors des élections législatives prévues en mai 2022. En outre, cet accord peut ouvrir la voie à exclure la Syrie des sanctions américaines. Selon des observateurs, l’accord conclu entre les Etats-Unis et la Russie pour fournir une aide humanitaire internationale, dans le nord de la Syrie, était considéré aussi comme une démarche supplémentaire vers la reconnaissance américaine du régime syrien.
« Le succès de ce projet aura aussi des répercussions positives sur les tentatives de réintégration de Damas dans le système régional arabe après de longues années d’isolement », explique Mohamed Shadi, expert économique. Et d’ajouter que cet accord pourrait en outre « renforcer les projets d’intégration économique égyptojordanienne récemment conclus dans le cadre de l’initiative intitulée le Nouveau Levant ». Par ailleurs, « les deux pays cherchent à augmenter la capacité de la ligne d’interconnexion de 450 mégawatts à 2 000 mégawatts actuellement, dans le but de prolonger dans une phase ultérieure leur interconnexion électrique avec l’Iraq, la Syrie, le Liban, la Palestine et les pays du Golfe. C’est-à-dire renforcer l’intégration entre les pays exportateurs et importateurs d’énergie dans la région arabe », souligne l’expert.
Un plus pour l’Egypte
Côté égyptien, « l’expansion des exportations d’énergie de l’Egypte, en particulier de gaz naturel et d’électricité, renforcerait sa position régionale en tant qu’un centre énergétique régional ». Outre le Liban, les exportations égyptiennes de gaz naturel ont augmenté, notamment après le redémarrage en février dernier de la station de liquéfaction et d’exportation de gaz via le port de Damiette, au nord du Caire, suspendue depuis 8 ans. Depuis son redémarrage et jusqu’au début du mois de juillet dernier, l’Egypte a exporté environ 17 cargaisons de gaz liquéfié vers plusieurs marchés asiatiques tels que l’Inde, le Pakistan et le Bangladesh, ainsi qu’en Espagne et en Belgique. La capacité de production actuelle de gaz naturel de l’Egypte dépasse 7 milliards de pieds cubes par jour. « La livraison de gaz naturel au Liban, prévue depuis longtemps, va accélérer l’intégration énergétique entre les pays arabes », conclut Shadi.
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