C’est à proximité de la Citadelle de Salaheddine que Mohamad Ali a construit, sur un plateau, « Al-Daftar Khana ». Cet édifice architectural est depuis plus de 200 ans le gardien de la mémoire de l’Egypte. 150 millions de documents officiels, des textes gouvernementaux et des cartes ayant trait à l’Egypte de 1805 à 1962 y sont conservés. Aujourd’hui, le public l’appelle « La Maison de la Citadelle ». Des citoyens de tous les gouvernorats d’Egypte s’y rendent à la recherche d’un acte de naissance perdu ou non inscrit à l’état civil ou encore d’un contrat de propriété agricole appartenant aux arrière-grands-parents. Hadj Abdel-Qader, 65 ans, originaire du gouvernorat de Minya, est venu à la recherche du contrat de propriété des terrains agricoles appartenant à sa famille. « L’employée a pris mes coordonnées pour chercher le contrat. Je ne sais pas si je l’aurai aujourd’hui ou si je devrai revenir dans une semaine », demande le vieil homme. Derrière des panneaux en verre, plusieurs employés des Archives reçoivent les demandes. « Depuis plus de 20 ans, nous recevons essentiellement des citoyens qui cherchent des actes de naissance, de décès ou des titres de propriété de terrains agricoles. Lorsque nous avons une demande, nous déterminons d’abord le temps approximatif pour trouver le document recherché. Et nous en informons la personne. Si le document est vraiment ancien, il faut compter une semaine », explique Nadia, 45 ans, employée. Elle ajoute : « Les citoyens paient 3 ou 4 livres égyptiennes pour un acte de naissance ou de décès, et 20 L.E. pour un contrat de propriété ».
Les Archives nationales sont au coeur d’un important projet de numérisation et d’automatisation, dans le cadre des efforts déployés par l’Etat pour une transformation progressive vers une Egypte numérique, en utilisant de façon optimale les dernières technologies et en ayant recours à l’expertise internationale pour améliorer les services fournis aux citoyens. Les citoyens, qui aimeraient obtenir le service qu’ils demandent sans souffrir des difficultés du voyage, ont favorablement accueilli l’idée de mettre à disposition ces documents sur Internet. « Nous n’épargnons aucun effort pour documenter la mémoire de l’Egypte sur les plans politique, économique et religieux », a affirmé Mohamad Maeit, ministre des Finances, en parlant du projet de transformation des Archives nationales en archives électroniques. Rappelons que les Archives nationales égyptiennes sont les plus anciennes au monde après celles britanniques. Elles ont été créées par Mohamad Ali pacha au XIXe siècle, pour être le premier lieu, depuis la conquête arabe, consacré à la préservation des documents et des registres de l’Etat. Le projet de numérisation a plusieurs objectifs : préserver la mémoire de l’Egypte, faciliter la tâche aux citoyens en permettant la délivrance des documents par voie électronique et faciliter l’accès aux documents aux chercheurs et aux étudiants qui ont besoin de les étudier.
La Maison de la Citadelle est le deuxième bâtiment des Archives nationales, construit en 1935. Ce bâtiment est composé de 5 étages et comprend 46 unités de microfilm, en plus de bureaux administratifs. Mohamad Al-Sayed, 45 ans, employé des archives, est assis dans son bureau, tenant à la main un registre des titres fonciers remontant à 1899. « Je travaille ici depuis 20 ans au département de la propriété agricole. En dépit des efforts que requiert la recherche des documents anciens comme les titres de propriété et autres, j’aime parcourir ces documents et je suis fier de protéger, avec mes collègues, la mémoire de l’Egypte », affirme Mohamad Al-Sayed.
Le vieux bâtiment
Au bout du couloir, nous trouvons un portail qui relie ce bâtiment moderne à l’ancien bâtiment que Mohamad Ali avait construit en 1829. En passant ce portail, on a l’impression de remonter le temps jusqu’aux époques lointaines où l’architecture était sublime et où les bâtiments étaient construits avec beaucoup d’art et d’habilité. Doté de plafonds de 7 m de haut sous forme de dômes, ce bâtiment ne se compose que de 2 étages et comprend 71 sections, attribuées chacune à un ministère ou à un secteur donné comme les propriétés étatiques, le ministère des Travaux, les documents militaires de l’époque de Mohamad Ali et de ses fils, les budgets de l’Etat depuis 1800, les dossiers médicaux des employés de l’Etat jusqu’en 1966, les dossiers des anciens présidents égyptiens, les actes de naissance jusqu’en 1962. Les portes des magasins sont fortifiées, certaines sont en fer et d’autres en bois renforcé de fer. « Nous trouvons ici la mémoire de l’Egypte. Nous avons des dossiers qui ont trait aux présidents et aux hauts fonctionnaires égyptiens. Nous avons aussi les titres de propriété agricole, les procès-verbaux du parlement depuis qu’il existe, toutes les décisions judiciaires depuis le XIXe siècle, le premier budget, les traités de l’Egypte avec les pays étrangers et aussi des cartes rares qui illustrent les frontières de l’Egypte et le premier recensement de la population », présente ainsi Achraf Chalabi, chef de l’Administration centrale des Archives nationales, les documents les plus importants se trouvant dans ce vieux bâtiment.
L’atelier de restauration
Au milieu de la cour spacieuse se trouve une grande salle dans laquelle il y a l’atelier de restauration qui est le premier du genre au Moyen-Orient, selon Achraf Chalabi. Dans cet atelier, les registres et documents anciens sont restaurés et conservés par des restaurateurs qualifiés ayant plus de 30 ans d’expérience.
Ici sont conservés les dossiers des ministres et des hauts fonctionnaires de 1830 à 1909. (Photo : Mohamad Moustapha)
Mohamad, 50 ans, est l’un des restaurateurs. Il porte une blouse blanche et des gants pour toucher un document datant de 1900, qui répertorie les naissances dans le gouvernorat de Qéna. « Je travaille dans le domaine de la restauration depuis 30 ans. Tout au long de cette période, j’ai vu des documents très rares et précieux, notamment des documents de la reine Nazli, épouse du roi Fouad Ier, et les décrets du roi Farouq. Ma mission est de fournir un support aux pages usées afin de préserver le document et les informations qu’elles renferment et restituer les parties faibles », souligne-t-il. Et de poursuivre : « Je donne un support aux parties abîmées, en utilisant du papier teint en jaune pour correspondre à la couleur du papier original. Parfois, les parties endommagées renferment des mots ou des données. J’utilise dans ce cas du papier japonais transparent que j’appose à l’aide d’un pistolet thermique, afin de conserver chaque lettre se trouvant dans ces documents ». Nasser, 50 ans, un autre restaurateur, ajoute : « Le papier renferme des fibres et est recto-verso. La restauration d’un seul registre peut prendre 3 ou 4 jours, voire une semaine, selon son état et le nombre de pages usées. Parfois, je suis amené à teindre le papier de la couleur la plus proche du document qui jaunit ensuite avec le temps ». Une fois la phase de restauration terminée, le registre passe à la phase de reliure.
Osman, 52 ans, fait la reliure d’un registre renfermant les dossiers des ministres et des hauts fonctionnaires de 1830 à 1909, pour que le registre tienne durant les années à venir. « La compétence et le savoir-faire de l’équipe de restaurateurs présents dans les archives n’ont pas d’égal. Nous avions 50 rénovateurs, et aujourd’hui, ils ne sont que 12 en raison du passage à la retraite des autres. Nous avons besoin de nouveaux cadres qui soient formés par nos doyens restaurateurs », a confirmé Achraf Chalabi. Une fois la reliure terminée, le document est prêt à entrer dans le processus de numérisation, dont est chargé un autre groupe de jeunes diplômés des départements d’histoire, de langues et de technologies informatiques.
Au deuxième étage, un certain nombre de sections font l’objet d’un processus de numérisation. « Nous examinons le contenu du document à travers une équipe de jeunes spécialistes des langues, de l’histoire et des archives. Ils lisent le document, le classent et rédigent un bref résumé de son contenu permettant ainsi à l’usager sur Internet d’avoir un bref résumé du document avant d’ouvrir l’image numérique. Puisque la langue de rédaction des documents ne se limite pas à la langue arabe, nous avons des jeunes qui maîtrisent le français, l’anglais et bien sûr l’arabe », explique Réda Al-Hadad, professeur d’histoire à l’Université de Hélouan et l’un des responsables du projet.
Après examen, commence la phase de numérisation. Là, place à la technologie moderne. Dans la salle de numérisation, des scanners de différentes tailles, petits et grands en fonction de la taille des documents, sont disposés sur les deux côtés. Ahmad Métwalli, jeune homme d’une trentaine d’années qui supervise le processus de numérisation, explique : « Le processus de numérisation nécessite des appareils précis d’une grande qualité. En raison de la diversité dans la taille des documents, des registres et des cartes, la taille des scanners est également variable ». Métwalli ajoute que certains documents nécessitent le recours à Photoshop après le processus de numérisation pour effacer les impuretés se trouvant sur le papier avec le temps, et ce, jusqu’à ce que la photocopie devienne une copie conforme.
L’unique bâtiment des Archives nationales va se transformer en un musée de documents rares au service des chercheurs, des touristes et des étudiants. « Nous voulons accélérer le rythme du projet et arriver à 10 millions de documents par an, afin d’achever le projet en 5 ans », conclut Chalabi.
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