Ouvriers, ingénieurs et personnels de tout genre sont venus des quatre coins du pays. (Photo : Reuters)
Travaillant auprès d’une entreprise égyptienne basée à Suez, Am Abdel-Samad est l’un des ouvriers ayant participé au creusement du Nouveau Canal. Il se souvient des journées passées à bord de la drague géante qui descend sur le fond à la vitesse de 1 m/s. «
A cette période, mon épouse était enceinte. Elle a mis au monde notre second fils que je n’ai pu voir que quelques mois plus tard après sa naissance. Quand on m’a posé la question : Quel nom donner au bébé ? Je leur ai répondu : Qanah, faisant allusion au Canal de Suez en langue arabe », relate-t-il avec simplicité. Am Abdel-Samad raconte qu’il logeait là-bas, dans l’un des dragons à roche. «
Ils sont très confortables, même si le chez-soi vous manque. Ce travail était captivant et très intéressant. Pas facile de préserver l’équilibre familial dans de telles conditions. Je n’ai pas vu grandir ma fille aînée. Mon épouse a été très patiente ». Am Abdel-Samad raconte aussi qu’il n’a pas pu assister aux funérailles de son père car il ne pouvait pas quitter son travail. «
Mais, ma famille s’est montrée compréhensive à mon égard en me disant que c’est un travail urgent et national qui va développer l’économie égyptienne. J’avais envie de dire au revoir à la personne que j’aimais le plus, mais je ne pouvais pas faire autrement car j’étais totalement convaincu de ce que je faisais », avoue-t-il sans regret.
Sur le chantier, le travail se faisait 24 heures sur 24. A force de passer du temps ensemble, certains ouvriers ont fini par devenir de vrais copains. Une vraie famille. Ainsi, le travail semblait plus léger. Ils coopéraient au travail et travaillaient 55 jours d’affilée avant de prendre un week-end de congé.
Pour passer ce court week-end, Am Wahid Abdel-Wahed, ouvrier, devait parcourir 500 km aller-retour sur la route Marsa Matrouh-Ismaïliya. « C’était un long trajet mais je le faisais avec plaisir. En tant que bédouin de Matrouh, c’était difficile pour moi de quitter mes 4 épouses et mes 15 enfants pendant plus d’un mois et demi. La plupart de mes enfants étaient en bas âge. L’aîné n’avait que 9 ans et le plus petit ne dépassait pas les 2 mois. Et donc, aucun de mes enfants ne pouvait être responsable de la famille », raconte-t-il.
Bien entendu, le corps du génie de l’armée supervisait l’ensemble du projet. Il n’y a, d’ailleurs, jamais eu le moindre problème parmi les ouvriers. Les travailleurs utilisaient les équipements les plus sophistiqués. Une centaine de dragues étaient utilisées pour prélever des kilos de roche. Malheureusement, quelques accidents ont eu lieu. Conducteur de drague, Al-Raïs Amin Seidhom se souvient d’une mauvaise expérience qui lui est arrivée, à lui et son cousin. « Un jour, la plateforme de la drague à roche a explosé soudainement et nous étions tous les deux près de la machine, qui a provoqué une tempête de sable. Moi, je suis sorti sain et sauf, tandis que mon cousin est mort asphyxié par le sable. Je n’arrive pas à oublier cette catastrophe. Mon cousin a laissé un bébé de 6 mois », dit-il tristement.
Une seule famille
Qu’ils soient ouvriers, ingénieurs, assistants en maintenance, comptables, conducteurs ou autres, ils sont tous venus de différents gouvernorats de la République. Des gouvernorats du Canal : Port-Saïd, Ismaïliya et Suez, mais aussi des quatre coins du pays : Sohag, Qéna, Assiout et Marsa Matrouh. Tous étaient là pour participer à cet ouvrage grandiose et historique. Tous les travailleurs étaient logés et nourris. Les ouvriers et les agents de la maintenance logeaient dans des caravanes, tandis que quelques bâtiments de la zone industrielle ont servi de logement pour les ingénieurs et les comptables. A l’intérieur de ces caravanes ou appartements modestes se trouvent un réfrigérateur, une TV et un coin cuisine. Tout près, un bloc sanitaire avec toilettes et douches parfaitement entretenues.
Comme tout autre ingénieur, Ahmad Farouq, qui travaille auprès de l’Organisme du Canal de Suez, se souvient de ces journées de travail inoubliables. « Après de longues heures de travail, nous rentrions le soir pour prendre un repas chaud dans une mize, ce terme signifie une cuisine en expression maritime. Il s’agit d’une grande table autour de laquelle s’assoit toute l’équipe pour prendre ses repas en regardant la télé ». Et d’ajouter : « C’était un chef cuisinier qui nous préparait les repas tous les jours. Il attendait un grand véhicule qui arrivait de bon matin transportant des légumes de tous genres pour les cuisiner ». L’ingénieur Ahmad Farouq est fier de dire que son nom figure parmi la liste des ingénieurs ayant participé au creusement du Nouveau Canal sur un grand trophée mémorial et qu’il est le numéro 44 sur la liste. « Que mes enfants sachent que cet ouvrage m’a donné la chance de participer à l’histoire de mon pays et me comble de fierté », dit-il avec enthousiasme.
En fait, tout le monde était fier de participer à ce chantier pharaonique. « Mon entreprise y a participé et il existe à l’entrée un grand tableau d’honneur où tous les noms d’entreprises sont cités », dit Ali Hémeid, propriétaire de l’une des entreprises situées à Ismaïliya. « Ces efforts ont été couronnés de succès, puisque cette nouvelle voie va permettre de doubler le trafic à l’horizon 2023. Ce fut un événement exceptionnel et sans précédent. Il ne se répètera plus ». Ce dernier est satisfait car un grand nombre d’ingénieurs et d’ouvriers travaillant chez lui ont participé au creusement du canal.
Et, ce n’est pas la seule entreprise à avoir participé au creusement du Nouveau Canal, il y avait aussi 4 autres grandes sociétés étrangères venues de Belgique, des Pays-Bas, des Emirats arabes unis et des Etats-Unis. Et un nombre élevé de sociétés égyptiennes dont Al-Moqaouloun Al-Arab et Petrojet. Et, quelque 25 000 ouvriers, travailleurs, ingénieurs et personnels égyptiens ont été mobilisés.
« Nous sommes fiers d’avoir participé à l’histoire de notre Egypte, car cette voie maritime a facilité la fluidité du trafic tout en diminuant le temps nécessaire au passage, grâce à l’élargissement et le dragage de 37 km du canal et au creusement d’une nouvelle voie de 35 km pour permettre une circulation croisée (et non plus alternée) des navires sur son parcours. Ces transformations devraient permettre le passage de 97 navires par jour à l’horizon 2023 au lieu de 49 avant les travaux », conclut l’ingénieur Mostafa Gabr, travaillant auprès d’une entreprise privée.
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