Le bombardemen
t vendredi dernier de 4 combattants islamistes dans le nord du Sinaï reste une opération opaque. Elle a eu lieu à 5 km de la frontière israélienne, a été exécutée officiellement par l’armée égyptienne, malgré des rapports suggérant un raid israélien.
« Il n’y a pas la moindre trace de vérité en ce qui concerne des frappes israéliennes à l’intérieur du territoire égyptien, et les affirmations sur une coordination entre Egyptiens et Israéliens dans ce domaine sont absolument sans fondement », avait assuré, dès vendredi soir, le colonel Ahmad Ali, porte-parole de l’armée.
Un peu plus tôt, l’armée avait annoncé que deux puissantes explosions avaient été entendues vers 16h15 dans la zone d’Al-Ojra, dans la péninsule du Sinaï, à quelques kilomètres de la frontière israélienne. Ni l’armée égyptienne, ni le responsable de la sécurité n’ont pu dire dans l’immédiat quelles étaient les cibles du bombardement.
Entre les deux communiqués, des officiels égyptiens avaient déjà parlé affirmant à Reuters et à l’Associated Press que le raid en question avait été mené par un drone israélien avec la coopération des autorités égyptiennes.
Selon l’Egypte, ces terroristes s’apprêtaient à lancer un missile contre une cible à l’intérieur de la péninsule, alors que d’après les rapports de presse israéliens, ce missile visait la station balnéaire d’Eilat.
Jeudi, Israël avait fermé pour quelques heures l’aéroport d’Eilat, situé juste à la frontière avec le sud du Sinaï sur la mer Rouge, « pour des raisons de sécurité ». L’alerte aurait été donnée par des responsables égyptiens.
De leur côté, après un temps de mutisme, les Israéliens ont nié leur implication. Le ministre israélien de la Défense, Moshé Yaalon, s’est contenté d’affirmer dimanche qu’Israël respectait la souveraineté de l’Egypte. « Nous ne permettrons pas aux rumeurs et aux spéculations qui se sont propagées ces dernières 24 heures de porter atteinte à l’accord de paix entre les deux pays », a-t-il insisté, tout en exprimant son « appréciation » des efforts de l’armée égyptienne contre le terrorisme dans le Sinaï. En gardant le silence sur l’incident, Israël a essayé de « ne pas jouer le jeu de ceux qui cherchent à semer la discorde entre Israël et l’Egypte ... Il y va de la souveraineté et de l’honneur égyptiens ici », a commenté à la Radio de l’armée israélienne Giora Eiland, un général à la retraite.
Médias moins affirmatifs
Les médias israéliens, de leur côté, tout en étant unanimes à privilégier l’hypothèse d’une attaque de l’armée israélienne, ont été moins affirmatifs sur une éventuelle coopération égyptienne.
Amos Harel, au quotidien Haaretz, estime que sans une affirmation officielle, il est difficile de savoir si Israël a informé l’Egypte de ses intentions. Alors que Yoav Limor, du quotidien Israel Hayom, proche du premier ministre, Benyamin Netanyahu, exclut la possibilité d’une coopération préalable.
S’agit-il d’un raid égyptien ou israélien ? Y a-t-il eu concertation ou pas ? Il est clair qu’aucune des versions ne saurait être confirmée de source indépendante, alors que les déclarations officielles indiquent que les deux pays ont intérêt à « classer » l’affaire.
L’incident ne manquera sûrement pas d’être exploité par les islamistes qui demandent la réinstauration de Morsi pour rallier les mécontents à leur cause en discréditant l’armée. Plus grave encore est son exploitation par les djihadistes pour s’approprier un discours nationaliste et anti-israélien, très populaire en Egypte.
Déjà, la Coalition pour le soutien de la légitimité, une formation islamiste dirigée par les Frères musulmans, a émis une déclaration « dénonçant la violation par l’aviation sioniste de l’espace aérien de l’Egypte, pour exécuter une opération terroriste sur le territoire égyptien ». La coalition estime que « les desseins putschistes de l’armée ont eu des répercussions négatives sur sa performance militaire ».
« Héros devenus martyrs »
Parallèlement, le groupe djihadiste égyptien, Ansar beit Al-Maqdess, auquel appartenaient les quatre hommes tués vendredi, tout en affirmant que ses « héros sont devenus martyrs en accomplissant leur devoir de djihad contre les juifs », a juré d’intensifier sa campagne de tirs de roquettes.
Alors que le conseil de la choura des moudjahidines a lié « l’attaque israélienne dans le Sinaï » aux « changements politiques qui ont eu lieu récemment en Egypte ».
Selon un responsable de la sécurité locale et des témoins, les militants qui ont accompagné les corps jusqu’au cimetière brandissaient des drapeaux noirs frappés du sigle du djihad et chantaient des slogans hostiles à Israël. Dans la nuit de lundi à mardi, un groupe djihadiste avait affirmé avoir tiré en représailles une roquette Grad sur Israël depuis le Sinaï. Une porte-parole de l’armée israélienne a confirmé le tir de la roquette et son interception.
Au niveau politique, l’incident de vendredi relancera sans doute les revendications d’amender le traité de paix avec Israël qui empêche l’Egypte d’imposer sa suprématie sur le Sinaï, largement médiatisée en vertu de cet accord. Pour mener sa campagne anti-terroriste, l’armée a dû obtenir l’aval d’Israël pour faire rentrer dans la péninsule le dispositif qu’il faut.
L’écrivain islamiste modéré, Fahmi Howeïdi, a suggéré, lui, un intérêt politique derrière l’attitude de l’armée vis-à-vis d’Israël. Dans sa chronique sur les pages du quotidien Al-Shorouk, Howeïdi a cité le commentateur israélien Amir Bar-Shalom, selon lequel « la coopération sans précédent avec l’armée égyptienne doit pousser les amis d’Israël aux Etats-Unis d’étouffer les voix au sein du Congrès qui critiquent le coup d’Etat militaire du général Al-Sissi », chef de l’armée égyptienne.
Si les Egyptiens acceptent comme une pilule amère la coopération sécuritaire avec l’Etat hébreu, ils ne risquent pas de trouver d’excuse à un raid israélien sur leur territoire.
Côté israélien, la question semble plus simple. Comme l’explique le quotidien Jerusalem Post, la violation de l’espace aérien égyptien serait justifiable si elle était en état de légitime défense. « D’une part, il y a la nécessité de respecter la souveraineté égyptienne et de maintenir le traité de paix stratégiquement vital avec Le Caire, mais d’autre part, il y a l’obligation de défendre Israël. Il semble raisonnable de supposer que lorsque des civils ou des membres des forces de sécurité israéliens font face à une menace immédiate, la vie humaine doit primer sur toute autre considération », écrit l’éditorialiste du journal, Yaakov Lappin.
L’incident risque donc de se reproduire, mais alors il n’y aura que les islamistes pour s’indigner .
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