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Miroirs du Soudan

Névine Lameï, Mardi, 22 juin 2021

Quatre jeunes artistes femmes soudanaises exposent à la galerie Karim Francis, au centre-ville du Caire. Leurs oeuvres reflètent le passé et le présent du pays, marqué par une pluralité ethnique et culturelle.

Miroirs du Soudan
Yasmeen Abdullah, des figures angoissées.

Fragrance du Soudan est le titre de l’exposition en cours à la galerie Karim Francis, regroupant quatre artistes femmes soudanaises : Dahlia Abdeliah, Miska Mohammed, Yasmeen Abdullah et Yasmin ElNour. Les quatre traver­sent la frontière avec l’Egypte, pour partager la culture de leur pays, à travers des peintures émouvantes qui abondent d’histoires et qui dépeignent un Soudan contrasté, aux mille facettes. Les contrastes du pays se trouvent d’ailleurs accentués par la riche diversité culturelle et ethnique soudanaise laquelle est vue comme un facteur de cohésion par les artistes.

Miroirs du Soudan
Les personnages de Dahlia Abdeliah ont l’air d’avoir toujours existé.

La condition des femmes soudanaises domine les peintures figuratives de Dahlia Abdeliah qui représente des corps d’hommes et de femmes, aux traits soudanais. Ils s’expriment différemment, à travers leurs gestes, les mimes du visage, le langage du corps. Les protagonistes sont le plus souvent isolés, rangés par le souci.

Abdeliah varie les techniques et les matériaux : des illustrations en noir et blanc, des médias mixtes, du numérique, du conceptuel … La femme se présente comme un symbole de fertilité, de beauté, de pureté, de séduction et d’amour. C’est une source d’inspiration intarissable pour l’artiste, tout comme l’oeuvre de son idole Kamala Ishaq, une des pionnières de la scène artistique soudanaise, qui a souvent exploré les cérémonies, les rituels comme le zar (séance d’exorcisme). Dahlia Abdeliah reprend parfois des motifs préhistoriques, des figures de personnalités mythiques, aux yeux larges et aux lèvres épaisses. Elles ont l’air d’avoir existé depuis toujours.

Miroirs du Soudan
La Kandaka, selon Yasmin ElNour.

Mariant les patrimoines arabe, nubien et soudanais sur une même toile, Yasmin ElNour signe des oeuvres contemporaines, en faisant appel à l’héritage ancestral de son pays. Et ce, en usant de collages et de tech­niques composites. Son expérience dans le domaine de l’architecture et de l’urbanisme se révèle à travers ses compositions. Elle reprend des monuments koushites, d’an­ciens symboles soudanais, de motifs nubiens, d’artefacts. Les couleurs sont sou­vent criardes ; les collages ont quelque chose de chaotique et rebelle. Yasmin ElNour célèbre la féminité puissante à tra­vers la figure de la Kandaka, la reine nubienne, vêtue de blanc, celle qui a été considérée comme l’icône de la révolution.

En mêlant le moderne et le traditionnel, elle crée un nouveau langage visuel, un peu représentatif de la jeunesse soudanaise mondialisée, qui reste quand même bien attachée à ses racines. Ses oeuvres reflètent

elle aussi la multiplicité ethnique et culturelle du pays. Pour Yasmin ElNour, l’artiste souda­nais n’est pas censé parler politique dans son oeuvre. Il ne doit évoquer ni la violence, ni les dogmes religieux, mais il doit aborder la condi­tion humaine, le sens de la vie, les émotions et les valeurs morales liées au contexte historique.

Correspondances

Miroirs du Soudan
Miska Mohammed explore son univers proche.

Autodidacte, Yasmeen Abdullah explore les liens émotionnels entre poésies et peintures, images et couleurs. Chacune de ses peintures aux potentialités sans limites nous fait vivre sur une terre isolée, au fin fond du monde. Ses toiles ont quelque chose de fragile, de subtile, traitent de causes féminines. Les hommes exis­tent, mais leur présence se fait rare. Yasmeen, qui est une grande défenseuse des droits de la femme, se sert de couleurs chaudes pour com­muniquer ses messages. Passionnée des poèmes de Mahmoud Darwich et de ses belles repré­sentations métaphoriques déplorant sa terre et les droits bafoués de son peuple, elle a recours à ses vers, en les transformant en une grande force visuelle. Les cheveux longs, le regard contemplatif souvent égaré, toutes les figures féminines de Yasmeen sont rêveuses, mélanco­liques et angoissées. Elles ont quelque chose de mystérieux et d’ésotérique. Elles luttent pour vivre dans un monde sombre et bigarré. C’est le cas de ses peintures, L’Autre moi et L’Effet du papillon. Dans cette dernière, un papillon bat des ailes et provoque un typhon. « Le papillon me représente ainsi que toutes les femmes », écrit Yasmeen dans le catalogue de l’exposition. Ces papillons symbolisent les transformations personnelles, la métamor­phose, la légèreté ou encore l’immortalité. Libre comme un papillon, Yasmeen aime profiter de la vie, tout en préservant son identité.

Miroirs du Soudan
La reine nubienne, selon Yasmin ElNour.

Profondément ancrées à leur tour dans l’héritage soudanais, les peintures à l’huile et à l’acrylique de Miska Mohammed explorent son environnement urbain, miroir du Soudan où elle vit, mais aussi celui de ses ancêtres. Les couleurs grises, froides et déshumanisées se mêlent aux couleurs chaleureuses, gaies et fringantes. Les peintures de Miska sont remplies de formes abstraites, de motifs décoratifs et architecturaux, de lettres calligraphiques, de taches de couleurs, de lignes horizontales ou en zigzag formant dans leur ensemble des images que tout le monde peut saisir et contempler. A ne pas rater.

Jusqu’au 3 juillet à la galerie Karim Francis, 1, rue Al-Chérifein, centre-ville. De 13h à 20h (sauf les vendredis).

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