Elle est née au Chili en 1970. Professeure de cultures latino-américaines et d’écriture créative à l’Université de New York, Lina Meruane a reçu de nombreux prix pour ses romans et nouvelles. Tardivement dans sa carrière d’écrivaine, elle découvre ses origines palestiniennes, comme descendante d’une famille d’émigrants chrétiens qui sont partis en Amérique latine, précisément le Chili en 1915, fuyant le pouvoir ottoman musulman. Et depuis cette découverte, elle est ensorcelée par l’idée du « retour ». Le rêve à jamais de tout Palestinien. Mais ici, la seule différence est qu’elle n’y a jamais été pour y retourner. Ayant grandi au Chili, elle n’a connu la Palestine que de nom, sachant que son père et son grand-père en portent la nationalité.
Dans un chapitre inaugural qu’elle intitule gracieusement « Des Retours métaphoriques », Lina Meruane explique que le retour hante l’imaginaire collectif palestinien. « C’est un retour, oui. Mais pas le mien, c’est un retour métaphorique : retourner à la place des autres. A la place de mon grand-père ou de mon père. Mais mon père ne veut pas mettre les pieds dans cette terre occupée », dit-elle. A travers le livre, l’écrivaine nous laisse, nous aussi lecteurs, partager ses fouilles identitaires.
Elle n’a jamais pensé partir, ni explorer le pays de ses ancêtres, étant découragée par un grand-père à qui on interdisait d’y retourner et par un père qui, psychologiquement, refuse de se rendre à sa terre en tant que « visiteur indésirable ». D’ailleurs, elle l’a dit joliment, lors d’une rencontre virtuelle animée par la youtubeuse égyptienne Nada Shabrawi, dans le cadre d’une semaine dédiée à la littérature d’Amérique latine, organisée par la librairie Diwan (voir les trois questions à Layal Al-Rustom). Elle y a abordé le refus de son père de retourner à sa ville natale, parce que « quelque chose a été ruiné, que rien ne peut revenir comme avant, juste parce qu’on l’a voulu ainsi ».
Lina Meruane clôt également le livre par un chapitre intitulé « Retour », un retour qu’elle décrit comme suit : « C’est juste une visite d’une terre franchie pour la première fois, une terre qui n’a aucune trace dans ma mémoire, pas même la moindre photo, mais juste des chuchotements qu’on entend en arrière-plan, une histoire à laquelle on a recours pour sauver nos origines communes de l’effacement ».
Ce retour « imaginaire », qu’elle a expérimenté avant de se rendre en Palestine, avait aussi à faire avec la langue arabe, une langue qu’elle a perdue au cours de sa formation au Chili. « Il y avait ce désir de retrouver la langue arabe à la fin du livre, comme s’il s’agissait de fermer le cercle déjà ouvert », a-t-elle dit durant l’entrevue en ligne.
Hors classification
Il s’agit d’un livre inclassable, qui pourrait être classé automatiquement sous le label non-fiction, essai ou témoignage. Il se distingue par une écriture très poétique et peut être considéré aussi comme un récit de voyage que l’on vit non pas comme une excursion de nomade, mais comme une expérience douloureuse du quotidien palestinien. Les thèmes abordés ont souvent été traités dans la littérature sur la Palestine, relatant l’injustice à laquelle ce pays est confronté, mais dans ce livre elle revêt un regard frais qui nous permet de découvrir avec la narratrice les atrocités perpétrées contre ce peuple, de rester souvent bouche bée, et même de pousser parfois des cris étouffés en lisant. Par exemple, on y retrouve le mythe de la clé rouillée de son ancienne demeure gardée près du coeur par les Palestiniens, symbole du retour. On y retrouve aussi les détails du quotidien des habitants des colonies. A travers des chapitres fragmentés, nous accompagnons l’écrivaine dans ses visites des villes palestiniennes, que ce soit celles occupées après 1948 ou les parties infimes des terres autonomes. L’on reconnaît l’impossibilité d’accéder à Gaza, par les mots de cette Palestino-Chilienne : « Gaza est une grande prison en plein air ».
Dans de différentes colonies, elle montre comment le même acte est criminalisé ou toléré selon s’il est commis par un Palestinien ou par un Israélien. Dans la ville historique d’Hébron, elle décrit la vie houleuse des citoyens qui doivent, pour se rendre chez eux, « grimper la rampe tout comme les quelque 25 Palestiniens qui habitent encore les lieux. Ils ne sont pas autorisés à se promener dans les rues, et donc n’ont pas accès à l’entrée de leurs domiciles. Ils sont obligés de se déplacer d’un toit à l’autre et d’escalader les arrière-fenêtres pour arriver à leurs maisons. (…) Nous reprenons le chemin vers le bas, une route pavée et ouverte débouchant sur les colons ».
L’auteure a résumé la situation actuelle au cours de la rencontre virtuelle avec Shabrawi en disant : « Le monde s’intéresse à la Palestine lorsqu’elle est agressée par un fusée, ou lorsqu’il existe un drame politique que l’on montre à la télévision, mais la vie de tous les jours, cette vie cruelle sans eau, semée par l’oppression journalière ne trouve pas sa voie dans les news. Pour moi, il m’était impossible de penser la Palestine en fiction, mon récit s’approche davantage du quotidien, de l’essai, de l’expression d’un moi intérieur. Peut-être qu’un jour viendra où l’apartheid prendra fin, en ce moment je donnerai la parole aux Palestiniens pour tracer leur fiction ».
Volverse Palestina de Lina Meruane, aux éditions Literal, traduit de l’espagnol vers l’arabe par Chadi Rouhana sous le titre de An Taoudi Falastine, aux éditions Al-Kotob Khan, Le Caire, 2020, 195 pages.
Lien court: