Cette ville dans la ville, avec sa citadelle du XVIe siècle des frères Barberousse, ses mosquées, ses palais ottomans, ses hammams et ses petites maisons, a subi des tremblements de terre, des incendies et des inondations qui ont fragilisé ses constructions quand ils ne les ont pas tout simplement détruites. L’Unesco a décerné, en 1992, la distinction de « valeur exceptionnelle » à la médina algéroise soulignant un « système complexe et original qui s’est adapté (...) à un site fortement accidenté », sur le flanc d’une colline de 118 m de dénivelée. Mais peu de mesures ont été prises et sans doute pas assez rapidement depuis pour protéger la Casbah avec ses 105 hectares et plus d’un millier de maisons restantes, selon les estimations. Ainsi, explique Abdelwahab Zekkar, directeur de l’Office national de gestion et d’exploitation des biens culturels protégés (OGBC), le plan de sauvegarde a été lancé en janvier 2007 seulement. « Et les études se sont terminées en mai 2010, donc cela a duré plus de 3 ans », souligne-t-il. Ces bâtiments, à « plus de 80 % des propriétés privées », ont été abandonnés durant la guerre civile des années 1990 offrant avec les ruelles tortueuses un repaire de choix aux islamistes, après avoir été dans les années 1950 celui des indépendantistes. Les gens ont alors « fait ce qu’ils voulaient », y construisant n’importe quoi n’importe comment. Errer dans cette médina réserve bien des surprises. Quelques maisons ont été restaurées sur les hauteurs, ou un palais par-ci, une mosquée par-là, tandis que la citadelle a été confiée à des rebâtisseurs polonais.
Mais la surpopulation et l’insalubrité règnent dans la majorité des rues, où nombre de maisons s’écroulent. Entre les échafaudages, les armatures en bois ou les poutres métalliques qui retiennent les murs, des terrains vagues remplis de détritus malodorants font le bonheur des chats errants. « Aujourd’hui, elle est en train de tomber », déplore Faïdi, lauréat l’an dernier du prix national d’architecture. Le site « est en pente et donc toutes les maisons s’appuient l’une sur l’autre », relève Zekkar. Et lorsque l’une glisse « tout le reste peut s’écrouler derrière ». Certes, les habitants les plus menacés par l’écroulement de leur toit sont relogés. Mais aussitôt un cousin, un voisin, un ami s’installe dans ces locaux pour exiger à son tour d’être relogé. « Un véritable trafic », déplore Halim Faïdi, un architecte spécialiste de la Casbah. Déjà, la démographie a considérablement gonflé sa population, note de son côté le responsable de l’OGBC. « Forte de 25 à 30 000 âmes dans les années 1800, cette cité née en 950 abrite maintenant plus de 51 à 52 000 âmes », dit-il. Sans compter que les Français durant leur occupation (1830-1962) l’ont découpée et amputée de sa partie basse qui la reliait à la mer.
Des fonds publics pour la restauration
Certains habitants ont de la chance. Ainsi, Nasser Eddine Meziane retape la maison héritée de ses parents, aidé d’un plombier et d’un maçon avec des fonds publics. « Je ne suis qu’un simple travailleur qui gagne 18 000 dinars (le S.M.I.C., 180 euros) par mois, alors que la restauration est estimée à 60 000 euros. On a fait presque 6 mois de travail », dit-il, effectuant la visite guidée. « On a changé les plafonds, les planchers et les égouts. On a travaillé un peu les murs en les décapant », ajoute-t-il.
L’Agence nationale des secteurs sauvegardés est chargée de négocier avec les propriétaires pour les aider à restaurer, monter les dossiers financiers ou racheter les parcelles vides pour reconstruire. Cela n’empêche pas d’autres organismes — préfecture, ministère ou comités de quartiers — de se disputer les priorités.
« La Casbah est toujours vivante, mais elle est très malade », affirme Zekkar, en espérant que d’ici 10 ans « on retrouve un peu ce site de la Casbah ». Les autorités veulent relancer les anciens métiers pratiqués dans la cité : la menuiserie, le travail du cuivre, du cuir ou encore la production de tomettes ou autres revêtements pour restaurer dans la tradition. Et pour Faïdi, « la Casbah est une ville et la réponse doit être une réponse d’urbaniste », c’est-à-dire qu’« il faut la réhabiliter » : au-delà d’une restauration le plus possible à l’identique, il faut prévoir quelle population y vivra dans 20 ans et ce qu’elle y fera.
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