Al-ahram hebdo : Comment se fait-il, selon vous, que les liens entre le peuple et l’armée égyptienne soient si étroits à chaque crise politique ? A tel point que l’armée puisse inviter, avec succès, les Egyptiens à manifester pour la soutenir ...
Salah Issa : Les rapports entre le peuple égyptien et l’armée ont commencé à l’époque de Mohamad Ali en 1805. Avant, à l’époque des Mamelouks, il n’y a avait pas d’armée égyptienne au sens propre du mot. Les Mamelouks interdisaient l’armée à toute personne égyptienne. La force militaire à l’époque était composée d’esclaves et de mercenaires que l’on emmenait d’autres pays d’Asie. Ces étrangers causaient des problèmes aux Egyptiens et les rapports étaient compliqués, sinon hostiles. Au commencement de l’époque de Mohamad Ali, la première des choses faites a été de fonder une armée composée d’Egyptiens de toutes les couches sociales. Le service militaire est devenu obligatoire. Des militaires des pays développés à l’époque venaient former les jeunes soldats. C’est depuis cette époque que la renaissance et le fondement de l’Egypte moderne ont commencé. Mohamad Ali était très intelligent, parce qu’il a lié tous les projets de la renaissance à l’armée.
L'armée encercle le palais de Abdine en 1952.
— Comment l’armée était-elle concernée par le développement du pays ?
— Pour construire l’Egypte moderne, l’Egypte devait être un pays fort, selon Mohamad Ali. D’où son insistance à former une armée forte. Ensuite, autour de cette armée, il a pensé à un vrai projet de renaissance pour l’Egypte. Les soldats de l’armée avaient besoin d’enseignement sur tous les plans, notamment les langues, pour pouvoir communiquer avec les généraux militaires venant de l’étranger. Ils avaient besoin d’hôpitaux, il leur a construit le grand hôpital de Qasr Al-Aïni. L’armée est devenue le contenant de la renaissance pour moderniser et construire l’Etat nouveau. Et c’est à partir de cette pensée et de l’obligation du service militaire qu’on a vu naître un esprit égyptien commun qui rassemblait armée et peuple égyptien.
— Est-ce cet esprit commun qui fait qu’à chaque fois que l’un se révolte, il demande l’aide de l’autre ?
— Absolument. Les revendications de l’armée ont toujours été celles du peuple, notamment durant les époques post-Mohamad Ali, qui ont témoigné de dominations et de dettes étrangères. Depuis la révolte d’Ahmad Orabi, la défaite de l’armée en 1882 et sa démobilisation par l’occupation anglaise, en passant par le traité de 1936, les deux se sont révoltés non pas uniquement pour réaliser le développement social et économique, mais aussi pour revendiquer l’indépendance nationale sans intervention étrangère dans les affaires de l’Egypte. Le nationalisme égyptien, la justice sociale et l’indépendance ont toujours été demandés.
— Pourquoi l’Occident n’arrive-t-il pas à comprendre ces rapports ?
Les brigades en 1952.
— Les pays occidentaux vivent dans d’autres schémas. Ils ne voient que les coups d’Etat des pays d’Amérique Latine qui ont été menés dans la grande majorité sous le parrainage des Etats-Unis. L’armée égyptienne n’est pas une armée d’occupation, et n’est pas agressive. Elle ne peut être comparée à l’armée française en Algérie. L’armée égyptienne prend toujours le côté du peuple : regardez 1967, 1977, 1986, 2011 et 2013. Même après le limogeage des commandants de l’armée (le maréchal Tantawi et le chef-d’Etat major Annan), l’armée a accepté la décision de Morsi. La mémoire occidentale n’a vécu que les agressions et les offensives. A ceux parmi les Occidentaux et les Egyptiens qui craignent un retour des militaires au pouvoir politique, je leur dis que les masses qui sont descendues depuis le 30 juin n’accepteront plus de despotisme en Egypte. La feuille de route lancée le 3 juillet assurera une Constitution juste pour tous les Egyptiens, un régime constitutionnel et un Etat civil.
Lien court: