Par Saïd Okacha*
Les armes se sont tues à Gaza, mais pas les interrogations sur l’impact de l’après-cessez-le-feu à l’intérieur d’Israël. Car cette dernière offensive est intervenue alors que la situation politique interne est critique depuis deux ans, à cause de l’impuissance des partis israéliens à former un gouvernement viable après quatre scrutins en deux ans. Après que le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, eut été chargé, il y a deux semaines, de former le gouvernement, il était prévu que les négociations pour la formation d’une coalition composée des partis du milieu, de la gauche et celui de l’extrême-droite, avec le soutien d’une liste arabe unifiée, réussissent. Cet espoir s’est dissipé quand Naftali Bennett, le leader de Yamina, a annoncé son refus de former une coalition dont la survie dépendrait en partie des partis arabes. De son côté, Mansour Abbas, dirigeant de la Liste arabe unifiée, a annoncé le gel des négociations avec Lapid. Si Bennett et Abbas maintiennent leurs positions, Lapid ne pourra pas former le gouvernement et probablement des élections anticipées seront tenues pour la cinquième fois. Sauf si Netanyahu décide soudainement de démissionner du parti du Likoud.
En outre, les répercussions de la guerre entre Israël et le Hamas auront lieu sur deux autres fronts. La première concernera les relations judéo-arabes. La tension entre les juifs et les Arabes israéliens à l’intérieur des villes mixtes comme Jaffa, Acre et Lod a, d’une part, dissipé les espoirs des partis du milieu et de la gauche dans la formation d’une coalition alternative au régime de la droite israélienne et au bloc de Netanyahu. Mais elle a multiplié, d’autre part, les facteurs de tensions sociales entre ces deux communautés. Et ce, malgré les déclarations d’apaisement de Netanyahu concernant sa capacité à remédier à la division au cas où il serait reconduit à la tête du pouvoir. Il est cependant difficile d’imaginer la réussite de ces efforts en raison des sentiments d’hostilité qui se sont accumulés au fil des ans entre Arabes et juifs et qui ont augmenté de manière sans précédent par cette quatrième guerre.
Même si ces tensions ont été contenues, l’impact qu’elles laisseront au niveau interne est important. Le président israélien, Reuven Rivlin, a mis en garde contre le déclenchement d’une « guerre civile » en Israël. En outre, ce qui aggrave la situation actuellement est que certaines organisations représentant les Arabes israéliens ont appelé à une grève ces derniers jours. Si les autorités israéliennes ne parviennent pas à contenir la situation rapidement, une explosion interne est probable.
L’heure de rendre des comptes
Comme après chaque conflit, la société israélienne est divisée sur la question de la gestion de la guerre par l’Etat. Habituellement, cette division se transforme en une lutte entre les dirigeants politiques et les dirigeants militaires autour de qui a le droit de prétendre conduire le pays vers la victoire, ou qui est à l’origine de l’échec. A l’exception de la guerre de juin 1967, dans laquelle la victoire israélienne était évidente, dans les affrontements ultérieurs, depuis la guerre d’Octobre 1973 en passant par le siège de Beyrouth en 1982, la guerre avec le Hezbollah au Liban en 2006 et les offensives contre Gaza en 2009, 2012 et 2014, la victoire politique n’était pas assurée. Chaque fois, des comités ont été formés pour mener des enquêtes sur la gestion de la guerre. Aujourd’hui, dans les médias israéliens, les interrogations se succèdent sur le rôle joué par Benyamin Netanyahu, un rôle ayant contribué à augmenter les chances de déclenchement du conflit pour des raisons personnelles, que ce soit pour se désengager des responsabilités qui lui incombent dans les causes de corruption et d’abus d’influence ou pour mettre des entraves devant l’opposition pour l’empêcher de former une coalition gouvernementale alternative. Autres interrogations : pourquoi l’armée n’a-t-elle pas prédit l’ampleur des tirs de roquettes et des missiles du Hamas ? Pourquoi les forces de la défense civile ont-elles été incapables d’organiser les opérations d’évacuation vers les abris, et ce, malgré les millions versés ces dix dernières années dans des manoeuvres visant à préparer le pays à un tel scénario, que ce soit à Gaza ou à la frontière libanaise ? Et comment les services de renseignements n’ont-ils pas pu anticiper les affrontements dans les villes mixtes ? Autant d’interrogations qui embarrassent la classe politique, qui, malgré la fin des opérations, est pointée du doigt pour ne pas avoir fait les bons calculs.
*Expert des affaires israéliennes au CEPS d'Al-Ahram
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