Des remparts métalliques, des sacs de sable, des briques empilées, et des tas de débris et de pierres forment des barricades. Dans une autre partie de la place Rabea, un muret en ciment est déjà construit. Il y a des gardiens coiffés de casques et armés de bâtons. Ce n’est que l’entrée du sit-in des partisans du président déchu Mohamad Morsi à Rabea Al-Adawiya, transformée en une véritable forteresse. En première ligne : des femmes et des enfants, certains sous les tentes, montées depuis plus d’un mois et demi. De petites cabanes en bois sont en phase de construction. Aucune présence policière n’est visible dans le coin en dépit d’une intervention imminente annoncée par le gouvernement. La tâche ne sera pas facile. Le gouvernement a promis de disperser les sit-in islamistes de Rabea Al-Adawiya et d’Al-Nahda à proximité du zoo et de l’Université du Caire. Des sources officielles anonymes avaient laissé entendre, depuis l’échec des médiations européennes, américaines et arabes, que l’intervention de la police aurait lieu après les fêtes du fin du Ramadan, soit le lundi. Une source sécuritaire anonyme avait affirmé à l’agence Reuters que les forces de sécurité seront déployées autour des sit-in « à l’aube, en vue de disperser les sit-inners ».
Pourtant, le ministère de l’Intérieur n’a émis aucune déclaration officielle. Des sources policières et militaires contactées par Al-Ahram Hebdo ont affirmé que le gouvernement est « capable » de disperser ces sit-in, et que « des plans sont sur la table ». Les sources refusent pourtant d’en dévoiler le contenu. « La décision de disperser les manifestants est définitive », affirme une source sécuritaire en reprenant les mots formulés un peu plus tôt par le premier ministre, Hazem Al-Beblawi.
Les deux sit-in de Rabea et d’Al-Nahda sont qualifiés de « non pacifiques » par le gouvernement, alors que les organisations des droits de l’homme utilisent d’autres termes pour les qualifier comme « agressifs » et « armés ». « D’après les témoignages recueillis, Rabea est un sit-in agressif et Al-Nahda est armé », explique Gamal Eïd, directeur du Réseau arabe des informations des droits de l’homme. Il estime que les Frères auraient constitué d’importantes caches d’armes à Guiza, mais qu’il était difficile de prouver cette affirmation à Madinet Nasr. Le journaliste britannique Robert Fisk, en visite à Rabea, affirme avoir été accueilli dans le parking par un homme armé de kalashnicov.
Témoignages accablants
Des manifestants anti-Morsi ont affirmé à Amnesty International avoir été capturés, battus, soumis à des décharges électriques ou poignardés par des individus fidèles à l’ancien président. « Entre le début des rassemblements fin juin et le 28 juillet, 8 corps présentant des traces de torture sont arrivés à la morgue du Caire. Au moins 5 d’entre eux ont été retrouvés à proximité de zones où se tenaient les sit-in des partisans de Morsi », précise Amnesty, sans parler d’armes. Laïla Soueif, activiste et professeur à l’Université du Caire, était sur les lieux un soir d’affrontement et affirme qu’il y avait des armes à Al-Nahda avec les partisans de Morsi. Mère du fameux activiste et blogueur Alaa Abdel-Fattah, elle précise sur sa page Facebook que les personnes qui ont été abattues n’étaient pas armées et que les tirs provenaient de différents endroits, y compris l’université et le zoo qui se trouvent à proximité. Il y a 2 semaines déjà, le gouvernement avait autorisé le ministre de l’Intérieur à « prendre toutes les mesures nécessaires » pour « lutter contre la violence et le terrorisme » liés aux sit-in, sans fournir plus de précisions sur le type de mesures envisagées. Eïd estime qu’une organisation des droits de l’homme ne peut pas appeler à disperser un rassemblement. Elle évoquera peut-être des « mesures très limitées » à prendre par les autorités qui, selon lui, devraient d’abord commencer par « resserrer l’étau autour des 2 sit-in pour limiter leur caractère agressif et empêcher la sortie et l’entrée des manifestants ». Les militants et avocats oeuvrant dans le domaine des droits de l’homme contactés par l’Hebdo sont unanimes à exiger une série de mesures avant toute intervention pour disperser les rassemblements, surtout avant le recours aux armes. Tous parlent d’une présence policière dans les alentours des sit-in mais sans intervention, puis une tentative d’ouvrir une brèche, une voie pour accéder aux habitants du quartier. Rabea est par exemple implantée au milieu d’une importante agglomération, rendant infernale la vie des habitants. « Un recours à la force par les manifestants justifierait une réponse de la police dans ce cas », explique le président de l’Organisation égyptienne des droits de l’homme, Hafez Abou-Seada. Celui-ci venait de répondre à une invitation du ministre de l’Intérieur, avec 12 autres organisations, dont peu sont fiables, pour débattre de l’intervention de la police pour disperser les manifestants. Le ministre les aurait invitées à assister à l’opération une fois lancée pour s’assurer de son caractère non violent. La plupart ont refusé de cautionner le ministère. Seules des ONG qui par le passé collaboraient avec le très violent Habib Al-Adely, ministre de l’Intérieur de Moubarak, ont accepté cette invitation. Gamal Eïd estime que le limogeage de l’actuel ministre, Mohamad Ibrahim, est primordial avant toute intervention pour disperser les sit-in. « Il faudrait un responsable qui respecte la loi et qui ne soit pas impliqué dans le meurtre de citoyens, ce qui n’est pas le cas d’Ibrahim », avance-t-il. Le ministre, d’après Abou-Seada, a parlé d’un bilan potentiel de victimes. Quelque 500 morts, a-t-il déclaré.
Les forces de sécurité, un passé sanglant
Les forces de sécurité égyptiennes ont un lourd passé, ayant régulièrement recouru à la force excessive pour réprimer les manifestations. Les policiers ne se sont jamais retenus lorsqu’il s’agissait d’ouvrir le feu, en visant les manifestants à la tête ou à la poitrine. « Si la police égyptienne parvient à intervenir en faisant un usage mesuré de la force, ce serait bien la première fois », déclare Karim Medhat, chercheur en justice pénale à l’Initiative égyptienne pour les droits individuels. « Je ne pense pas que la police a cette capacité », ajoute-t-il. Au début du mois, Human Rights Watch avait ainsi appelé le gouvernement à suspendre tout plan visant à disperser par la force les sit-in des Frères musulmans. « La décision du gouvernement égyptien de confier aux forces de sécurité la tâche de disperser les sit-in fait craindre une nouvelle effusion de sang », a-t-elle déclaré. « La décision de disperser un rassemblement ne doit être prise qu’en dernier recours », ajoute l’organisation. Le plan idéal, selon les policiers, consiste à encercler progressivement les sit-in, afin de couper toute livraison d’aliments. Toute entrée serait éventuellement bloquée, mais en permettant la sortie à ceux qui veulent quitter l’endroit. Plus tard, la police va progressivement utiliser des canons à eau et des gaz lacrymogènes. Mais on ne dit pas clairement comment la police va gérer la résistance des manifestants, car il y aura certainement une résistance si on se réfère aux communiqués officiels des Frères musulmans. Ces derniers sont déterminés à « mourir en martyrs » ou à présenter des « milliers de martyrs ». Les appels de l’armée et de la police invitant les sit-inners à « rentrer pacifiquement chez eux » ne trouvent aucun écho.
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