Alors que l’Egypte est dans l’impasse politique depuis la destitution de Mohamad Morsi le 3 juillet, les émissaires internationaux se succèdent au Caire pour pousser gouvernement et opposition à un compromis et éviter une confrontation entre la police et les pro-Morsi. Mais ce ballet diplomatique, mené essentiellement par le vice-secrétaire d’Etat américain, William Burns, et l’émissaire de l’Union européenne, Bernardino Leo, n’a pas encore donné de résultats tangibles.
Les deux hommes, avec d’autres émissaires qatari et émiratis, ont pu rencontrer lundi, peu après minuit, le numéro deux des Frères musulmans Khaïrat Al-Chater, détenu à la prison de Tora au sud du Caire. Burns avait auparavant rencontré des membres du Parti Liberté et Justice (PLJ), vitrine politique des Frères musulmans, visiblement sans parvenir à infléchir sa position. Après la rencontre, le PLJ a rejeté toute solution qui ne serait pas fondée sur « la légitimité constitutionnelle et le rejet du coup d’Etat ».
Mais selon des diplomates proches des négociations, les Frères musulmans ont compris que Morsi ne reprendra pas ses fonctions présidentielles, mais ils se servent de cette revendication comme carte dans les négociations. En effet, un porte-parole du camp Morsi, ayant participé à la rencontre, Tareq Al-Malt, a implicitement reconnu l’importance des manifestations qui avaient visé le président déchu et a prôné une issue « respectant toutes les sensibilités populaires ».
En revanche, les partisans de l’ex-chef de l’Etat se montrent intransigeants sur une question : ils excluent toute participation du chef de l’armée, le général Abdel-Fattah Al-Sissi, architecte de la reprise en main, dans le cadre d’un règlement politique. Ils demandent aussi la restauration de la Constitution de 2012.
Depuis plus d’un mois, des milliers de militants islamistes occupent les places Rabea Al-Adawiya et Al-Nahda au Caire pour réclamer le retour au pouvoir du président déchu, posant ainsi un défi au gouvernement de transition qui s’est donné comme priorités le redressement de l’économie, le rétablissement de la sécurité et l’achèvement du processus de transition politique. Plus de 250 personnes — en majorité des manifestants islamistes — ont péri dans des violences depuis fin juin.
Mais au bout d’un mois, la mobilisation islamiste commence à présenter des signes d’érosion, d’où la « flexibilité » qu’ils auraient montrée lors des négociations.
La confrérie avait appelé à 2 nouveaux sit-in et à 4 marches sur les QG de l’armée et de la police, mais toutes ces actions ont tourné court. La police a immédiatement dispersé, vendredi, une tentative d’installation d’un campement devant la Cité des médias par un petit millier de manifestants, et des résidents ont empêché quelques autres de s’installer sur une place du centre-ville. Quant aux marches annoncées, elles n’ont guère mobilisé et n’ont pu s’approcher des QG des forces de sécurité.
De son côté, le gouvernement intérimaire souffle depuis plusieurs jours le chaud et le froid à l’intention des pro-Morsi qui appellent à plus de manifestations malgré les avertissements officiels.
Dimanche, le chef de l’armée, le général Abdel-Fattah Al-Sissi, a pour la première fois officiellement rencontré des dirigeants islamistes leur assurant qu’il y avait « encore des chances pour une solution pacifique à la crise ». Le général exprime désormais son objectif de vouloir mener à bien la transition « sans verser une seule goutte de sang ». Dans une interview accordée au quotidien américain le Washington Post, il n’a pas exclu pour autant la possibilité d’une dispersion des sit-in par la force « par la police civile ».
Dans un premier temps, l’armée avait menacé de déloger les pro-Morsi par la force. Mais vendredi, à la suite d’appels lancés par des chefs religieux et par des gouvernements étrangers, le gouvernement a promis qu’il n’userait pas de la force pour s’emparer des campements et qu’il se contenterait d’un blocus.
Samedi, le gouvernement a demandé pour la deuxième fois aux manifestants partisans du président destitué de se disperser, en leur promettant une « sortie en toute sécurité » et un accès à la vie politique. « Vous aurez une sortie en toute sécurité, vous serez politiquement intégrés », a déclaré à la télévision le porte-parole du ministère de l’Intérieur, le général Hani Abdel-Latif. Toutefois, sur un ton nettement moins conciliant, il a affirmé que toute personne ayant participé à des crimes sera poursuivie.
Parallèlement, le Conseil de la défense nationale, composé de civils et de militaires, a exprimé son impatience, indiquant dans un communiqué, dimanche, soutenir les efforts de médiation qui « évitent au sang de couler tant qu’ils se déroulent dans une période de temps limité ». La durée de cette période n’a pas été précisée.
Et alors que ces efforts louables battent leur plein, le procureur général a annoncé dimanche que les deux plus hauts responsables des Frères musulmans, le guide suprême des Frères musulmans, Mohamad Badie, et son adjoint Khaïrat Al-Chater, seraient jugés à partir du 25 août pour différents crimes, dont incitation au meurtre des manifestants anti-Morsi. Le procureur a également ordonné une détention préventive de 15 jours à l’encontre de Rifaa Al-Tahtaoui, chef de cabinet de Mohamad Morsi, et de son adjoint, tous deux accusés d’incitation à la torture et à la détention arbitraire de manifestants en 2012. Morsi, qui est détenu dans un lieu toujours tenu secret, est lui aussi accusé d’assassinat et d’autres crimes.
Une annonce qui va à l’encontre du discours sur la non-politisation des procès engagés contre les Frères. Il n’est pas encore sûr jusqu’où ces derniers pousseront leur intransigeance, au risque d’exaspérer un appareil sécuritaire qui fourbe ses armes. Ce qui est sûr, c’est que les nouvelles autorités qui s’appuient sur le mécontentement d’une très grande partie de la population à l’égard des partisans de Morsi n’ont pas suffisamment de raisons pour « trop » leur donner en termes de pardon et de reconnaissance.
Ici la démocratie
Dans leurs discours respectifs, le pouvoir et les Frères musulmans blâment chacun à son tour les Etats-Unis et les puissances occidentales pour ne pas s’être rangés du bon côté, celui du peuple et de la démocratie.
Ainsi, le général Al-Sissi a appelé, samedi, les Etats-Unis à faire pression sur les Frères musulmans pour « mettre un terme » aux violences.
« L’Administration américaine a de grands moyens de pression et une influence sur les Frères musulmans, et j’aimerais beaucoup qu’elle les utilise pour mettre un terme au conflit », déclare le général Abdel-Fattah Al-Sissi, dans un entretien publié par le Washington Post.
Interrogé sur les inquiétudes exprimées par les Etats-Unis face à la situation en Egypte, Al-Sissi n’hésite pas à critiquer Washington, qui fournit annuellement quelque 1,5 milliard de dollars d’aide, essentiellement militaire, au Caire.
« Nous nous demandons vraiment quel est le rôle des Etats-Unis, de l’Union européenne et de toutes les autres forces internationales qui sont pour la sécurité et le bien-être de l’Egypte. Les valeurs de liberté et de démocratie sont-elles uniquement valables dans vos pays (...) ? Vous avez laissé tomber les Egyptiens, vous leur avez tourné le dos, et ils ne l’oublieront pas », assure-t-il.
De leur côté, les Frères musulmans ont réitéré leur accusation aux Etats-Unis d’être les « complices » d’un coup d’Etat après les déclarations, jeudi, du secrétaire d’Etat John Kerry, selon lesquelles l’armée avait « rétabli la démocratie » en destituant M. Morsi à la demande de « millions et de millions de manifestants ».
« L’armée n’a pas pris le pouvoir, d’après ce que nous pouvons en juger, jusqu’à présent. Pour conduire le pays, il y a un gouvernement civil. En fait, elle rétablissait la démocratie », a-t-il jugé.
« Nous rejetons en bloc ces déclarations qui nous ont très déçus », affirme Mohamad Ali Bechr, ministre sortant et cadre de la confrérie.
« Comment les Etats-Unis, qui parlent de la démocratie et des droits de l’homme, peuvent tenir des déclarations pareilles. J’espère qu’ils reconsidéreront leur position », a-t-il ajouté, avant de conclure que les Etats-Unis « sont indifférents à la volonté du peuple égyptien ».
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