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La révolution prise en tenailles

Chérif Albert , Mardi, 30 juillet 2013

Plusieurs mouvements politiques ayant soutenu le renversement de Mohamad Morsi le 3 juillet ont exprimé leur inquiétude face au risque d'escalade entre l'armée et les islamistes.

Le ministère de l’Intérieur est vivement mis en cause par les islamistes, de même que par les formations politiques et les organisations locales de défense des droits de l’homme après les affrontements de samedi qui ont fait des dizaines de morts parmi les manifestants islamistes qui réclament la réinstauration du président déchu Mohamad Morsi.

Le retour de force de l’appareil sécuritaire ne manque pas de soulever des questions sur l’avenir de la démocratie, voire sur les objectifs d’une révolution dont la devise, scandée voilà deux ans et demi, est « pain, liberté, justice sociale, dignité humaine ». Une devise qu’un retour à l’oppression, encouragé par un sentiment de peur et de haine cultivé à l’encontre des islamistes, risque d’être relégué au second plan sinon de s’éclipser.

Le 30 juin, hormis les islamistes convaincus, les Egyptiens ont tous, ou presque, répondu à l’appel de manifester pour faire chuter le régime du président Mohamad Morsi, malgré la réticence de certains qui ne se sentaient pas à l’aise de se ranger du même côté que l’armée et l’appareil sécuritaire qui a explicitement encouragé la population à manifester. Le 8 juin, moins d’une semaine après la destitution de Morsi, une première tuerie a eu lieu, où une cinquantaine de manifestants islamistes ont péri sous les balles de l’armée. Excusable malgré le tollé, parce qu’officiellement, ces manifestants essayaient de « prendre d’assaut le QG de la garde républicaine ». Puis est survenu le discours solennel du chef de l’armée, le général Abdel-Fattah Al-Sissi qui a appelé « les Egyptiens honnêtes » à manifester vendredi pour lui donner « un mandat d’en finir avec le terrorisme » dans une menace à peine voilée envers le camp Morsi. Ce vendredi-là, les « honnêtes » étaient moins nombreux à répondre présents qu’il y a un mois, et plus nombreux à se distancier de ce « mariage » entre les révolutionnaires et les militaires. Sans surprise, le mandat n’a pas tardé à se solder en un deuxième massacre, cette fois avec plus de 80 morts, toujours dans les rangs des islamistes, lors d’affrontements samedi avec les policiers qu’Al-Sissi aurait mandatés à son tour pour disperser les manifestants qui contestent son « coup ».

Mais au-delà de la violence, c’est surtout le risque de voir l’ancien régime renaître de ses cendres sous la couverture d’un gouvernement civil qui suscite encore plus les inquiétudes.

Force est de constater que le nouveau cabinet de transition compte une dizaine de vétérans de l’ère Moubarak. Leur come-back est justifié par leur compétence et l’expérience dont il faut en profiter. C’est le même prétexte dont s’est servi le ministre de l’Intérieur en annonçant, lors d’une conférence de presse samedi, le rétablissement au sein de la tristement célèbre Sécurité d’Etat, des départements de surveillance des activités politiques et religieuses et de lutte contre l’extrémisme, qui ont été abolis après la révolution du 25 janvier 2011.

« Les crimes des Frères contre les habitants … et contre les églises ont créé une vague de haine chez la population, et un prétexte que les militaires et les policiers ont exploité pour demander un mandat de lutte contre le terrorisme », lit-on dans un communiqué publié dimanche par les socialistes révolutionnaires. Mais « les canons qui sont braqués vers les Frères peuvent se retourner contre nous à tout moment, pour viser les révolutionnaires et les protestataires contre la pauvreté et les conditions de travail », poursuit le communiqué qui appelle « toutes les forces révolutionnaires et sociales à faire front commun contre le fascisme militaire et les crimes des Frères ».

C’est à ce double combat qu’appelle le mouvement activiste du 6 Avril. Dans un communiqué dimanche, le mouvement a dénoncé la « violence et le terrorisme de la part de la police et des manifestants pro-Morsi » et a appelé toutes les factions à s’abstenir de donner une « couverture officielle ou populaire » à la violence.

Plusieurs ONG égyptiennes ont par ailleurs tenu le ministre de l’Intérieur responsable des violences meurtrières de samedi. « Le ministre de l’Intérieur doit être démis de ses fonctions et rendre des comptes pour ces actions », écrivent ces ONG lundi dans un communiqué commun. « Le fait que certains manifestants ont tiré en premier sur la police ou les habitants ou qu’ils ont coupé des axes importants ou érigé des barrières de ciment pour entraver la circulation ne diminue pas la responsabilité du ministre », ont-ils souligné.

Mais ces ONG, dont l’Initiative égyptienne pour les droits de l’homme et le Réseau arabe pour l’information sur les droits de l’homme, ont également appelé les Frères musulmans à renoncer à la violence.

« Notre campagne soutient l’Etat dans ses plans de lutte contre le terrorisme, mais comme nous l’avons dit auparavant, ce soutien exclut le recours aux mesures exceptionnelles contraires aux libertés et aux droits de l’homme », réagit Mahmoud Badr, le porte-parole du mouvement Tamarrod, qui pourtant avait accordé à Al-Sissi le « mandat » réclamé.

« Nous n’accepterons jamais le retour de l’Etat policier ou la traque des activistes politiques sous n’importe quel prétexte », ajoute-t-il à l’intention du ministre de l’Intérieur.

Tandis que le Front National du Salut (FNS), coalition de gauche et libérale largement représentée au gouvernement et à la présidence, a exprimé sa « tristesse » après les violences meurtrières, mais a dénoncé « l’attitude provocatrice » des Frères musulmans qui « promettent le paradis à leurs martyrs ». Le FNS a demandé une investigation pour déterminer la responsabilité du ministre de l’Intérieur dans les événements de samedi.

Le discours de l’armée qui intervient au bon moment pour « sauver la révolution », est — encore une fois — remis en question. Mais les contestataires, encore minoritaires, se doivent de faire la guerre sur deux fronts, contre les deux camps antagonistes. Une guerre qui ne fait que commencer.

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