Aprèsune semaine de discussions, le dialogue politique libyen tenu près de Tunis sous l’égide de l’Onu, afin de désigner un exécutif unifié de transition et tenter de sortir la Libye d’une décennie de conflit, s’est achevé dimanche 15 novembre sans accord sur les noms des futurs dirigeants, a indiqué l’Onu. « Nous avons convenu de nous retrouver dans une semaine pour une rencontre virtuelle afin de se mettre d’accord sur le mécanisme de sélection pour la future autorité », a indiqué à la presse l’émissaire de l’Onu pour la Libye, Stephanie Williams. Les 75 délégués de tous bords rassemblés devaient s’accorder sur des élections nationales et la désignation d’un chef du gouvernement et des trois membres d’un conseil présidentiel formant un exécutif unifié. « Nous avons atteint un consensus sur trois documents importants : la feuille de route, les prérogatives des autorités exécutives et les critères d’éligibilité » pour pouvoir y siéger, a déclaré Stephanie Williams, tout en soulignant que « dix ans de conflit ne se résolvent pas en une semaine ».
Plusieurs questions restent donc en suspens : l’Onu n’a pas précisé dans l’immédiat quelles seraient les prérogatives du président du Conseil présidentiel, à qui il a notamment été question de confier le poste de chef des armées. Le chef du gouvernement devra composer son cabinet et le faire approuver par un vote de confiance du parlement. Cet exécutif unifié est chargé de prendre le relais des différentes institutions rivales afin d’organiser ces élections et de répondre aux besoins des Libyens, exaspérés par la corruption et des services défaillants.
En revanche, un accord a été trouvé sur des élections nationales en décembre 2021, a annoncé l’Onu, vendredi 13 novembre, sans détailler la nature de ces scrutins. « Les 75 délégués libyens sont parvenus à une feuille de route préliminaire pour mettre fin à la période de transition et organiser des élections présidentielle et parlementaires libres, justes, inclusives et crédibles. Les participants au Forum de dialogue se sont accordés sur l’organisation d’élections nationales le 24 décembre 2021. C’est une journée cruciale pour l’histoire de la Libye et une date très importante pour les Libyens qui pourront renouveler leurs institutions », a déclaré Stephanie Williams, vendredi 13 novembre, sans préciser s’il s’agissait d’élections présidentielle ou parlementaires ou les deux.
D’où les interrogations sur les résultats réels du Forum de Tunis. Certains les jugent positifs, d’autres bien moins. Premier bémol, la concrétisation des accords. « Ce n’est pas la première fois que l’on parvienne à un accord et que l’on se mette d’accord sur une date. Mais c’est toujours resté lettre morte. Les textes peuvent être idéaux, leur application est une toute autre affaire », juge Dr Kamel Abdallah, spécialiste du dossier libyen au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Selon l’analyste, « pour concrétiser ces accords, il faut tout d’abord éloigner les figures politiques actuelles tout en leur accordant un certain nombre de garanties. Autre chose, il est nécessaire de fournir une aide économique et un soutien politique aux nouveaux dirigeants libyens. Ces derniers doivent être choisis par les Libyens selon les critères imposés par l’Onu, cette opération représente en elle-même un vrai problème », car, ajoute-t-il, « l’issue de la crise libyenne reste dans les mains des grandes puissances, à même d’imposer une solution aux acteurs libyens ». Avis partagé par plusieurs analystes. Dr Ayman Shabana, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, estime que « l’ampleur des divergences entre les différentes parties libyennes nécessite de fortes pressions de l’Onu pour que soit appliquée la feuille de route », ajoutant que l’« on a besoin de beaucoup de temps ». « Les différends sont nombreux et concernent beaucoup de détails. Par exemple, les différentes parties n’arrivent pas à choisir les sièges pour réunir les conseils qu’ils vont choisir. Autre exemple, des difficultés qu’ils doivent surmonter : au cours de la période transitoire à venir, il faut choisir certains postes-clés pour diriger le pays sans corruption et pour garantir l’application du plan onusien. Mais les critères et le processus pour choisir ces personnes sont compliqués. Pour chaque poste, un comité doit être formé sous la supervision d’organisations internationales ; par exemple, pour choisir le dirigeant de la banque centrale, les institutions financières et pour la société nationale du pétrole, l’Onu va former un comité de la Banque mondiale et du Fonds Monétaire Internationale (FMI). Ce comité va choisir 10 personnes pour chaque poste, ensuite, les présenter au Forum de dialogue libyen (les 75 représentants). Ces derniers vont choisir 6 personnes, ensuite, les présenter au gouvernement unifié qui doit être annoncé. A son tour, le gouvernement va choisir 3 d’entre eux et va les présenter au Conseil présidentiel. Ce dernier nommera la personne choisie. C’est donc un long et compliqué processus qui risque d’affronter plusieurs difficultés », explique Dr Ayman Shabana.
Les principales figures absentes
D’autres doutes planent sur le Forum de Gammarth, qui a rassemblé des délégués sélectionnés par l’Onu en fonction de leur appartenance géographique, politique ou idéologique, mais pas les principaux protagonistes. Plusieurs organisations ont critiqué la composition du forum, estimant que certaines forces politiques ou militaires étaient sous-représentées. Le risque subsiste également que des dirigeants, absents des pourparlers, des groupes armés ou leurs parrains internationaux tentent de jouer les trouble-fête, dans un pays qui a connu une implication croissante de puissances étrangères et où la trêve reste fragile. « Alors, si on doute de la légitimité de ces participants, comment peut-on approuver leurs choix et leurs décisions ? », se demande Dr Kamel Abdallah, tout en ajoutant qu’avant même la fin de ce forum, certaines voix ont appelé à l’approbation d’une Constitution préalablement à la tenue d’élections en Libye.
C’est dire la difficulté de la tâche de parvenir à une solution définitive, qui commence à peine.
Accord sur le départ des mercenaires
Parallèlement au Forum de Gammarth, la commission militaire mixte libyenne (5 + 5) a terminé, jeudi 12 novembre, sa réunion, la deuxième en Libye depuis l’accord de cessez-le-feu signé à Genève le 23 octobre 2020. Tous se sont mis d’accord pour le départ des mercenaires et combattants étrangers dès le 23 janvier 2021. C’est un responsable de la Mission d’appui des Nations-Unies pour la Libye la (Manul) qui l’a annoncé à l’issue de la réunion. Selon l’accord trouvé entre les deux parties réunies à Syrte entre le 10 et le 12 novembre, les mercenaires devraient, dans un premier temps, se retirer de toute la zone de Syrte. Après s’être regroupés à Tripoli et à Benghazi, ils quitteraient alors le territoire libyen. La ville côtière de Syrte a été proposée comme capitale administrative du pays durant la période de transition. Il a été également décidé, lors de cette réunion, de « sécuriser » et d’ouvrir immédiatement la route côtière en Libye, une route qui relie le pays de la frontière tunisienne à la frontière égyptienne en passant par Tripoli et Benghazi. Cette route était fermée depuis plusieurs années, sa réouverture doit permettre, selon la Manul, « la circulation des citoyens ». La réunion de Syrte s’inscrit dans la continuité des pourparlers de Ghadamès, tenus début novembre, afin d’accélérer l’application de l’accord de cessez-le-feu d’octobre dernier. Lors de cette première réunion, les deux parties sont tombées d’accord pour former deux comités de suivi : l’un sécuritaire, l’autre militaire. Le premier pour superviser le retrait des combattants libyens des alentours de Syrte et le retour à leurs bases ; le second pour superviser le retrait des mercenaires étrangers.
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