L'offensive est une réaction à la tenue d'élections parlementaires dans la région du Tigré, considérées comme un acte de défi contre le gouvernement fédéral d'Addis-Abeba. (Photo : AFP)
Prix Nobel de la paix, le premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, choisit les armes dans son affrontement avec le mouvement de dissidence qui s’est déclenché dans la région du Tigré, dirigé par le Front de libération des peuples du Tigré (TPLF). Mercredi 4 novembre, une offensive militaire a été lancée contre cette région du nord du pays, accusée par Addis-Abeba de velléités sécessionnistes. Quatre jours après, soit dimanche 8 novembre, Abiy Ahmed a limogé plusieurs hauts responsables, avec à leur tête le chef de l’armée, le général Adem Mohammed. Le chef adjoint des forces gouvernementales, le général Berhanu Jula, « a été promu au rang de chef de l’armée », a affirmé un communiqué du bureau du premier ministre, sans préciser les raisons du limogeage de son prédécesseur. Le ministre des Affaires étrangères ainsi que le chef du service de renseignement ont eux aussi été écartés.
Promu le 9 novembre chef de l’armée, l’officier supérieur a déclaré que les soldats éthiopiens avaient « complètement capturé » quatre villages de l’ouest du Tigré, où se sont concentrés les combats. Malgré un black-out total sur les opérations militaires, sur le terrain apparaissent les premiers signes de combats qui semblent assez nourris entre forces armées éthiopiennes et tigréennes. Une centaine de soldats éthiopiens ont ainsi été admis pour des blessures « par balles » dans un hôpital de la région Amhara, qui jouxte le Tigré, a indiqué dimanche à l’AFP un médecin local. « L’opération militaire contre la région dissidente du Tigré a des objectifs clairs, limités et réalisables, dans le but de rétablir l’Etat de droit et l’ordre constitutionnel, et protéger les droits des Ethiopiens à vivre paisiblement où qu’ils soient dans le pays », a annoncé le premier ministre éthiopien, atténuant la rhétorique guerrière utilisée par les deux camps, sur fond d’inquiétudes sur les conséquences d’un éventuel conflit hors de contrôle. Abiy a dénoncé aussi « l’orgueil démesuré et l’intransigeance criminels du TPLF », qui a entravé les efforts du gouvernement de « résoudre pacifiquement ses différends » avec les autorités de la région.
La tension entre les deux camps mijote depuis des mois et s’est exacerbée après la tenue, en septembre, d’élections parlementaires dans la région du Tigré, dans un acte de défi sans précédent contre le gouvernement fédéral. Le parlement fédéral a qualifié le processus d’« illégal ». En réaction, le parlement éthiopien a voté, samedi 7 novembre, la révocation du parlement régional et de l’exécutif du Tigré. Et depuis lors, les deux gouvernements se sont désignés mutuellement comme « illégitimes et inconstitutionnels ». La chambre haute du parlement « a adopté une résolution visant à révoquer l’assemblée régionale illégale actuelle du Tigré et son gouvernement et mettre en place une administration par intérim », a annoncé la radio-télévision publique éthiopienne EBC. La décision du parlement éthiopien est basée sur les dispositions prévoyant la possibilité d’une intervention contre un Etat fédéral qui aurait « violé la Constitution et mis en danger le système constitutionnel », selon la EBC.
Une décision prise après l’ordre d’Abiy Ahmed à l’armée de mener une offensive contre le Tigré en réaction à une attaque des forces du Tigré contre une base de l’armée fédérale qui a entraîné « de nombreux martyrs, blessés et dégâts matériels ». M. Abiy Ahmed a blâmé le parti au pouvoir de la région, le TPLF, pour l’attaque. Elu « leader réformiste », le premier ministre avait accusé les responsables des gouvernements précédents de corruption et de violations des droits de l’homme, et a retiré du gouvernement central des personnalités-clés du TPLF. En outre, la décision d’Abiy Ahmed, l’an dernier, de fusionner les partis ethniques qui ont formé la coalition gouvernementale EPRDF avec la mise en place du Parti de la prospérité (PP) a alimenté les tensions. Le TPLF s’est opposé à la décision, affirmant qu’il diviserait le pays, et a refusé de rejoindre le PP.
L’Onu inquiète
Le TPLF, membre dominant de la coalition au pouvoir, pendant des décennies, accuse Abiy Ahmed — un Oromo, ethnie la plus importante en Éthiopie — d’avoir progressivement marginalisé la minorité tigréenne (6 % de la population) au sein de la coalition au pouvoir, que le parti a depuis quittée, se positionnant de facto dans l’opposition. En effet, le TPLF avait joué un rôle central dans le renversement du leader marxiste Mengistu Haile Mariam en 1991 et jusqu’en 2018, il a continué à dominer non seulement la politique du pays, mais aussi l’économie. Le TPLF avait auparavant formulé des menaces voilées de sécession, citant un article de la Constitution fédérale qui autorise le « droit inconditionnel à l’autodétermination, y compris le droit à la sécession ». « Nous ne reculerons jamais pour quiconque a l’intention de nier notre droit durement acquis à l’autodétermination et à l’autonomie », a déclaré le chef de la région, Debretsion Gebremichael, en août. Début octobre, le gouvernement fédéral a décidé de couper les liens avec la région du Tigré et la chambre haute du parlement a voté la suspension de l’aide budgétaire au Tigré.
Alors avec cette escalade, les observateurs n’excluent pas la probabilité de la transformation d’une grave guerre civile. « La région Tigré renferme une importante force paramilitaire et une milice bien entraînée, dont les effectifs combinés sont estimés à 250 000 hommes, qui bénéficient d’un soutien significatif des 6 millions de Tigréens. De plus, le Tigré jouit de l’alliance de quelques régions minoritaires qui le soutiennent contre Abiy Ahmed, tout cela donne à ce conflit des dimensions graves qui peuvent aboutir à une guerre civile », a expliqué Asmaa Hussein, responsable des affaires africaines au quotidien Al-Ahram, lors d’un entretien à la chaîne satellite Al-Ghad. Elle ajoute aussi que ce conflit ne va pas affecter l’Ethiopie seulement mais aussi tous ses voisins de la région de la Corne de l’Afrique. En effet, de peur de la fuite de milliers dont des hommes armés, le soudan a décidé de fermer ses frontières avec l’Ethiopie.
Pour sa part, le secrétaire général de l’Onu, Antonio Guterres, s’est dit, jeudi 5 novembre, au lendemain du lancement de l’offensive militaire, « profondément alarmé par la situation » au Tigré, soulignant que « la stabilité de l’Ethiopie est importante pour l’ensemble de la Corne de l’Afrique ». Il a appelé sur Twitter à une « désescalade immédiate des tensions » et à une « résolution pacifique » des différends entre Addis-Abeba et les autorités du Tigré. Asmaa Hussein a aussi insisté sur la solution pacifique. « Ce genre de conflit doit être résolu avec des solutions politiques, sinon, la guerre dans ce pays de 110 millions d’habitants appartenant à différentes ethnies sera catastrophique », conclut la spécialiste.
Lien court: