Le cheikh est Yasser Borhamy, vice-président de l’« Appel salafiste », la plus importante organisation salafiste d’Egypte, qui avait créé en mai 2011, après la chute du régime de Moubarak, le premier parti salafiste du pays, Al-Nour (lumière). Le politicien est Emadeddine Abdel-Ghafour, président de ce dernier, qui a été révoqué mercredi dernier par le haut comité du parti et remplacé par Al-Sayid Moustapha Hussein Khalifa, vice-président et ancien chef du groupe parlementaire d’Al-Nour au Parlement dissous. Abdel-Ghafour a répliqué en rejetant sa mise à l’écart et en nommant un nouveau haut comité, purgé de ses adversaires. Borhamy et Abdel-Ghafour symbolisent le conflit qui déchire aujourd’hui le plus important parti salafiste d’Egypte, deuxième force politique du pays après les Frères musulmans. Sous sa houlette, la coalition des partis salafistes, comprenant également le parti de la Reconstruction et du développement et celui d’Al-Assala (authenticité), avait remporté 25 % des sièges du Parlement (123 sièges, dont 108 pour le seul parti Al-Nour), lors des dernières législatives, tenues en novembre-décembre 2011. Le Parlement a été ensuite dissous, mi-juin, par arrêt de la Haute Cour constitutionnelle, qui avait jugé inconstitutionnelle la loi des législatives.
Le conflit, qui affaiblit Al-Nour, oppose deux visions de l’action politique, celle des religieux et des prêcheurs, dont Borhamy, parrain du parti, qui étaient à l’origine de la création d’Al-Nour, et celle des militants et des politiciens fondateurs, dont Abdel-Ghafour, qui veulent s’affranchir de la tutelle des oulémas et adapter l’action du parti aux réalités de la scène politique égyptienne. Depuis sa création, Al-Nour est resté sous la domination des cheikhs de l’Appel salafiste, notamment Borhamy, chargé du prosélytisme au sein du parti et assurant le lien entre ce dernier et l’organisation-mère. Rien ne peut se faire au sein du parti sans l’approbation des religieux, qui imposent leur volonté et la marche à suivre à ses dirigeants, dont Abdel-Ghafour. Ce qui déplaît aux militants politiques qui s’emploient à acquérir leur indépendance par rapport aux prêcheurs de l’Appel salafiste. Ils jugent la ligne de conduite imposée par ces derniers nuisible au parti à long terme, car elle le pousse à prendre des décisions idéalistes, sans prise sur la réalité politique et quotidienne du pays. Pour y s’opposer, ils ont créé, début septembre, un « Front intérieur de la réforme » destiné à contrer la mainmise des oulémas. Leur objectif est de « démocratiser » le fonctionnement du parti, loin des diktats des religieux de l’Appel salafiste et d’ouvrir davantage le parti à la société. Les politiciens du parti veulent avant tout se débarrasser de la nécessité d’avoir l’approbation préalable des oulémas aux décisions du parti. Ce combat entre le cheikh et le politicien est avant tout un conflit de pouvoir sur la prise en main du parti Al-Nour, car les différences idéologiques entre les deux factions sont minces ou presque inexistantes, la lutte tournant autour de la politique à suivre pour atteindre les buts des salafistes, à savoir l’application stricte de la charia.
Le conflit s’est timidement manifesté à l’occasion de l’approbation par Abdel-Ghafour de sa nomination, fin août, comme assistant du président Mohamad Morsi, chargé des relations avec la société civile. La faction radicale et dogmatique, proche des religieux, s’était opposée, pour des raisons idéologiques et politiques, à toute alliance électorale avec les Frères musulmans, dont Morsi est issu. Plusieurs membres du haut comité du parti, dominé par les radicaux, ainsi que Borhamy, s’étaient également prononcés contre toute participation du parti à l’équipe présidentielle de Morsi. Ils entendaient ainsi protester contre le refus de ce dernier d’attribuer des postes-clés dans le gouvernement et l’appareil d’Etat à Al-Nour, comme celui-ci lui en avait réclamé, étant donné son poids électoral. Morsi s’est contenté de proposer aux salafistes d’Al-Nour le poste du ministre d’Etat à l’Environnement, rejeté par ces derniers. Il les a également ignorés lors de la nomination, le 4 septembre, de 10 nouveaux gouverneurs, choisis parmi les Frères musulmans et les militaires.
Le sourd conflit entre réformateurs et radicaux au sein d’Al-Nour, qui avait déjà provoqué la démission ou la mise à l’écart discrète de plusieurs membres et responsables, a éclaté au grand jour à l’occasion de la tenue, le 15 septembre, de la première phase des élections internes pour la désignation de centaines de postes-clés, dont le secrétaire général du parti et les responsables des provinces. Plusieurs plaintes ont alors été déposées par des membres dans plusieurs gouvernorats contre le manque de transparence du scrutin et des irrégularités destinées à privilégier les hommes de confiance loyaux aux religieux, notamment Borhamy, homme fort de l’Appel salafiste, au détriment des compétences dont a grand besoin le parti, à l’approche des législatives, attendues vers la fin de l’année. La faction réformiste de Abdel-Ghafour a ainsi accusé ainsi celle, rivale, d’Achraf Sabet, membre du haut comité, proche de Borhamy, d’avoir intentionnellement commis des infractions dans le processus électoral en vue d’en contrôler les résultats, permettant ainsi la victoire des candidats proches des cheikhs de l’Appel salafiste. Selon elle, sur les 200 000 membres du parti, seuls 7 % ont participé au vote, réduisant du même coup sa légitimité. Abdel-Ghafour a alors pris la décision de suspendre les élections, d’en annuler les résultats et de les reporter jusqu’après la tenue des élections parlementaires. Il a également dissous la commission des adhésions, présidée par Sabet. Ces décisions ont été rejetées par le haut comité d’Al-Nour, dominé par les partisans de l’Appel salafiste, qui a limogé le président du parti après avoir contesté son droit d’arrêter les élections internes, et ordonné l’organisation comme prévue, le 28 septembre, de la deuxième phase du scrutin. Celui-ci s’est tenu effectivement dans les 9 gouvernorats restants, Le Caire, Guiza, Qalioubiya, Daqahliya, Gharbiya, Charqiya, Matrouh, Port-Saïd et Nord-Sinaï.
La principale question que pose aujourd’hui le conflit au sein d’Al-Nour porte sur son impact sur la popularité et le poids politique du parti. Certes, quel que soit son issue, l’image de marque d’Al-Nour aura beaucoup à souffrir de ce conflit de pouvoir, qui montre à son électorat que les salafistes, malgré le puritanisme religieux qui les anime, sont, comme les autres hommes politiques, sujets à des querelles de pouvoir et mus par des volontés de domination. Il est encore tôt de pouvoir mesurer les dégâts que ce déchirement provoquera au sein de l’électorat d’Al-Nour. Cependant, les premiers à en bénéficier — sans écarter le Parti Liberté et justice, bras politique des Frères musulmans — seraient les candidats salafistes indépendants aux prochaines législatives et, surtout, le parti qu’envisage de créer mi-octobre l’ex-candidat salafiste à la présidentielle, Hazem Salah Abou-Ismaïl, qui avait bénéficié, lors de sa campagne électorale, d’un important soutien parmi les députés et les membres d’Al-Nour. L’échec de ce dernier à prendre une position ferme contre la disqualification du candidat salafiste a poussé plusieurs de ses membres à présenter leur démissionl
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