C’est dans une bataille à plusieurs volets que l’Egypte est désormais engagée. Que ce soit dans les médias, au Conseil de sécurité, ou sur la table des négociations, Le Caire est présent sur tous les fronts avec un seul objectif : assurer ses droits dans les eaux du Nil. «
L’Egypte a le droit de vivre … », clame un court métrage de deux minutes diffusé, cette semaine, par le ministère de l’Immigration. Intitulé «
Le Nil est notre vie », ce documentaire, réalisé en 7 langues, y compris en amharique, la langue officielle de l’Ethiopie, «
vise à faire parvenir la voix de l’Egypte au monde entier et insiste sur ses droits historiques dans les eaux du Nil », a déclaré Nabila Makram, ministre de l’Immigration. «
Les Egyptiens à l’étranger représentent la diplomatie populaire de l’Egypte », a ajouté Makram, invitant cette communauté à participer aux efforts du pays et à diffuser ce documentaire à grande échelle. «
25 % des agriculteurs égyptiens encourent le risque de sécheresse et de soif. Ils sont menacés d’une pénurie d’eau à cause du barrage éthiopien. Un barrage dont le réservoir peut contenir l’équivalent de cinq fois leurs besoins en eau », ajoute le documentaire.
L’Egypte a donc activé sa force douce pour tenter de régler la crise du barrage et d’éviter tout conflit sur la question.
Offensive diplomatique
Mais outre le volet médiatique, Le Caire est engagé dans une vaste offensive diplomatique. Le 29 juin, devant le Conseil de sécurité, Sameh Choukri a prononcé un discours fort, clarifiant la position de l’Egypte sur la crise du barrage. « L’Egypte a choisi de porter la question du barrage à l’attention du Conseil de sécurité afin d’empêcher une nouvelle escalade et de veiller à ce que les actions unilatérales ne compromettent pas les efforts visant à trouver un accord, et ne nuisent pas aux intérêts des pays en aval où 150 millions de citoyens égyptiens et soudanais sont désormais menacés », a affirmé Sameh Choukri, avant de détailler les étapes successives des négociations, le long d’une décennie, qui se sont soldées par un échec, en raison de l’intransigeance persistante de l’Ethiopie. Selon Ahmed Amal, chef du département des études africaines au Centre égyptien de réflexion et des études stratégiques (ECSS), cette démarche a mis la question du barrage sur l’agenda de la communauté internationale en tant que crise qui menace la paix et la sécurité internationales et non pas un simple litige sur des questions techniques comme le voulait l’Ethiopie. « La session du Conseil de sécurité a offert aussi à l’Egypte l’occasion de réfuter, sous les yeux du monde entier, toutes les allégations éthiopiennes ». Le ministre a rappelé le traité « signé librement » par l’empereur d’Abyssinie en 1902, qui interdit la construction d’aqueducs le long du Nil bleu qui affecterait le débit naturel du fleuve. Il a aussi rappelé le cadre général de coopération signé par l’ancien premier ministre éthiopien, Melès Zenawi, et le président égyptien en 1993, suivi par la Déclaration de principes de 2015. « Tous ces traités sont juridiquement contraignants et sont toujours en vigueur », a souligné Choukri.
La majorité des membres du Conseil de sécurité ont exprimé leur soutien au mécanisme de l’Union Africaine (UA) pour relancer les pourparlers. Le 26 juin, le Bureau de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UA a tenu une réunion par vidéoconférence en présence du président Abdel-Fattah Al-Sissi, pour trouver une solution aux problèmes en suspens. Les trois pays ont décidé de reprendre les négociations selon un nouveau mécanisme et de former un comité juridique et technique pour finaliser un accord dans un délai de deux semaines. « L’Egypte est toujours prête à négocier pour trouver un accord qui garantit les intérêts communs des trois pays », a assuré le ministre de l’Irrigation et des Ressources hydriques, Mohamad Abdel- Ati. La balle est aujourd’hui dans le camp de l’Organisation panafricaine.
Retour à la table des négociations
En accord avec ce qui a été convenu le 26 juin, l’Egypte, le Soudan et l’Ethiopie se sont retrouvés, le 3 juillet, sous les auspices de l’Afrique du Sud, et en présence de représentants du Conseil de l’UA et des observateurs d’Afrique du Sud, des Etats- Unis et de l’Union européenne, en plus de l’équipe d’experts juridiques et techniques de l’Union africaine. Après deux jours de négociations, il a été convenu d’organiser des réunions entre les observateurs et les représentants des trois pays séparément « pour bénéficier de l’expertise des observateurs et recevoir leurs propositions si nécessaires concernant les points de discorde ».
Selon le communiqué publié par le ministère de l’Irrigation, les négociateurs égyptiens, sous la conduite du ministre de l’Irrigation, ont passé en revue, au cours de cette rencontre en ligne avec les observateurs, la position de l’Egypte concernant le remplissage et le fonctionnement du barrage. « Le Caire soutient tout projet de développement dans les pays du bassin du Nil, y compris en Ethiopie, mais en même temps, défend son propre droit à la vie », note le communiqué. Les négociateurs égyptiens ont expliqué la dure réalité hydrique en Egypte. La part annuelle d’eau par individu ne dépasse pas les 560 m3, ce qui place l’Egypte bien en deçà du seuil international de la pauvreté hydrique, alors que l’Ethiopie dispose de 11 autres bassins fluviaux. Les experts ont également discuté la proposition présentée par l’Egypte qui assure « à l’Ethiopie une production hydroélectrique durable, tout en limitant les effets négatifs et en prévenant les dommages importants pour les Etats en aval », ajoute le communiqué. Quel avenir pour les négociations ? L’Ethiopie possède-t-elle cette fois-ci la volonté politique pour finaliser un accord contraignant sur le barrage ? Ou bien ce cycle connaîtra-t-il le même sort que les précédents ? Il faut attendre jusqu’à la fin du délai de deux semaines, le 11 juillet, pour connaître la réponse à ces questions cruciales.
« Il est trop tôt pour dire que les négociations ont abouti. Les réunions se poursuivront jusqu’au 11 juillet, et on ne peut pas en prévoir l’issue », souligne Mohamad Abdel-Ati. « Le fossé entre la vision égyptienne et les ambitions éthiopiennes est encore grand jusqu’à présent », explique Ayman Abdel-Wahab, spécialiste des affaires africaines au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. « Des divergences fondamentales de nature technique et juridique persistent. Elles sont relatives à la forme que prendra la coopération et la gestion conjointe du fleuve comme stipulée par le droit international, ainsi que les graves dommages qui pourraient être causés à l’Egypte et au Soudan », a déclaré le porte-parole du ministère de l’Irrigation, Mohamad Al-Sébaï. Mais la question la plus préoccupante soulevée cette fois-ci par l’Egypte et le Soudan au cours des négociations concerne « la sécurité et la solidité structurelle du barrage ». L’Ethiopie est pointée du doigt pour avoir refusé, lors des négociations précédentes, de présenter aux comités techniques les rapports sur les systèmes de sécurité du barrage.
Si le barrage de la Renaissance venait à connaître des défaillances ou des défauts structurels, « il placerait le peuple soudanais dans un grand danger et exposerait l’Egypte à des menaces impensables », a averti Choukri devant le Conseil de sécurité. Et de conclure qu’en l’absence de données scientifiques suffisantes, les communautés en aval de cette grande structure « semblent condamnées à vivre dans l’ombre d’une grande inconnue ».
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