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Le rôle central des tribus

Mercredi, 01 juillet 2020

Depuis le début du conflit libyen, les tribus ont toujours constitué une composante essentielle dans l’équation politico-militaire. L’armée compte sur elles pour faire pencher la balance.

Le rôle central des tribus
Plusieurs tribus ont décidé de rejoindre les rangs de l'Armée nationale libyenne pour contrer l'invasion turque.

Ahmed Ibrahim Amer*

Sur la scène libyenne, le rôle tribal régional domine inéluctablement. Pendant les quatre décennies de son pouvoir, l’exprésident Mouammar Kadhafi avait ancré la culture tribale et avait accordé une grande importance aux différends régionaux qui opposaient les différentes villes. Le rôle de l’institution militaire a alors connu un recul, pour se substituer aux brigades de sécurité. C’est pour ces raisons qu’après les événements de 2011, la Libye s’est transformée en un champ de bataille entre les milices armées, dont le nombre avait atteint 1 700, en 2012, selon un rapport des services secrets britanniques, dont une partie était islamiste terroriste.

Ceci a perduré les trois premières années qui ont suivi la chute du régime de Kadhafi, alors que les organisations terroristes, comme Al-Qaëda, Ansar Al-Charia et Daech étaient omniprésentes sur la scène. Elles avaient réussi à dominer totalement un nombre de villes libyennes, à tel point que Benghazi, Derna, Sabratha et Syrte avaient été proclamées émirats islamiques.

C’est alors qu’un nombre d’officiers militaires sous la direction du maréchal Khalifa Haftar ont décidé, en 2014, de lancer l’opération Al-Karama qui a commencé avec 317 officiers et soldats face à 15 000 membres des organisations terroristes qui dominaient Benghazi. Cette opération a alors été décrite comme opération suicide à cause de l’écart entre les deux parties, mais dès le premier instant, les tribus libyennes dans la région-est ont positivement réagi et, en quelques jours, des milliers de jeunes ont rejoint l’armée. Celle-ci a alors réussi à dominer une partie de Benghazi, deuxième ville du pays et plus grande ville de l’est.

Sur le volet politique, le parlement élu, qui était l’unique entité légitime reconnue au niveau international à cette date, a annoncé un vote direct pour nommer un commandant général de l’armée et un chef d’état-major, et le maréchal Khalifa Haftar a alors été élu.

Il y eut alors un tournant dans le rôle des tribus libyennes et dans la tournure des événements : pendant les six dernières années, l’armée a réussi à vaincre les organisations terroristes, à libérer Benghazi et la région est avant de se diriger vers l’ouest dans l’objectif de libérer les ports pétroliers dans la région de Ras Al-Hilal, en plus de la domination des champs pétroliers dans la région du centre. Puis en un temps record, l’armée s’est dirigée vers le sud désertique du pays.

Rejoindre et soutenir l’armée

Chacune de ces batailles était perçue comme difficile. Or les analystes n’avaient pas compris que l’arme la plus importante de l’armée était le soutien des tribus. Il n’est donc pas étrange que l’armée libyenne ait réussi à libérer les ports pétroliers sur une superficie de 400 km de la côte libyenne sans combat, mais grâce à la décision des dirigeants des tribus de cette région de rejoindre l’armée et de les lui remettre. Le maréchal Haftar n’a donc pas eu besoin de s’engager dans des combats avec les tribus habitant cette région, au contraire, ce sont ces

tribus qui l’ont soutenu face aux terroristes.

Ainsi, les tribus libyennes à l’est et au sud ont prouvé leur loyauté complète à l’Armée Nationale Libyenne (ANL).

Quant à la région ouest qui représente la majorité démographique, elle est dominée par plusieurs grandes tribus, dont Ourfalla qui reste fidèle à la doctrine de l’ancien régime de Kadhafi et adopte jusqu’à maintenant une position neutre envers les parties en litige. Celles de Tarhouna, elles, soutiennent l’armée et leurs fils forment la 9e brigade en entier, qui participe aux opérations militaires, alors que celles de Zentan sont divisées entre ceux qui soutiennent l’ANL et ceux qui appuient le GNA.

Pour ce qui est de Misrata, la 3e plus grande ville en nombre d’habitants (400 000), elle comprend d’importantes milices armées affiliée au GNA et alliées à d’autres milices islamistes ou d’autres villes comme Zawiya à l’ouest de Tripoli et Zouara sur les frontières tunisiennes opposées à l’ANL.

Quant à Tripoli, la capitale, et dont le nombre d’habitants est environ 1 million, c’est une ville à l’aspect civilisationnel différent de l’aspect tribal. Mais sa population est menacée par les milices qui n’appartiennent pas à des tribus, mais qui sont payées pour accomplir cette mission.

En janvier et février derniers, l’armée libyenne était sur le point de libérer la capitale de la domination des milices. Ses forces étaient présentes dans un nombre de quartiers résidentiels et siégeaient à l’aéroport de Tripoli

et ses alentours à 6 km du centre de la ville.

Alors que les milices étaient sur le point de s’effondrer totalement, il y a eu l’intervention turque directe à travers un accord illégitime conclu par Erdogan et Fayez Al-Sarraj, le chef du GNA, sans être voté par le parlement.

Conformément à cet accord, Erdogan a pu envoyer des milliers de mercenaires syriens évalués à 15 000 par l’Observatoire Syrien des Droits de l’Homme (OSDH, voir encadré). En plus de centaines de navires chargés de milliers de tonnes de munitions et d’équipements militaires modernes, des centres d’opérations militaires sous une direction turque et le recours à des centaines d’avions militaires turcs, provoquant un changement radical sur la scène libyenne.

Ceci a mené à la domination turque des régions et villes de la côte ouest de la Libye dont la base aérienne Oqba Ibn Nafie, auprès des frontières tunisiennes et algériennes.

Pour calmer le combat militaire, des pressions internationales ont été exercées sur le maréchal Haftar afin qu’il retire ses forces jusqu’aux frontières de la ville de Syrte, au milieu de la côte libyenne, et jusqu’à la base Al-Jufra au milieu du désert libyen. La communauté internationale a également appelé à la reprise des négociation spolitico-militaires à condition que le démantèlement des milices et le départ des mercenaires syriens et des officiers turcs soit une partie intégrale des négociations. Erdogan a refusé ses réclamations et a annoncé son intention de dominer la ville de Syrte puis les ports pétroliers avant les négociations.

Cependant, la scène militaire n’est pas au profit des milices de façon à permettre à Erdogan de réaliser ses objectifs, car l’armée libyenne s’est retirée de Tripoli et de la ville de Tarhouna, mais n’a pas été vaincue. Puis Le Caire a annoncé que Syrte-Al-Jufra est une ligne rouge qui ne doit pas être approchée militairement. Est ensuite venue l’initiative du Caire sous après idence du président Abdel-Fattah Al-Sissi et la participation du maréchal Haftar et le conseiller Aguila Saleh, président du parlement libyen, en présence de 22 ambassadeurs. Cette initiative a obtenu un large soutien international en plus du soutien des chefs des tribus libyennes à l’est, à l’ouest et au sud. Les tribus libyennes prouvent ainsi leur insistance à affronter l’ingérence turque et leur disposition à accepter l’armement égyptien des tribus comme l’aproposé le président égyptien afin de faire face à l’intervention turque.

*Spécialiste des affaires libyennes à Al-Ahram

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