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Mona Soliman : L’influence iranienne dans la région va sans doute être réduite

Propos recueillis par Maha Salem, Lundi, 20 avril 2020

Crise politico-économique au Liban, tensions persistantes en Iraq, conflits régionaux et rôle de l’Iran, comment ces questions régionales vont-elles évoluer à l’heure du coronavirus? L’experte Mona Soliman, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire, apporte des éléments de réponse. Entretien.

Al-Ahram Hebdo : La crise du coronavirus intervient alors que plusieurs pays de la région sont déjà en difficulté. Quels sont ceux qui paieront le plus lourd tribut politiquement parlant et qui sont les « gagnants » ?

Dr Mona Soliman: Il y a des pays qui essaient de tirer profit de cette crise mondiale et ceux qui vont subir d’importantes conséquences. Alors que le monde entier est préoccupé par la pandémie, les crises régionales n’occupent pas la priorité. Du coup, certaines s’aggravent. C’est le cas de la situation en Libye où les combats ont repris de plus belle. Les camps rivaux ont profité de l’absence du rôle occidental; en même temps, leurs soutiens étrangers sont occupés par les questions internes et ont diminué leurs aides financières et leur soutien politique et militaire. Cela dit, la Turquie, bien qu’elle soit le pays le plus durement frappé par la pandémie au Moyen-Orient, tente d’en tirer profit dans sa politique régionale, que ce soit en Libye ou en Syrie. Par exemple, elle a renforcé sa présence armée à Idleb en Syrie pour faire face à l’avancée de l’armée syrienne. Au niveau politique, Ankara essaie d’exploiter cette crise en améliorant ses relations avec les pays asiatiques et ceux de l’Europe de l’Est en envoyant des aides médicales.

— L’Iraq faisait déjà face à une crise politique majeure et deux premiers ministres désignés ont jeté l’éponge. Comment le nouveau premier ministre Moustafa Al-Kazimi va-t-il gérer cette situation critique: crise politique, crise du coronavirus, crise socio-économique et relations délicates avec deux alliés qui se détestent, les Etats-Unis et l’Iran ?

— Al-Kazimi est un important allié de Washington. Il a de bonnes relations avec plusieurs pays arabes et européens, mais aussi avec les sunnites iraqiens. Il est même considéré comme l’homme fort des Américains. Ces derniers vont donc l’aider. En revanche, sa désignation ne satisfait pas Téhéran. Mais il doit profiter du soutien américain et du fait qu’il soit un choix consensuel à l’intérieur du pays pour trouver une sortie de crise. Cela peut l’aider. La priorité, pour lui, est de sauver l’économie pour désamorcer la crise socioéconomique. L’Iraq a aussi tout intérêt à se distancier de l’Iran.

Le Liban vit aussi des jours très difficiles, notamment sur le plan économique, comment le nouveau gouvernement peut-il mettre un plan de sortie de crise dans de telles conditions ?

La crise n’est pas finie au Liban. L’instabilité plane toujours et il est tout à fait possible que les manifestations reprennent une fois les craintes liées au coronavirus oubliées. Les Libanais estiment que le nouveau gouvernement n’a rien fait pour sauver l’économie. La monnaie locale a enregistré la plus grande baisse face au dollar la semaine dernière. Les Libanais reprochent aussi au gouvernement sa gestion de la crise du coronavirus, ils lui reprochent qu’il a tardé à suspendre les vols avec les pays touchés par la pandémie, notamment l’Iran. Et certains parlent déjà d’un éventuel retour de l’ancien premier ministre Saad Al-Hariri pour venir à la rescousse, car son principal point fort est ses bonnes relations avec l’étranger. On verra s’il va réussir à s’allier avec l’opposition et trouver des compromis pour former un front uni.

— Plus généralement, la pandémie peut-elle changer les équilibres au Moyen-Orient ?

— Cette crise sanitaire a malheureusement mis en lumière la faiblesse de certains pays de la région. Outre la faiblesse du système sanitaire, certains pays ont une infrastructure catastrophique à cause des guerres ou du vide politique. Citons à titre d’exemple le Yémen, le Soudan ou encore la Libye. Mais le plus important est que l’influence iranienne va sans doute être réduite dans la région, car la crise du coronavirus, dont la gestion demande des fonds importants, vient s’ajouter aux importantes difficultés économiques qu’affronte l’Iran. Téhéran risque de se trouver obligée de réduire son soutien iranien à ses alliés impliqués dans plusieurs conflit dans la région, ce qui peut changer la carte des conflits, aider à trouver des solutions à ces différends et limiter le rôle iranien dans la région.

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