La Symphonie de la vie et de la mort, le meilleur spectacle des Journées théâtrales de Sharjah.
Un crescendo : les fortes mélodies jouées par l’orchestre symphonique se mélangent aux coups de feu et aux bruits de balles et de missiles qui s’élèvent pendant les accrochages entre les forces de l’armée et les milices extrémistes. C’est le climax de la mise en scène de Mohamad Al-Emari, Symphoniyat Al-Mawt wal Hayat (la symphonie de la vie et de la mort). L’affrontement sonore et visuel intéressant divise les planches en deux. Le « général » extrémiste est en extase, à tel point de prendre son arme en bandoulière et de jouer dessus comme si c’était un instrument musical. Le maestro, sur scène, s’en aperçoit et essaye de remplacer l’arme du terroriste par une baguette de chef d’orchestre, signe de la victoire de l’art et des valeurs humaines sur la haine et le fanatisme.
Malheureusement, le spectacle ne s’arrête pas à ce point d’apogée, mais se poursuit pour aller dans l’anticlimax, la descente. On passe ensuite à l’histoire du « général », aux racines de son fanatisme et au tournant rapide qu’il a subi et qui reste non justifié du point de vue dramatique. L’auteur semble passer du coq à l’âne, sans respecter un ordre logique, en évoquant le cheminement du « général » jusqu’à arriver au moment où il prend son arme et fait semblant de jouer le Lac des Cygnes, avant de mourir.
Ce bref aperçu du spectacle qui a décroché la plupart des prix de la 30e édition des Journées théâtrales de Sharjah, tenue du 29 février au 6 mars, permet d’aborder les principaux traits de cet événement et de parcourir le mouvement théâtral émirati. Celui-ci a connu un grand essor, voire atteint un degré de maturité avec le temps. Pendant six jours, au lieu de 12 dans les éditions précédentes, sept pièces ont été données à travers la compétition officielle et trois pièces ont été présentées hors compétition. Et ce, sans omettre trois pièces d’invités, dont une seule n’est pas une production locale, à savoir la pièce algérienne GPS, de Mohamad Cherchal, qui a reçu dernièrement le prix de l’Organisme arabe du théâtre. Cet organisme a été créé par les divers gouvernements des Emirats arabes unis afin de promouvoir le théâtre arabe et a élu domicile dans l’émirat de Sharjah.
La forme d’abord
Le spectacle Symphoniyat Al-Mawt wal Hayat illustre une tendance qui consiste à accorder un intérêt particulier à la forme et aux aspects visuels (décor, scénographie, jeu de lumières, etc.). Et ce, aux dépens du contenu, car souvent, le fond ne soulève pas de questions profondes ni novatrices. Les règles d’une bonne écriture, qui se limite à l’essentiel en se débarrassant des détails superflus, sont alors loin d’être respectés, voire sont sacrifiées pour le plaisir de présenter une puissante image théâtrale sur le plan visuel. Le spectacle qui a récolté presque tous les prix (meilleur spectacle, meilleure mise en scène, meilleure interprétation, meilleure adaptation dramatique, meilleur décor et meilleure bande sonore), en est un exemple patent. Au lieu de terminer le spectacle à son apogée, on s’est entêté à le poursuivre pour ajouter un monologue où le général raconte son parcours et ses transformations, par souci visuel. Puis, vient la finale, où l’orchestre se retire en jouant un air de Tchaïkovski sur les décombres du camp du général assassiné. L’esthétique de l’image a pris le dessus sur la construction dramatique et la valeur des idées.
La Symphonie de la vie et de la mort est une adaptation d’Ismaïl Abdallah, d’après le roman anglais d’Alan Sillitoe The General. Le dramaturge émirati a remplacé le général fasciste du roman par un général terroriste de Daech. De même, le contexte de la guerre civile du roman a été remplacé par la guerre actuelle opposant les armées de Syrie ou d’Iraq aux milices islamistes. Mais il a omis de rapprocher tous les autres détails du spectateur arabe. Il a opté par exemple pour le fait d’envoyer un orchestre symphonique pour jouer de la musique classique sur le front, alors qu’un ensemble du patrimoine aurait été plus adéquat au contexte arabe. De même, il a choisi que les membres de l’orchestre prennent le train pour se rendre sur le front, alors que les camions ou les bus sont plus utilisés dans le monde arabe.
Cela n’empêche pas de véritable effort au niveau de la scénographie et du décor. L’usage de planches blanches mobiles sur les côtés était d’une grande efficacité, puisqu’elles ont servi tantôt à distinguer les différents camps, tantôt à incarner les espaces où étaient embrigadés les jeunes terroristes .
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