De plus en plus de libyens se mobilisent contre le spectre d'une intervention turque.
« L’heure du combat est sonnée pour défendre la souveraineté de la Libye et contrer l’occupation ottomane, notre ennemi historique, qui a tué de nombreuses tribus arabes et a causé le recul du pays ». C’est ce qu’a déclaré le Conseil des cheikhs et dignitaires des tribus dans un communiqué commun publié le 2 janvier. Formé d’une centaine de tribus, ce conseil a appelé les tribus libyennes à former un front uni pour contrer « l’invasion » turque et rejoindre l’ANL dans son combat vers Tripoli, pour la libérer des milices et des groupes terroristes soutenus par la Turquie.
Un soutien de taille. Car la tribu est considérée comme une composante essentielle de la société libyenne. Elle est un facteur important du système politique libyen et davantage basé sur des alliances tribales plus que sur des alliances politiques. Selon les observateurs, dans ce pays déchiré depuis 9 ans, l’annonce par Erdogan d’un déploiement progressif de soldats turcs en Libye a créé une forte mobilisation tribale, poussant plusieurs tribus qui étaient, jusque-là la neutres face au combat entre l’est et l’ouest, à rejoindre la bataille aux côtés du maréchal Haftar. Pour eux, la meilleure réponse qui pouvait être donnée à la déclaration de guerre d’Erdogan à Haftar a été la prise de la ville de Syrte, le 7 janvier, par l’ANL, sans combat et grâce au ralliement de la brigade 604 mêlant des kadhafistes et des salafistes.
Trois tribus principales
Les trois plus importantes tribus en Libye sont Warfallah, à l’est, qui compte plus d’un million de personnes ; Kadhafa, au centre, tribu d’appartenance de la famille de Muammar Kadhafi ; et Megarha, à l’ouest, qui est une tribu lourdement armée. Ces dernières avaient fait profil bas parce qu’elles avaient été socialement et politiquement délégitimées par la Révolution de 2011. Mais les événements de ces dernières semaines ont contribué à les réactiver. Les tribus de l’est de Bani Walid et Zenten qui étaient « neutres » ont déclaré également leur soutien à l’ANL. « Le combat d’aujourd’hui n’est plus pour l’argent et le pouvoir, c’est une guerre pour la véritable présence arabo-libyenne en Libye. Aujourd’hui, il n’y a pas de place pour la logique de neutralité, que ce soit notre peuple et nos tribus libyennes à l’est, au sud et à l’ouest des Arabes, Amazighs, Touaregs et Tabu. Les Libyens doivent payer le prix de leur appartenance à la patrie », peut-on lire dans un autre communiqué publié, à Benghazi, à l’issue d’un congrès qui a groupé plus de 1 000 cheikhs tribaux qui sont venus de presque tout le pays. Cette galvanisation tribale devrait affaiblir plusieurs conseils militaires sur lesquels s’appuie Fayez Al-Sarraj. En fait, les tribus de l’est du pays et des environs de Tripoli, comme notamment Ouerchefana et Ouerfella, fournissent le gros nombre des troupes de l’armée de Khalifa Haftar, alors qu'Al-Sarraj ne gagne sa légitimité tribale que des Kouloughlis (ottomans) qui soutiennent l’arrivée des Turcs aussi bien qu’une minorité de tribus libyennes de Misrata, qui fournissent 80 % des combattants au GNA à Tripoli.
En effet, plusieurs familles misraties sont de descendance turque et c’est pour cela que le président turc parle d’un million de Turcs en Libye. Pour ses racines tribales, Haftar, descendant de la tribu Al-Abaïda, dans les environs de Derna, ville côtière située à 1 000 km à l’est de Tripoli, bénéficie du soutien de plusieurs de ces unités militaires et sécuritaires. Selon le professeur libyen de droit international Mohamad Zubayda, la majorité des tribus en Libye soutiennent actuellement les forces du maréchal Khalifa Haftar. Une tendance qui va se poursuivre, le nombre de tribus des quatre coins du pays rejetant les politiques adoptées par Al-Sarraj, et son allié Erdogan, augmente un jour après l’autre. « Le déploiement des troupes turques en Libye était une annonce provocatrice qui a engendré un sentiment de patriotisme parmi le peuple libyen en général et les tribus en particulier, qui gardent de mauvaises mémoires de l’ancien occupant ottoman », affirme Hussein Moftah, politologue.
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