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A chaque pays ses Frères musulmans

May Al-Maghrabi, Mardi, 16 juillet 2013

Malgré leur appartenance à une seule organisation internationale, les Frères musulmans présentent des exemples qui varient d’un pays à l’autre.

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Les Frères musulmans de la Jordanie tentent de faire tomber la monarchie laïque. (Photo: nAl-Ahram)

A la suite de la chute, un an après son accession au pouvoir, du président égyptien Mohamad Morsi, membre de la confrérie des Frères musulmans, tous les regards se sont tournés vers l’Organisation Internationale des Frères Musulmans (OIFM). Tous s’interrogent sur les conséquences pouvant désormais affecter cette instance. Mais leur présence diffère d’un pays à l’autre.

Fondée en 1928 par Hassan Al-Banna, la confrérie a pu au fil des décennies se ramifier et s’implanter, depuis l’Egypte, dans tout le Moyen-Orient, le Proche-Orient, le Maghreb et une partie de l’Afrique noire. Elle s’est organisée de manière pyramidale, assurant, à partir des instances installées à Londres, la direction. Chaque antenne fonctionne de manière homogène mais assez librement pour permettre aux confréries de chaque pays d’agir en toute autonomie. Ils sont aujourd’hui au pouvoir en Egypte, à Gaza, en Turquie et en Tunisie, alors que les Frères de Syrie et de Jordanie ne baissent pas les bras pour faire de même.

Mamdouh Al-Cheikh, chercheur spécialiste des mouvements islamistes, explique que les circonstances politiques de chaque pays ont influencé le rôle, la présence et l’ampleur de la confrérie dans chacun d’eux. La Palestine, notamment, est un exemple assez spécifique. Les Frères musulmans, existant depuis 1936, ont basé leur présence sur fond de lutte contre l’occupation israélienne. Aujourd’hui, c’est le mouvement Hamas (créé en 1987) qui les représente. Ils sont bien placés et contrôlent la bande de Gaza. Sous la direction de Khaled Mechaal, le Hamas prône la lutte armée, contrairement au Fatah, pour obtenir un Etat palestinien. « Ayant la mainmise sur la bande de Gaza et étant un mouvement reconnu au niveau international, le Hamas a des liens très solides avec les Frères d’Egypte. Il s’est aussi engagé dans la crise syrienne en armant et en finançant l’Armée libre de Syrie », affirme Al-Cheikh.

En Syrie, un statut criminel

C’est en 1930 que les Frères musulmans ont créé leur mouvement en Syrie. Mais vu la répression exercée sur eux en 1982 sous le président syrien Hafez Al-Assad, le mouvement a été paralysé pendant de longues années. Il n’a pas pu gagner beaucoup de terrain. En éliminant le bras armé des Frères musulmans, les militants se sont dispersés en Arabie saoudite, en Jordanie, au Koweït ainsi qu’en Afghanistan. « Leur statut pointé du doigt sous un régime considérant l’appartenance à cette organisation comme un crime exigeant la peine de mort, est un autre facteur qui a fragilisé son existence politique et sociale », ajoute Al-Cheikh. En 2006, les Frères musulmans syriens créent à Bruxelles avec Abdel-Halim Khadam, vice-président syrien ayant fait défection, un Front de salut national auquel adhèrent aussi des opposants arabes et kurdes venus de divers partis. En 2009, au moment de la guerre de Gaza, la confrérie conclut une trêve avec le pouvoir syrien. Et en 2010, Ali Sadr Ad-Dine Al-Bayanouni, le leader syrien des Frères musulmans depuis 1996, cède sa place à Mohammed Riyad Al-Chaqfeh qui rompt la trêve avec le régime. Ce n’est qu’en 2011 que les Frères syriens profitent du Printemps arabe pour resurgir sur la scène et mener leur lutte armée entamée contre le régime de Bachar Al-Assad. La confrérie en Syrie maintient un réseau d’appuis mené depuis Londres et Chypre, sa direction se situant à Istanbul. Son financement provient essentiellement du Qatar et des pétro-monarchies du Golfe. Dans le contexte de la guerre civile syrienne, elle est par ailleurs majoritaire au sein du Conseil national syrien.

D’abord présents au sein du Conseil National Syrien (CNS), ils se sont engagés, grâce au soutien du Qatar et de l’Arabie saoudite, dans la Coalition nationale des forces d’opposition syrienne, désormais reconnue par la communauté internationale et dont Ghassan Hitto, le premier ministre qui vient de démissionner, est un Frère musulman invité à siéger en lieu et place de la Syrie lors des sommets de la Ligue arabe.

Gagner du terrain

Il semble que la chute des dictatures a été bien saisie par les Frères musulmans qui, dans un contexte quasi similaire en Iraq, ont pu gagner du terrain. Fondé dans les années 1950, le Parti islamiste iraqien opposé au parti Al-Baas a été officialisé après la chute de Saddam Hussein, en 2005. Les Frères musulmans ont profité de cette chute pour être présents sur la scène politique. Ils se sont engagés dans la crise syrienne pour gagner une place définitive dans le monde politique.

Néanmoins, en Jordanie, le cas est différent parce que le mouvement des Frères musulmans est toléré par le régime hachémite en tant que force d’opposition. Une légalité qui leur a permis de s’incruster profondément en politique et d’avoir un poids sur la scène politique. Aujourd’hui, ils disposent d’un parti nommé « le Front islamique d’action » qui a pu en 2003 obtenir 20 sièges sur les 84 du Parlement jordanien dissous en 2009. Ayant le vent en poupe suite à la percée des islamistes à l’issue du Printemps arabe, ils n’hésitent pas à tirer à boulets rouges sur le roi Abdallah, critiquant son mode de vie et ses choix politiques. Lors des dernières élections, la confrérie a boycotté le scrutin pour protester contre un découpage électoral qui lui était défavorable. Elle tente coûte que coûte de faire tomber la monarchie laïque telle qu’elle existe encore.

La Turquie, un exemple à part

Abdel-Réhim Ali, expert des mouvements islamistes, décrypte les raisons du fiasco des expériences des Frères musulmans, en Egypte comme en Tunisie, de suivre le modèle de l’islamisme turc. « L’AKP n’a gagné ni l’adhésion de la majorité des Turcs, ni le respect international en fanatisant ses membres, en opposant les croyants aux non-croyants, en promettant de bouleverser la vie des Turcs, mais en se tournant vers les défis du monde moderne et en s’appropriant les attributs de la modernité », explique Ali. Et ceci à l’encontre de l’exercice politique des autres Frères musulmans dans le monde arabe qui n’ont pas pu aller au bout de leur expérience au pouvoir. Selon lui, l’absence d’un projet politique, économique et social susceptible de courtiser des peuples lassés des dictatures déchues est au centre de cet échec qui a commencé en Egypte. Il ne tardera pas à se répandre comme une traînée de poudre dans d’autres pays, comme la Tunisie. « L’AKP s’est infiltré graduellement dans la société turque sans menacer de bouleverser son identité, contrairement aux autres islamistes dans le monde arabe qui ont opté pour un discours rigoriste ayant divisé la société et suscité les craintes des peuples tendant vers la modération », explique Ali.

De facto, la Turquie, avec son parti islamiste au pouvoir, a pu promouvoir un projet islamiste modéré qui ne se heurte pas aux principes de la démocratie et de la citoyenneté. Créé en 2001, le Parti de la justice et du développement (AKP) est arrivé au pouvoir en 2003, symbolisant l’alliance réussie entre islam politique et démocratie. L’AKP réfute catégoriquement toutes les accusations le considérant comme conservateur, et déclare respecter la laïcité inscrite dans la Constitution.

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