Le romancier égyptien Tarek Emam a mis trois ans et demi pour finaliser son dernier roman, Taam Al-Nawm (le goût du sommeil), publié aux éditions Al-Dar Al-Masriya Al-Lobnaniya. Il réalise ainsi un ancien rêve qui date d’il y a dix ans, en s’inspirant du roman Mémoire de mes putains tristes, du Colombien Gabriel Garcia Marquez, paru en 2004, et de celui du Japonais Yasunari Kawabata, Les Belles Endormies, qui date de 1961.
Dans le roman de Marquez, l’année de ses 90 ans, un vieil homme décide de s’offrir une nuit de débauche avec une jeune fille. Contre toute attente, il tombe amoureux pour la première fois de sa vie. Et dans le roman de Kawabata, les vieux viennent passer une nuit aux côtés d’adolescentes, endormies sous l’effet de puissants narcotiques. C’est ce qui permet de se plonger dans les mémoires de la jeunesse et dans les méditations.
Après avoir lu ces deux romans, Tarek Emam s’est toujours posé la question : et si la jeune fille endormie avait décidé de parler, qu’est-ce qu’elle aurait pu nous dire ? En fait, c’est le point de départ de son roman, dans lequel les narratrices sont la jeune pute, au prénom de Schéhérazade qui fait semblant de dormir, sa mère et la patronne de la maison close où elle travaille.
L’histoire d’Alexandrie où se déroule le roman se confond avec celles de ces trois générations de femmes, vivant en marge de la ville. Ce sont des parias de la société.
La patronne de la maison close travaille discrètement, car la prostitution est interdite par la loi, depuis 1961. La jeune fille essaye de venger sa soeur morte mystérieusement dans cette maison. Et la mère, infirmière, a été victime de viol. En évoquant leurs drames, elles abordent les transformations qu’a subies Alexandrie, depuis la défaite de juin 1967 jusqu’en 2014.
La ville et l’individu
Né en 1977, Emam, qui a déjà écrit dix ouvrages, entre romans et recueils de nouvelles, a toujours accordé un intérêt particulier au rapport qu’entretiennent les individus avec la ville. Il a choisi de situer son roman à Alexandrie pour deux raisons, comme il l’a expliqué dans la presse : « Les romans de Kawabati et de Marquez se déroulaient dans des villes côtières. J’ai voulu que la ville de mon roman soit pareille. Ensuite, Alexandrie m’a toujours préoccupé, je me suis souvent interrogé sur son identité, son passé et son présent ».
Le témoignage que livrent les trois femmes traite, entre autres, de la ville d’Alexandrie, pendant la Révolution du 25 janvier 2011 et du 30 juin 2013, comparant les événements de ces deux soulèvements au contexte politique de 1967 et l’époque où la ville cosmopolite a commencé à se transformer en un foyer du salafisme religieux.
Pour montrer le contraste entre le passé et le présent de la ville, l’auteur décrit le trajet parcouru par la jeune fille en vélo. Cette dernière n’ose pas prendre la route de la corniche, mais pour fuir les tracasseries, elle emprunte de petites ruelles. L’écrivain ne manque pas de faire allusion à la liberté des jeunes filles en ville, autrefois, faisant place à la nostalgie.
Emam est un vrai chasseur de prix. Il est lauréat du prix du musée des mots en 2014 (Museo De La Palabra), du prix Sawirès pour le roman en 2008, et pour le conte en 2012, du prix de l’Encouragement décerné par l’Etat en 2010 et du prix Soad Al-Sabbah pour la nouvelle en 2004.
Taam Al-Nawm (le goût du sommeil), Tarek Emam, Edition Al-Masriya Al-Lobnaniya, 2019, 343 pages.
Lien court: