Al-Ahram Hebdo : Malgré tous les efforts déployés par la communauté internationale pour la résolution des conflits en Afrique, la situation politique et sécuritaire demeure préoccupante. Comment expliquez-vous ce dilemme ?
Salah Heleima : Le continent africain abrite aujourd’hui la moitié des économies à la croissance la plus rapide du monde. Il est riche en ressources et surfe sur une vague d’urbanisation, d’industrialisation et de diversification économique. Son importance dans l’économie mondiale ne devrait qu’augmenter, à la fois comme marché, mais aussi comme moteur de la croissance mondiale. De plus, le continent est la région la plus jeune du monde. Le potentiel de l’Afrique est cependant inexploité. Ces grandes ressources sont menacées par une multitude de crises et de risques pour la paix, la sécurité et le développement. L’Afrique est devenue le théâtre de crises politiques. Le nombre de migrants, de réfugiés et de personnes déplacées à l’intérieur de leurs pays atteint des niveaux record. La menace du terrorisme pèse sur le continent. La convergence des organisations terroristes et criminelles en une nouvelle menace hybride qui ne reconnaît aucune frontière est aussi alarmante. Nous sommes face à une nouvelle forme de terrorisme transnational. Des menaces uniques dont l’ampleur et la fréquence révèlent de graves faiblesses, vulnérabilité et lacunes des structures et mécanismes de sécurité au continent.
Le continent tourne dans un cercle vicieux, car une mauvaise gouvernance entraînée par de mauvaises élections fragilise les institutions notamment la justice et entrave l’égalité des chances en Afrique qui, avec ses potentialités, aurait pu compter parmi les plus prospères de la planète. Ceci explique pourquoi tous les forums et conférences tenus dernièrement sur la paix en Afrique mettent l’accent sur la gouvernance, la clé pour libérer le potentiel du continent. Et dans ce contexte, le Forum d’Assouan pour la paix, la sécurité et le développement en Afrique est une plateforme pour aborder les questions indissociables des menaces, les défis ainsi que les opportunités à venir.
— La situation sécuritaire dans la région du Sahel se détériore et semble atteindre une impasse. Quelles en sont les causes ?
— Nous avons tendance à parler du Sahel comme d’un bloc, alors que la situation dans cette région est très complexe. Cet espace géographique est très fragile et soumis à de nombreuses menaces, avec en premier celle du terrorisme. Elle est principalement générée dans deux zones fragiles et instables, la première située au nord du Nigeria et s’étendant dans la région du lac Tchad avec la menace de Boko Haram. La menace y est d’autant plus présente en raison du trafic d’armes via les frontières poreuses de la Libye.
La deuxième au nord du Mali avec des groupes se revendiquant d’Al-Qaëda et de Daech. La région a connu une augmentation du nombre de milices et de groupes armés d’autodéfense. Les armes légères et de petit calibre se sont multipliées. Les activités criminelles, tel le trafic illicite qui entraîne des actes de violence, ont augmenté. L’Etat est absent et la confiance dans les mécanismes traditionnels de gestion de conflits s'est érodée. Les groupes extrémistes exploitent le désir de vengeance entre les communautés rivales.
Les pays du Sahel sont parmi les plus pauvres du monde, leurs ressources sont très limitées. Le défi de lutte contre la pauvreté avec le non-accès aux services de base sont des conditions dans lesquelles aucun Etat ne peut se construire. La dégradation de l’environnement sécuritaire a fait que la Sahel est devenu un terrain fertile aux djihadistes. L’inertie de l’Etat a accéléré la progression de ces groupes qui ont réussi à avancer, exploitant les conflits communautaires, faire plus de victimes et recruter massivement.
— Quel rôle doit jouer la communauté internationale pour lutter contre le terrorisme en Afrique ?
— La communauté internationale a réalisé que le terrorisme en Afrique est une menace pour le reste du monde. Le continent accueille des missions de maintien de la paix et des interventions militaires internationales dans les foyers de tension. Mais ces interventions n’ont pas réussi à améliorer les conditions sécuritaires, ce qui met en question l’efficacité de ces actions antiterroristes. L’Onu a désormais tendance à promouvoir l’idée que les problèmes africains requièrent des solutions africaines. Le Conseil de sécurité a rappelé en octobre dernier que les Etats voisins ont une meilleure compréhension du conflit que les acteurs extérieurs et sont plus à même d’apporter une réponse d’autant plus qu’ils ont un intérêt immédiat à la stabilité régionale. Aujourd’hui, la communauté internationale semble opter pour le renforcement des capacités des forces armées des Etats africains par le financement, la formation et l’équipement. Une assistance internationale s’inscrivant dans une dynamique de guerre à distance qui s’avère moins coûteuse et moins risquée que d’envoyer des soldats dans ces zones de conflits.
Ainsi, l’Union africaine plaide pour la mise en oeuvre de l’aspiration 4 de l’agenda 2063 qui rêve d'une Afrique vivant dans la paix et la sécurité en recourant à des mécanismes favorisant une approche centrée sur le dialogue pour la prévention des conflits, l’instauration d’une culture de paix. L’initiative « Faire taire les armes » vise à faire de l’Afrique un continent plus pacifique et stable.
— La sécurité est une condition au développement du continent …
— Le continent a été pendant des décennies à l’écart de la croissance mondiale. Et même si un rapport du PNUD publié en 2017 révèle que 18 pays sur les 54 que compte le continent ont atteint un niveau de développement moyen ou élevé, pourtant, les besoins en infrastructure et en services de base persistent dans le reste du continent. Et le fait d’être bailleur de fonds n’a pas permis à l’Afrique une amélioration concrète. Ces circonstances poussent des milliers de jeunes Africains à fuir la pauvreté et la guerre vers l’Europe au risque de leur vie. On n’abandonne pas son fusil sans la perspective de pouvoir au moins se nourrir. La faiblesse des Etats et le contexte du conflit, d’instabilité et de guerres civils sont des acteurs du retard du développement en Afrique. Aujourd’hui, le développement durable est un but en soi, mais il est aussi le moyen le plus efficace pour traiter les causes profondes du conflit dans le continent, éradiquer l’extrémisme, lutter contre la pauvreté et les inégalités et promouvoir les droits humains.
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