« La couverture des tensions actuelles dans la région du Golfe par les chaînes de télévision de cette région relève de l’espoir de voir une guerre déclenchée contre l’Iran plutôt que des faits réels. Les invités le savent et jouent sur le même ton. Je suis fier que mon amour de l’objectivité, en tant qu’analyste politique, l’emporte sur mon penchant idéologique envers telle ou telle partie ! ». Moustafa El-Labbad résumait ainsi sur sa page Facebook sa capacité à échapper à la polarité. Une capacité qui a fait de lui, et de loin, le plus important analyste égyptien des dossiers iranien et turc. Un domaine de spécialité qui semblait vacant jusqu’au retour du jeune chercheur au Caire, après avoir obtenu en Allemagne, en 1994, son doctorat en économie politique du Moyen-Orient. Un domaine qui, aujourd’hui, est laissé presque vide avec la disparition d’El-Labbad dimanche.
Il était directeur et fondateur du Centre Al-Sharq pour les études régionales et stratégiques, et rédacteur en chef de Sharq Namah, un magazine spécialisé dans les affaires iraniennes, turques et asiatiques. Né au Caire en 1965, il est le fils du célèbre graphiste et dessinateur de presse, Mohieddine El-Labbad. Moustafa est lui aussi sorti des sentiers battus et a démissionné d’un emploi garanti à la MENA, l’Agence de presse officielle, pour fonder, avec ses moyens financiers modestes, Sharq Namah puis son centre de recherches.
Son livre Le Jardin des chagrins, l’Iran et Wélayet Al-Faqih (Dar Al-Shorouk, 2006), qui est une étude sérieuse de l’histoire sociopolitique contemporaine de l’Iran, confirme que nous sommes devant un penseur à la culture panoramique. Il a aussi écrit en 2009 conjointement avec d’autres auteurs La Turquie entre les défis de l’intérieur et les paris de l’étranger.
El-Labbad était en effet le modèle du chercheur militant. Sa lutte ne consistait pas à acclamer une position, elle reflétait un engagement réel, une vaste culture et une conviction inébranlable quant aux valeurs de la justice et de la liberté. « Il était biaisé en raison de son sens politique de la justice et son appartenance à la gauche au sens large. Son âme se caractérisait par un humanisme vaste », écrit son ami de longue date, le chercheur Nabil Abdel-Fattah, dans une tribune publiée lundi dans le journal Al-Tahrir.
Des caractéristiques qui l’ont cependant confiné dans le carcan d’un chercheur strict, sérieux, voire acerbe et distant. Vrai en partie. El-Labbad avait renoncé à répondre aux questions de la presse écrite. « Lisez mon article dans As-Safir », était le plus souvent sa réponse aux demandes des journalistes l’invitant à commenter l’actualité régionale. Chaque phrase de son article hebdomadaire dans le prestigieux quotidien libanais apportait une analyse sans équivoque. Plus tard, lorsque As-Safir a tiré sa révérence, il était encore possible de le lire dans le journal koweïtien Al-Qabas. Mais sa parution au grand public était limitée à la télévision, et elle se faisait de plus en plus rare ces deux dernières années avec le cancer qui ravageait son corps. Facebook était alors devenu sa fenêtre sur le monde, et c’est à travers cette plateforme que sa femme, la journaliste libanaise Zeinab Ghosn, avait lancé un appel pour un don de sang dans une tentative de sauver son mari. Deux semaines plus tard, il rendait l’âme.
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