«
La production de mangue a augmenté et son prix a chuté », déclarait fièrement Mohamad Morsi, lors d’une apparition à la télévision publique. Le président énumérait ses réalisations et «
les actions, les investissements et le taux d’emploi » depuis son arrivée au pouvoir le 30 juin.
Les promesses des 100 premiers jours de son mandat arrivent à échéance dimanche prochain. Le chef de l’Etat a promis de présenter « des comptes », lundi, pour « expliquer aux Egyptiens les réalisations et les obstacles » rencontrés lors de ses trois premiers mois.
Durant sa campagne électorale, Morsi, dont le programme prenait source dans celui de son Parti Liberté et justice, affirmait qu’il aspirait à une véritable « renaissance » du pays. Pour les 100 premiers jours, il avait promis de régler cinq dossiers urgents et complexes. Mais aucun n’est aujourd’hui réglé. Le pain et le carburant, tous deux subventionnés par l’Etat, font face à des pénuries chroniques. La sécurité et les transports, deux éléments qui font cruellement défaut, restent dans une situation précaire. Enfin, les ordures ménagères qui jonchent les trottoirs et contre lesquelles il avait promis de lancer une véritable guerre sont toujours aussi voyantes dans les rues.
36 promesses oubliées
Au total, il s’agit de 64 promesses. Selon le baromètre morsimeter.com qui évalue ses promesses à l’épreuve des faits, seuls quatre points ont été réalisés et 24 autres seraient en cours de réalisation (voir infographie). Un bilan médiocre qui met le président dans l’embarras et explique pourquoi les dirigeants de son parti se sont succédé pour tenter de repousser l’échéance des 100 jours. Tantôt, la période commence au lendemain du serment officiel, tantôt elle débute avec la formation du gouvernement, ou encore lors de la mise à la retraite forcée des chefs du Conseil militaire. Mohamad Al-Beltagui, figure de proue du Parti Liberté et justice, bras politique des Frères musulmans, déclare ainsi que Morsi « a réalisé des rêves que nous n’aurions jamais cru pouvoir réaliser dans les dix ans à venir ». Il cite ici ce qu’il croit être « la fin de la corruption du système, accumulée en Egypte depuis 60 ans, et la tyrannie de l’establishment militaire ». Pour cette raison, selon Beltagui, les Egyptiens doivent demander ce que le président a fait pour l’Egypte avant de réclamer la réalisation des promesses des100 jours.
Dans une frappe préventive, le journal Liberté et justice écrit : « A ceux qui vont demander des comptes concernant les 100 jours, certains oublient que le président a accepté d’assumer les responsabilités d’un pays en ruines », comme si Morsi n’avait pas participé à la course présidentielle de son propre gré.
Le rédacteur en chef adjoint a honoré Morsi pour les dossiers considérés comme déjà achevés, mais a imputé la responsabilité des autres problèmes non résolus — comme le carburant et le pain — aux ministres concernés, appelant le président à les limoger.
Le parti des Frères s’est ainsi lancé dans une escalade contre le gouvernement de Hicham Qandil. Qandil et son cabinet ont prêté serment 32 jours après le chef de l’Etat. Les Frères, qui n’occupent que 15 % des portefeuilles ministériels, critiquent aujourd’hui « sa faible performance ».
Une plainte formulée par le parti a même été présentée au président contre le gouvernement « pour son échec à résoudre le problème du carburant et à mettre un terme aux grèves des ouvriers », explique Ibrahim Abou-Auf, membre du parti.
Subventions de 5,6 % du PIB
La question du carburant et de ses subventions est complexe. Elle concerne l’essence, les bonbonnes de gaz, mais aussi le fioul pour les usines. Les subventions allouées à l’énergie dans le dernier budget s’élèvent à 87 milliards de L.E., soit 5,6 % du PIB. L’objectif dans le nouveau budget 2012-2013 serait de les réduire à 70 milliards de L.E.
Le gouvernement hésite pourtant toujours à supprimer les subventions sur le sans-plomb 92 ou 95 et sur le gaz naturel destiné aux usines. Cela permettrait pourtant de protéger les plus pauvres, soit les consommateurs d’essence 90 et 80 et de diesel. Mais une baisse des subventions entraînerait inévitablement une augmentation des coûts de production, et donc de l’inflation.
Morsi a cependant accédé à la présidence après l’adoption du budget de l’Etat 2012-2013, qui connaît un important déficit. Du coup, les promesses qu’il a lancées durant les élections n’ont pas de sources de financement dans le budget. Le premier ministre a évoqué 70 millions de L.E. pour soutenir les promesses des 100 jours, dont la plus grande somme a été réservée au programme de propreté. Morsi avait d’ailleurs entamé son mandat par un appel à une campagne de collecte d’ordures qui a fait descendre les membres de la confrérie en masse dans les rues. Quelques jours plus tard, les ordures ont refait surface et la capitale a été submergée par 4 000 tonnes de poubelles quotidiennes. Ces dernières ne suivent aucun traitement organisé, à part le recyclage limité mené par les chiffonniers et leur famille. La disparition des porcs, dans la foulée de la grippe porcine, a fait empirer les problèmes, et aucune autre alternative n’a jusqu’à maintenant été trouvée, même si le nouveau gouvernement parle d’une nouvelle usine de recyclage.
Complot de l’ancien régime
Les partisans de Morsi parlent d’un « complot » des membres de l’ancien régime pour lui mettre des bâtons dans les roues et le présenter comme inefficace. Ils refusent de reconnaître que les promesses ont été gonflées pour attiser l’appétit des électeurs.
Ses opposants exigent des « excuses pour son incapacité à mettre en vigueur ses promesses », dit le militant de gauche Aboul-Ezz Al-Hariri. « Il doit expliquer aux Egyptiens les raisons de son échec sans fausses justifications. Surtout qu’il s’est emparé entièrement du pouvoir un mois après sa prise de fonction en renvoyant le maréchal Hussein Tantawi ».
Pour répondre aux détracteurs, les Frères avancent ce prétexte : « La présidence est la seule institution qui marche. Il n’y a ni Parlement, ni pouvoir municipal ».
« Dire que le plan du président a commencé avec le début de sa présidence est révélateur de beaucoup d’injustice. C’est vrai dans les pays développés où le président arrive avec des institutions performantes. Mais en Egypte, nous avons besoin de beaucoup de temps pour créer des institutions capables de mettre en œuvre le plan et le programme du président élu », se défend Hamdi Hassan, un cadre des Frères et ancien député.
La confrérie et son parti sont déjà en mission pour fournir les justifications nécessaires au président lors de son intervention télévisée de lundi. « Les grèves » arriveront sans doute en tête des questions pour éviter de parler de l’incapacité du président-Frère.
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