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Redistribution des cartes

Sherif Tarek, Mardi, 02 juillet 2013

Par un nouveau soulèvement populaire massif, les forces d'opposition cherchent à faire démissionner le président Morsi. Deux ans après 2011, les acteurs sont les mêmes, mais les rapports de force sont inversés.

Alors qu’ils étaient contre l’ancien président Hosni Moubarak pendant les 18 jours de révolte ayant mis fin à son pouvoir en 2011, les islamistes se trouvent aujourd’hui soit en position de ferme soutien au régime, soit en position de neutralité à l’égard de la mobilisation en cours contre Morsi.

Naguère le groupe d’opposition le plus puissant du pays, ayant joué un rôle déterminant lors de la révolution du 25 janvier, les Frères musulmans déploient désormais toutes leurs ressources pour défendre le président issu de leurs rangs.

Plusieurs forces importantes du courant islamiste soutiennent aussi vigoureusement le régime en place et la confrérie, comme le mouvement ultraconservateur de la Gamaa islamiya et le parti modéré Al-Wassat, fondé par des ex-Frères.

Néanmoins, un autre nombre de formations islamistes, y compris les partis salafistes Al-Nour et Al-Watan, ainsi que le mouvement Hazemoun (les partisans de l’ancien candidat salafiste à la présidence Hazem Salah Abou-Ismaïl), ne soutiennent ni le président, ni ses opposants.

Le fossé entre les salafistes et les Frères s’est davantage creusé ces derniers mois. De nombreux salafistes éprouvent une amertume de se voir exclure des postes-clés de l’Etat par les Frères qui leur avaient promis un partage du pouvoir. Ils se sont également opposés au prêt que le gouvernement cherche à obtenir du FMI, le considérant contraire à la doctrine islamique.

« Certaines factions salafistes sont en désaccord avec les Frères et refusent de les soutenir, d’autres ont déjà commencé à construire un dialogue avec les forces de l’opposition laïque », selon Walid Kazziha, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire (AUC).

Alliance devenue évidente

Les partisans de l’ancien régime se sont rangés du côté des révolutionnaires pour faire tomber le président Morsi.

Cette alliance est devenue évidente quand des figures de l’ancien régime, dont l’ancien chef de la diplomatie Amr Moussa, ont adhéré au Front national du salut, une formation qui regroupe une vingtaine de partis hostiles aux Frères musulmans.

Par la suite, plusieurs anciens partisans de Moubarak ont soutenu la campagne de rébellion Tamarrod, qui prétend aujourd’hui avoir collecté 22 millions de signatures réclamant le départ de Morsi. Ahmad Chafiq, premier ministre de Moubarak et concurrent de Morsi à l’élection présidentielle, compte parmi les figures de l’ancien régime à avoir soutenu Tamarrod. Certains de ses supporters ont même participé à la collecte des signatures.

Cette union des forces d’opposition n’a pas été bien accueillie par de nombreux « révolutionnaires » qui refusent de coopérer avec les anciens partisans de Moubarak. Des tensions ont été perceptibles à plusieurs reprises lorsque les deux clans ont convergé sur la place Tahrir. « Maintenant ils ont un objectif commun qui consiste à faire chuter le régime. Cet objectif peut les maintenir unis », affirme Mostafa Kamel El-Sayed, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire (AUC). Celui-ci estime toutefois que les divergences entre les deux parties « vont refaire surface ».

Des figures importantes de l’opposition telles que Mohamed ElBaradei et Hamdine Sabbahi ont eu également recours à une rhétorique pour unir toute l’opposition contre les Frères. Mais, par souci de préserver l’unité, des figures révolutionnaires de premier plan, comme le candidat malchanceux à la présidentielle de 2012, ont adopté une rhétorique conciliante. « L’ex-Parti national démocrate de Hosni Moubarak comptait trois millions de membres, il serait très difficile de les bannir tous. Surtout que la plupart d’entre eux y ont juste adhéré pour des intérêts personnels et non par conviction politique », tempère de son côté l’éditorialiste nassérien Abdallah Al-Sinawi.

Ligne de division

L’attitude des manifestants vis-à-vis de l’armée et la position de celle-ci constituent une autre ligne de division. Le régime militaire provisoire, qui a gouverné le pays après le renversement de Moubarak et jusqu’à l’accession de Morsi au pouvoir, a été contesté par les forces révolutionnaires. Ces forces dénoncent le Conseil suprême des forces armées pour avoir adopté les mêmes politiques répressives que Moubarak, notamment en maintenant les procès militaires contre les civils et en faisant un usage excessif de la force contre les manifestants. La semaine dernière, alors que les préparations des manifestations anti-Morsi battaient leur plein, l’armée a déployé ses forces à travers le pays après avoir annoncé qu’elle « ne laissera pas l’Egypte sombrer dans le chaos et la violence ». Aujourd’hui, sur la place Tahrir, comme devant le palais présidentiel ou ailleurs, beaucoup de manifestants, en particulier les partisans de l’ancien régime, appellent l’armée à prendre de nouveau le pouvoir. Un scénario farfelu, selon les analystes politiques. « L’armée soutient la légitimité (de Morsi comme président) et n’interviendra qu’en cas d’excès de violence et de victimes dans la rue », estime Mostafa El-Sayed.

« Si Morsi tombe, l’armée pourra avoir un rôle dans les coulisses, mais n’assumera plus le pouvoir intérimaire », ajoute le politologue. « L’armée n’interviendra que s’il y a trop de morts, comme au cours de la révolution de 2011 », confirme le professeur Kazziha qui pense, lui aussi, que les militaires éviteront la réédition de leur « expérience désagréable » de la transition.

Carburant à la révolte

Mis à part les différends politiques, la souffrance économique des classes inférieures et moyennes, qui a servi de carburant à la révolte contre Moubarak, a été amplifiée par le gouvernement du président Morsi. La pénurie de pain, de carburants, d’électricité, dans un contexte de détérioration économique généralisée, est venue s’ajouter à une crise économique déjà existante. « Le gouvernement de Morsi n’a rien offert pour pouvoir apaiser leur mécontentement », note El-Sayed. « Les gens font la queue pour obtenir du carburant et du pain, ils souffrent des longues coupures d’électricité en été, et d’autres problèmes ... ils en ont assez de l’incompétence de ce gouvernement », ajoute-t-il.

Mais ces millions de protestataires anonymes sortiront-ils gagnants de leur deuxième acte de révolution ? Avec des alliances qui se font et qui se défont à tous les niveaux, il est encore trop tôt pour l’affirmer .

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