Pour répondre aux questions « Qui suis-je ? D’où viens-je ? », Amina Zaher, 33 ans, montre des photos dont l’agencement moderne ne dément guère son identité africaine et moyen-orientale. En fait, les photos qu’elle prend un peu partout dans le monde l’aident à mieux se connaître. Lors de ses déplacements à l’étranger en tant que photographe de mode, elle tente de multiplier ses collaborations avec des revues de mode, sachant qu’en Egypte, c’est un domaine très peu développé. Par ailleurs, elle essaie d’introduire ce sujet dans les cursus de l’enseignement égyptien. « Peu considérée en Egypte, la photographie de mode ne cesse toutefois d’attirer l’intérêt de pas mal de jeunes Cairotes. C’est un travail très lié à la mise en scène et au stylisme, loin de la routine et des clichés », souligne Amina Zaher. Et d’ajouter: « Il faut changer la vieille manière de voir ce métier, acquise à travers les films égyptiens en noir et blanc. Ceux-ci ont dévalorisé l’image des femmes qui travaillent dans ce domaine en les montrant souvent comme de simples couturières ».
Amina Zaher trouve dans la photographie de mode un plaisir, voire une raison de vivre. « Grâce à mon travail, je me sens active, détendue, heureuse, épanouie, proche de la nature et des gens. J’aime la photographie, car j’aime les gens, j’aime interagir avec eux, amicalement », dit-elle.
Pour Amina Zaher, avoir du talent ne suffit pas pour être photographe de mode. Les études sont un must. « En Egypte, toute personne peut se proclamer professionnelle de la mode. Or, nous n’avons pas vraiment d’établissements spécialisés pour enseigner la haute couture, la photographie de mode, l’art de devenir mannequin, etc. J’essaye d’obtenir l’approbation d’un franchiseur de mode pour fournir son savoir-faire à l’Egypte. J’admire l’initiative prise par la styliste égyptienne Iman Al-Dib, propriétaire de l’Agence Unn, qui a réussi à fonder une école pour la formation de mannequins professionnels », indique Amina Zaher.
Cette dernière collabore de temps en temps avec des stylistes arabes qui ont étudié à l’étranger et qui ont atteint une renommée internationale. Elle coopère, par exemple, avec la designer libyenne de bijoux Jude Bin Halim, avec les Egyptiens Mohanad Kojac et Farida Temraz (vêtements), Amr Saad (lunettes) ainsi qu’avec Aya et Monaz Abdel-Raouf (fondatrices de la marque de sacs Al-Okhtein ou les deux soeurs). Sans oublier Anne-Marie Louis, qu’Amina surnomme la « Zara d’Egypte ».
Lors d’un atelier de photographie au centre éducatif Photopia, Amina Zaher a eu la chance de rencontrer le photographe arménien Kegham, professeur à l’Institut français de la mode à Paris. C’est ce dernier qui l’a mise sur le chemin et c’est en suivant ses conseils qu’elle a réussi à faire ses preuves dans le monde entier.
Actuellement, la jeune photographe expose au Caire, à la galerie Arcad (dans le quartier de Maadi), sous le titre de Kenya Aesthetics (esthétique du Kenya). L’exposition montre des photos de mode « conceptuelles » et « narratives ». Des Kényans, hommes et femmes, sont habillés selon son goût, pour créer une émotion particulière. « Je ne photographie pas le moment, je le crée », affirme Amina Zaher. Les émotions qui émanent de ses photos sont le fruit d’une mise en scène bien pensée, qui cherche à communiquer un message visuel précis, mais spontané. Pour elle, il fallait absolument transmettre l’héritage culturel des Kényans en y incluant le côté citadin de Nairobi et son côté primitif ou sauvage. Sur les photos, la population des Massaïs reste fidèle à ses traditions, faisant découvrir la beauté authentique des Kényans. Les compositions, le cadrage, l’éclairage, les poses, les tenues vestimentaires — tout accentue cette beauté naturelle et invite à rêver de ces terres lointaines. C’est ce qu’Amina Zaher appelle le « pictorialisme ». Un style plutôt proche de la peinture et qui suscite de l’émotion.
C’est d’ailleurs ce qui caractérise Amina Zaher. « Photographier des gens, c’est surtout un moyen de communiquer avec eux. La photographie de mode accorde un intérêt à la beauté de l’âme humaine, à sa pureté, sa liberté », explique la photographe, qui cherche la perfection en tout. « Parfois, je suis inquiète de la réaction des visiteurs de l’exposition face à ce nouveau genre d’art. J’ai entendu l’une des invités de la galerie commenter: mais pourquoi photographier des Noirs ?! J’étais choquée, car je rejette toute sorte de racisme. J’éprouve beaucoup de compassion à l’égard des marginalisés », indique l’artiste, qui aime photographier dans la rue, avec une présence humaine, directe ou indirecte, dans des situations spontanées. « L’exposition actuelle est le fruit d’un séjour au Kenya avec mon époux en 2017. Nous avons choisi l’Afrique de l’Est car nous partageons une même passion pour les animaux et la mer. Nous n’avions pas eu la chance de célébrer notre lune de miel à cause du travail. Je lui avais promis qu’au Kenya, je ne porterais pas de caméra, mais je n’ai pas pu tenir ma promesse. La photographie me subjugue en tout lieu, à tout moment », confie Amina Zaher.
Son conjoint partage ses ambitions et ses intérêts. Le jeune couple a choisi de célébrer ses noces entre amis il y a deux ans et demi, au bord de la mer, à Matarma Bay, à Ras Sedr. Lui en maillot de bain et elle, en petite robe blanche et chaussures de sport. Le couple a fait connaissance dans un Surf Hub, toujours dans la station balnéaire de Ras Sedr. Libres et indépendants, ils aiment mener une vie hors du commun, au gré des vagues.
Amina Zaher est née à Guiza. Son père est ingénieur dans une compagnie pétrolière et sa mère hôtesse de l’air. Enfant, Amina était en quête d’une vie familiale stable, à la suite du divorce de ses parents. Sa mère étant toujours en déplacement, la petite fille avait choisi d’habiter au centre-ville cairote, avec sa grand-mère et son oncle paternel, qui lui ont fourni l’affection dont elle avait besoin. « Le centre-ville est un quartier animé, qui assouvit mes besoins de vivre entourée de gens et de bruits. Enfant, j’aimais rester au bord de la fenêtre, qui donnait sur la place Tahrir, pour contempler les passants et dessiner des personnages de cartoons », se souvient Amina, ancienne élève de la Mère de Dieu.
L’art et le sport ainsi que les autres activités créatives allégeaient la rigueur de l’éducation stricte des religieuses. « Passionnée de foot, je jouais au squash au club Al-Ahli. Mon père m’encourageait beaucoup, contrairement à ma mère, plus exigeante sur le plan des études académiques. Actuellement, ma mère et moi, nous sommes de plus en plus amies. Nous sortons ensemble pour faire le tour des cafés et des grands magasins », raconte-t-elle.
Amina Zaher arbore un look moderne, s’habille avec goût, dans un style pratique, sans suivre aveuglément la mode. « J’aime l’originalité, j’aime sortir des sentiers battus », lance la photographe, qui a fondé, en 2005, une troupe de danse moderne, qu’elle a appelée Get Red. « La danse moderne est synonyme de liberté, de nouveauté, de révolte, d’énergie, de création et de recherche. Je me sens moi-même en dansant. Dans certains moments de solitude, la danse était un défoulement », explique Amina, qui a obtenu un diplôme en gestion d’affaires à l’Académie maritime et qui a travaillé, en 2007, pour Microsoft Egypt. « Chez Microsoft, je me plaisais à photographier mes collègues. Pendant les pauses, j’étais tout le temps sur Youtube ou travaillais sur Photoshop. Bref, je cherchais tout ce qui touchait à la photographie de mode. Le site Phlearn m’a beaucoup servi pour trouver des universités étrangères et passer une formation en ligne ou suivre des cours par correspondance », précise-t-elle.
Après Microsoft, Amina Zaher s’est occupée de finance et de marketing à la société Danone Egypte. « Il faut travailler dur. Un bon photographe de mode doit être polyvalent. Car il doit gérer la prise de vue, la retouche des images et le montage, et en même temps, il doit avoir une stratégie de communication et se connaître en marketing, pour bien mener ses activités », explique Amina. La jeune photographe est d’ailleurs très active sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram, qui l’a beaucoup aidée pour entrer en contact avec les magazines de mode et les grands stylistes.
Dans son petit studio de Madinet Nasr, Amina Zaher accueille les clients sur rendez-vous. « C’est très à la mode en ce moment de prendre les mannequins en photo avec un chapeau sur la tête et un voile intégré de mariage, dans une ambiance mi-orientale, mi-occidentale, ou semi-exotique », souligne Amina Zaher. Détentrice d’un diplôme en photographie de mode du New York Film Academy en 2014, les magazines les plus connus se sont arrachés son travail. A savoir Vogue, Harper’s Bazar, ELLE, LUCY et Jute. « J’aurais eu l’occasion de résider à Dubaï et de travailler pour Vogue là-bas, mais j’ai rejeté l’offre, car je n’aimais pas trop la ville », raconte-t-elle.
Durant ses études au New York Film Academy, Amina a passé en revue l’histoire de la photographie de mode, les diverses époques et tendances, les évolutions stylistiques, les goûts, les désirs et les fantasmes. « La photographie de mode signifie travailler sur l’apparence, mais aussi assimiler l’âme d’une époque », dit-elle. La photographe aspire à collaborer un jour avec Chanel et Hermès. Son idole est l’Américain Richard Avedon (1923-2004). « Avedon a réalisé des oeuvres oscillant entre photographie de mode et photoreportage. Il a signé des portraits de célébrités comme Marilyn Monroe, Brigitte Bardot, Sophia Loren, prises dans la rue », dit-elle.
Amina a elle aussi photographié plusieurs jeunes comédiennes égyptiennes, notamment Gamila Awad pour le magazine Harper's Bazar, en 2017, Salma Abou-Deif pour Vogue Italie, en 2018, et d’autres. Elle leur demande toujours de se contenter d’un maquillage simple, juste ce qu’il faut pour enjoliver les traits, car « la simplicité nous rend plus libres. La simplicité, c’est la beauté ».
Actuellement, la photographe est occupée par un nouveau projet avec les revues Héroïne et Métal, réputées pour leurs photos en noir et blanc un peu floues et aux détails imprécis. « Cette quête du flou est toujours d’actualité. Aujourd’hui, l’expression flou artistique désigne un effet esthétique volontairement recherché par le photographe pour accentuer certains détails », conclut Amina Zaher, dont la créativité ne connaît visiblement pas de limites l
Jalons
1986 : Naissance au Caire.
2014 : Diplôme du New York Film Academy.
2016 : Séance-photo pour la marque de lunettes Amr Saad, Vogue.
2018 : Séance-photo pour Vogue, avec la comédienne tunisienne Dorra.
2019 : Exposition à la galerie Arcad à Maadi : Kenya Aesthetics, jusqu’à fin mai.
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