Al-Ahram Hebdo : L’Arabie saoudite accueillera trois sommets— islamique, arabe et du Golfe— fin mai à La Mecque. Quel est l’enjeu de ces sommets ?
Sameh Rashed: Riyad a convoqué seulement deux sommets, le troisième, celui de l’Organisation de la Coopération Islamique (OCI), étant un sommet ordinaire dont la date était prévue initialement fin mai. Tous les pays arabes, y compris les pays du Golfe, sont des Etats membres de l’OCI, et il est supposé qu’ils participent au sommet islamique. Le fait de convoquer un sommet arabe, un niveau inférieur à celui de l’OCI, et un autre sommet à une échelle plus restreinte, celui du Golfe, signifie que Riyad tente de créer un front arabe et islamique le plus large possible contre les menaces iraniennes dans le Golfe. C’est logique, puisque la plupart des pays musulmans entretiennent des relations étroites à la fois avec l’Iran et l’Arabie saoudite et beaucoup d’entre eux refusent de prendre parti pour l’un ou l’autre.
— Le chef de la diplomatie iranienne, Mohammad Javad Zarif, a déclaré au cours de sa visite en Iraq que l’Iran propose de signer un pacte de non-agression avec ses voisins du Golfe. Comment voyez-vous cette offre ?
— Cette proposition représente, sur le plan de la forme, une déclaration de bonne intention, alors que dans le fond, il s’agit d’une tentative de se décharger de tout événement futur causant une turbulence sécuritaire dans la région. L’Iran n’entend pas signer effectivement un tel accord. Il y a un piège, puisque au cas où les pays du Golfe accepteraient cette offre, ils seront engagés de l’appliquer en tant qu’Etats, alors que l’Iran utilise des agents qui ne sont pas des Etats. Les Houthis, le Hezbollah ou même certains groupes chiites en Iraq, à Bahreïn ou dans l’est de l’Arabie saoudite seront en mesure de commettre des actes de violence ou des sabotages sans qu’aucune responsabilité officielle ne tombe sur l’Iran.
— L’escalade actuelle entre les Etats-Unis et l’Iran peut-elle déboucher sur une guerre entre ces deux pays ?
— Je ne pense pas que Trump veuille entrer dans un conflit militaire avec l’Iran. Il s’agit plutôt d’une stratégie visant à forcer l’Iran à s’asseoir à la table des négociations. La marge de manoeuvre américaine est très limitée face à l’Iran. Trump a retiré, en janvier dernier, la plupart de ses troupes de Syrie. Sur le plan interne, l'élection présidentielle américaine de 2020 approche, alors que le locataire de la Maison Blanche fait face à une crise après la publication du rapport Muller. Mais ce qui est le plus important, c’est que Trump s’apprête à dévoiler son « deal du siècle », et l’Iran pourrait, par le biais de ses alliances qui s’étendent partout, entraver tout arrangement régional qui ne convient pas à ses intérêts.
— La démonstration de force militaire de l’Iran, à travers les milices qu’il soutient, attaquant les pays du Golfe, constitue-elle un réel pouvoir ?
— L’Iran est un pays économiquement faible, moyennement fort d’un point de vue militaire et fort sur le plan politique. Les liens étroits que Téhéran a réussi à tisser avec des agents et des alliés, notamment ceux qui se trouvent au coeur des dossiers les plus décisifs pour l’avenir de la région, comme les Houthis, le Hezbollah, le Hamas, le régime syrien et l’Etat iraqien dans son ensemble, figurent parmi ses outils les plus puissants. Le message que Téhéran veut transmettre à travers les attaques récentes contre les installations des Emirats arabes unis et de l’Arabie saoudite est clair : si l’Iran est attaqué, le pays peut ouvrir d’autres fronts simultanément et tout le monde va payer le prix de la guerre.
— L’envoi de 1500 soldats supplémentaires dans le Golfe, annoncé par Trump, est-il en contradiction avec sa stratégie de désengagement militaire du Moyen-Orient ?
— Cette contradiction de politique fait partie de la stratégie de guerre psychologique et de pression maximale exercées par Washington contre Téhéran. Mais Trump ignore peut-être que l’Iran possède une longue expérience dans la manière de faire face aux différents types de pressions. Je ne pense pas que Trump aille envoyer effectivement ce nombre. Bref, la politique de Trump contre l’Iran, c’est d’obtenir les résultats les plus grands au moindre coût et sans entrer dans une confrontation à somme nulle.
— Pensez-vous qu’Israël pousse à la guerre entre les Etats-Unis et l’Iran ?
— Israël étudie bien les caractéristiques de tout locataire de la Maison Blanche et sait comment tirer le meilleur parti de chacun conformément à sa mentalité. L’Etat hébreu n’a aucun intérêt à l’escalade ou à l’apaisement avec l’Iran, mais le plus important pour lui, c’est comment s’assurer de ne pas être exposé directement ou indirectement aux menaces des agents iraniens, notamment le Hezbollah et le Hamas. Pour les Israéliens, le moyen le plus raisonnable et le plus viable pour s’opposer à l’Iran est d’entretenir des accords avec ce pays, afin de lui imposer des obligations, mais aussi des gains mutuels. C’est pourquoi on n’entend plus de déclarations provocatrices du côté israélien. Israël ne veut pas apparaître sur la scène et laisse Trump mener seul sa bataille psychologique et médiatique contre Téhéran. Cela montre qu’on est proche du point de transition de l’escalade vers la négociation .
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