
Les manifestations en Turquie se poursuivent malgré l'intervention de l'armée et la répression de la police.
(Photos : Reuters)
Les fardeaux qui alourdissent le dos du premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan — confronté à la plus grave contestation populaire depuis le 31 mai — menacent fort son avenir politique. Longue est la liste de défis qui enveniment l’existence d’Erdogan. Après quelques jours de calme à Istanbul, plusieurs milliers de personnes ont de nouveau manifesté aux abords de la place Taksim, scandant des slogans : «
Gouvernement démission ! » ou «
Contre le fascisme ! ». Cette fois, les manifestations avaient un motif beaucoup plus dangereux : dénoncer l’intervention de l’armée vendredi contre plusieurs centaines de personnes qui protestaient contre l’agrandissement d’un camp militaire dans le sud-est du pays, faisant un mort et 8 blessés. Cet attentat, qui s’est produit dans une région fort critique — sud-est, à majorité kurde — a ressuscité la crise kurde qui était en voie de solution après l’accord conclu il y a quelques mois entre le pouvoir et le chef kurde emprisonné, Abdullah Ocalan. Pour dénoncer la répression de l’armée à leur égard, les Kurdes ont fondé dimanche un mouvement intitulé
Gouvernement, prends une mesure, pour faire pression sur les autorités en vue d’obtenir des progrès dans le processus de paix avec eux. Dimanche, des milliers de Kurdes ont manifesté, alors que la police antiémeute a fait usage de gaz lacrymogène pour les disperser. Envenimant l’existence d’Erdogan, le Parti de la Paix et de la démocratie — pro-kurde — a annoncé qu’il organiserait de tels mouvements dans toute la Turquie, afin de contraindre le gouvernement à régler le conflit. Les rebelles armés du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ont commencé à se retirer le mois dernier vers leurs bases du nord de l’Iraq, première étape de l’accord entre le chef rebelle et Ankara. Dans la deuxième étape, le gouvernement turc doit faire les réformes pour accroître les droits de la communauté kurde. Dans ce contexte de contestation populaire où l’armée pourrait renverser le pouvoir à aucun moment, le parti islamo-conservateur au pouvoir (AKP) a tenté de se sécuriser en déposant au Parlement un projet de loi qui amende une disposition du règlement intérieur des armées, maintes fois utilisée pour justifier des coups d’Etat militaires.
L’armée turque a réalisé 3 coups d’Etat et forcé en 1997 un gouvernement d’inspiration islamiste à démissionner. L’article 35 stipule que le devoir de l’armée est « de préserver et de protéger la République de Turquie ». Les militaires turcs ont mené leurs deux coups d’Etat de 1971 et 1980, sur la base de cet article, arguant que les autorités civiles ne parvenaient pas à préserver les principes constitutionnels. La formule présentée par l’AKP cantonne l’armée aux fonctions militaires. Depuis son arrivée au pouvoir, l’AKP a mis en oeuvre des réformes en ce sens, au début pour accélérer ses négociations d’adhésion à l’Union Européenne (UE) et aujourd’hui pour prévenir un coup d’Etat devenu « très probable ».
Le rêve européen entre parenthèses
Outre ces défis intérieurs, Erdogan risque de payer la lourde facture d’un mois de brutalités envers ses adversaires. Selon les experts, ces brutalités pourraient lui voler son rêve d’adhérer au club européen. Un bilan de 4 morts et 8 000 blessés a suscité de vastes critiques dans le monde et terni l’image du premier ministre. La semaine dernière, un coup de froid a frappé les relations entre l’Allemagne et la Turquie à cause de ce dossier, ce qui pouvait menacer l’adhésion turque à l’UE.
Malgré les réticences de l’Allemagne, la réunion de l’Assemblée parlementaire du conseil de l’Europe a pu réaliser la semaine dernière un compromis : repousser l’ouverture d’un nouveau chapitre de négociations avec Ankara — qui devrait commencer ces jours-ci — jusqu’à l’automne. Ce compromis a été trouvé après d’intenses discussions entre ministres européens réunis à Luxembourg sur fond de divergences sur le message à envoyer aux autorités turques. D’un côté, l’Allemagne, soutenue par les Pays-Bas et l’Autriche, prônait la fermeté. De l’autre, les autres pays de l’UE étaient favorables à la relance des négociations, car il est important de « laisser la porte ouverte » à la Turquie. Selon les experts, ce report vise à donner la chance à Ankara de prouver qu’elle mérite sa place au sein de l’UE. Surtout que ces négociations interviendront après la présentation du rapport annuel de la Commission qui évalue chaque automne les progrès réalisés dans l’harmonisation de la législation turque avec celles de l’UE. Reste à Erdogan de ranger ses cartes dans son pays avant de payer une lourde facture à tous les niveaux .
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