Al-Ahram Hebdo : Le sommet arabe intervient au moment où la sécurité des pays arabes doit faire face à de nombreux défis. Comment le Sommet de Tunis pourrait-il les relever ?
Ahmed Sayed Ahmed : Ce 30e sommet arabe se tient en Tunisie sur fond de défis, de menaces et de crises auxquels le monde arabe est confronté depuis 2011. Il s’agit du terrorisme, de la poursuite des conflits armés en Syrie, en Libye et au Yémen, mais aussi de la multiplication des interventions étrangères dans la région, des problèmes d’immigration clandestine, de la pauvreté et du chômage. Même après le déclin de Daech après sa défaite en Syrie et en Iraq, la menace terroriste persiste toujours à travers les supposées cellules dormantes qui continuent d’exécuter des actes terroristes dans les pays arabes. A cela s’ajoute le nombre croissant d’acteurs régionaux et mondiaux sur la scène arabe, transformant celle-ci en une véritable arène de conflits d’intérêts et d’agendas. Pourtant, il incombera à ce sommet de relever les défis et de mener un dialogue arabo-arabe, afin de résoudre les crises de la région et de parvenir à une feuille de route qui détermine les priorités de l’action arabe pour la période à venir. Une action arabe basée sur le renforcement de l’Etat-Nation et du rôle arabe.
— Quels profits pourrait tirer la Tunisie de la tenue de ce sommet sur les plans politique, économique et diplomatique ?
— Je pense que la Tunisie cherchera à profiter au maximum de la tenue du sommet arabe sur son territoire, en particulier sur le plan politique, pour essayer de renforcer la diplomatie tunisienne sur la scène arabe et dans la résolution des crises régionales. Au niveau économique, le sommet sera une bonne occasion pour la Tunisie de mobiliser le soutien arabe pour faire face aux difficultés qu’elle traverse. Dans tous les cas, la tenue de ce sommet arabe en Tunisie, malgré les difficultés politiques et économiques que traverse le pays, représente un grand succès pour la diplomatie tunisienne. Cette réussite pourrait être accentuée par une forte participation des dirigeants arabes, surtout après la faible présence arabe au sommet économique qui s’est récemment tenu au Liban.
— Quels sont les dossiers prioritaires de ce sommet ?
— Les dossiers sont innombrables. Il y a le terrorisme, les organisations terroristes qui sont à la recherche de nouveaux foyers dans la région arabe après leur défaite en Iraq et en Syrie, l’immigration clandestine, le règlement des crises arabes, mais aussi la reconstruction de la Syrie, le rapatriement des réfugiés et migrants arabes, ainsi que le maintien de la sécurité de la région arabe et la lutte contre les ingérences étrangères. A cela s’ajoutent les questions relatives à la cause palestinienne et à la consolidation de l’intégration économique arabe.
— Le Sommet de Tunis marquera-t-il le retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe ?
— Malheureusement, il n’y a pas de consensus arabe pour un retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe où son siège est vacant depuis 2011. Les pays arabes sont divisés quant à cette question. En effet, le retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe est encore conditionné par le règlement de sa situation par la voie politique, par la tenue des élections et la promulgation d’une nouvelle Constitution. Bien que la Tunisie et d’autres pays arabes, tels que le Liban et l’Iraq, appuient fermement le retour de la Syrie au sein de la Ligue arabe et sa participation au Sommet de Tunis, il est peu probable que cela arrive. Car l’approbation de tous les pays membres de la Ligue arabe est nécessaire. Chose impossible dans les circonstances actuelles. Par conséquent, le siège syrien restera vacant au Sommet de Tunis, malgré la récente présence de la Syrie à la conférence de l’Union parlementaire arabe en Jordanie.
— Quelle solution pourra apporter le sommet au dossier libyen ?
— Le dossier libyen sera au centre des discussions arabes, surtout avec la persistance de la division qui continue d’opposer le gouvernement d’union nationale de Fayez Al-Sarraj, qui contrôle l’ouest du pays, et le gouvernement de l’est dirigé par Khalifa Haftar. Et ce, malgré la récente rencontre de ces deux rivaux aux Emirats. D’ailleurs, les ingérences étrangères compliquent davantage la situation, comme l’escalade de la concurrence franco-italienne en Libye, l’absence d’accord final sur le processus de réconciliation nationale et sur la date de l’organisation des élections. Par conséquent, je pense que la solution de la crise libyenne est entre les mains des Libyens. Sans une réelle volonté politique des différentes parties, le règlement de la crise libyenne ne se règlera pas. Et le sommet arabe peut jouer un rôle dans la réalisation d’une réconciliation entre les parties libyennes et dans l’élaboration d’une feuille de route pour la prochaine phase.
— Le sommet pourrait-il aboutir à une position arabe unifiée face aux ingérences iraniennes et turques ?
— Les ingérences iraniennes constituent une grave menace pour la sécurité de la région arabe, car elles compromettent la souveraineté des pays arabes en soutenant les milices armées qui lui sont loyales, comme les Houthis au Yémen, le Hezbollah au Liban et les milices en Syrie et en Iraq. Celles-ci alimentent l’instabilité et le terrorisme dans la région arabe. Quant à l’ingérence militaire turque dans le nord de la Syrie et en Iraq, celle-ci menace la sécurité arabe et la souveraineté de ces pays. Il est donc important que le sommet arabe adopte une position ferme pour faire face aux ingérences iraniennes et turques dans la région.
— Quel soutien peuvent apporter les pays arabes à la cause palestinienne, surtout suite à l’annonce du « deal du siècle » après les élections israéliennes ?
— Le soutien arabe à la cause palestinienne est d’une grande importance dans les circonstances actuelles, car il servira de soupape de sécurité contre la violation des droits légitimes du peuple palestinien, surtout que les Etats-Unis s’apprêtent à proposer un nouveau plan de paix, connu sous le nom du « deal du siècle ». Un deal qui, apparemment, ne respectera nullement les droits légitimes du peuple palestinien, qui exclut Jérusalem de tout accord et qui nie le droit de retour. Par conséquent, il est indispensable que ce sommet adresse ce message aux Etats-Unis, que ni les Palestiniens, ni les Arabes n’accepteront de formule qui ne permette une paix juste et globale. Ceci inclut la création d’un Etat palestinien indépendant aux frontières de 1967 avec Jérusalem pour capitale et le droit de retour des réfugiés.
— Est-il, selon vous, nécessaire de réformer la charte de la Ligue arabe pour qu’elle devienne capable de prendre des décisions plus effectives ?
— L’incapacité de la Ligue arabe à agir est liée aux conjonctures actuelles du monde arabe, qui traverse les moments les plus difficiles de son histoire, car chaque pays est fortement préoccupé par ses crises internes. Mais, il est vrai que la faiblesse de la Ligue arabe est aussi due à sa charte qui n’est plus adaptée à la réalité. En effet, le principe de l’unanimité l’empêche de prendre des décisions efficaces pour relever les défis. Cependant, malgré les grands défis auxquels sont confrontés les pays arabes, et malgré la régression du rôle de la Ligue arabe, la tenue du sommet est un succès en soi, car il témoigne de la préservation d’un minimum de cohésion arabe.
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