Al-Ahram Hebdo : L’Organisation Internationale du Travail (OIT) vient de classer l’Egypte sur sa liste noire. Comment interprétez-vous ce classement ?
Ahmad Al-Boraï : Cela ne me choque pas. Au contraire, il s’agit d’un aboutissement normal de la poursuite des politiques liberticides exercées à l’encontre des ouvriers. Cette mesure n’est que la conséquence des violations des droits des ouvriers dont plus de 5 000 ont été emprisonnés et licenciés sous le régime des Frères musulmans pour la simple raison d’avoir osé réclamer leurs droits.
Une des premières lois passées après la révolution a été celle qui criminalise les grèves et les sit-in. La non-promulgation de la loi des libertés syndicales ainsi que le non-respect des conventions internationales ratifiées par l’Egypte à ce sujet sont d’autres raisons légitimes pour placer l’Egypte sur cette liste noire.
— Quel sera l’impact de ce classement ?
— Pour un pays qui prétend être sur la voie de l’instauration d’un régime démocratique, je trouve scandaleux que l’Egypte soit sur la liste noire. Cette mesure de l’OIT affectera les accords de l’Egypte avec le Gatt, ainsi que la position du FMI vis-à-vis des crédits réclamés par l’Egypte.
— Que pensez-vous de la manière avec laquelle le gouvernement a traité ce dossier ?
— La délégation qui s’est rendue à Genève plaidant la cause de l’Egypte auprès de l’OIT ne vise qu’à redorer le blason du régime. Mais de facto, le gouvernement ne se soucie pas de la défense de la cause ouvrière. Si l’Egypte était sérieuse à relever le défi de la justice sociale et des droits des ouvriers, elle aurait oeuvré pour la levée des restrictions imposées à la création et au fonctionnement des syndicats ouvriers indépendants et à la mise en place d’un système garantissant un salaire minimum convenable réduisant les inégalités.
— Pourquoi le mouvement ouvrier s’oppose-t-il au projet sur les lois syndicales présenté par les Frères musulmans ?
— Les amendements en question n’arrangent pas la précarité des syndicats indépendants, dans la mesure où ils interdisent la création d’un autre syndicat, portant ainsi atteinte au droit à la création de syndicats indépendants. En outre, ils élargissent les prérogatives du ministre de la Main-d’oeuvre et des organismes du contrôle sur leurs activités et leurs financements.
Nous ne voulons pas d’amendements qui ancrent davantage le despotisme des régimes successifs. L’adoption de la loi sur les libertés syndicales, élaborée en mars 2011 par les ouvriers et les représentants des syndicats indépendants, est une véritable garantie pour la création et le fonctionnement des syndicats indépendants destinés à renforcer les droits des ouvriers. Mais ni le gouvernement ni le Parlement n’ont accordé le moindre intérêt à cette loi.
— Quel est le motif avancé par le gouvernement pour justifier la non-promulgation de lois sur les syndicats ouvriers ?
— Le régime des Frères musulmans déploie tous ses efforts pour la frérisation des syndicats ouvriers. A titre d’exemple, le Conseil consultatif a adopté, il y a trois mois, une loi sur l’Union des syndicats ouvriers exigeant le licenciement de tous ceux qui ont dépassé les 60 ans. En plus, on a accordé au ministre de la Main-d’oeuvre la prérogative de désigner des responsables aux postes vacants. Tous les nouveaux membres sont des Frères musulmans. Ces derniers savent que le mouvement ouvrier penche vers la gauche. C’est pourquoi ils veulent la frérisation de l’Union des syndicats ouvriers.
— Quels sont les progrès réalisés dans le dossier de la liberté syndicale après la révolution ?
— Hélas rien. Plus de deux ans après la révolution, les ouvriers se trouvent toujours seuls à se battre pour imposer deux des objectifs majeurs de la révolution : les droits des travailleurs et la justice sociale. La multiplication des manifestations et des grèves ouvrières reflète nettement ce malaise qu’endurent les ouvriers face à un régime libéral qui n’accorde aucune priorité au volet social.
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