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Mohamed Maeit : Le nouveau système d’assurance médicale est flexible à plus d’un égard

Marwa Hussein, Samedi, 17 novembre 2018

Dans un entretien avec Al-Ahram Hebdo, Mohamed Maeit, ministre des Finances, revient sur le nouveau système d’assurance médicale, son financement et détaille les facteurs dont dépendra sa réussite.

Mohamed Maeit

Al-Ahram Hebdo : Qu’est-ce que la nouvelle loi sur l’assurance médicale apporte de nouveau par rapport à la loi précédente ?

Mohamed Maeit : Il n’existe pas de loi précédente sur l’assurance médicale; on avait un ensemble de lois et de décrets qui régulaient cette question. Par exemple, les employés privés étaient soumis à la loi 79 de l’année 1975 des assurances sociales. Il y avait aussi une assurance pour les élèves, pour les femmes avec des enfants à charge, pour les retraités, etc.

Aujourd’hui, nous avons une loi sur l’assurance médicale et c’est ça la nouveauté. Parce que, jusqu’ici, les lois et les décisions rela­tives à l’assurance médicale concer­naient seulement la personne du bénéfi­ciaire à l’exclusion des membres de sa famille, ce qui signifie que cette même personne devait se charger des frais médicaux de sa famille. De même, sous les nombreuses lois qui ont jusqu’ici régi l’assurance santé, les personnes non couvertes étaient privées d’assurance, même après l’âge de la retraite. La nou­velle loi, en revanche, couvre tous les membres de la famille.

En plus, cette nouvelle loi permet aux bénéficiaires de choisir l’hôpital où ils souhaitent être traités, et cela est une autre nouveauté. Aux yeux des agences internationales, le système médical égyptien est un sys­tème « fragmenté ». Or, la nouvelle loi vise à créer un système de santé intégral et unique. Enfin, en fonction de la nou­velle loi, le système d’assurance médi­cale sera administrativement et financiè­rement indépendant du gouvernement.

— Un citoyen peut-il bénéficier à titre individuel du nouveau système d’assurance médicale s’il n’est pas un employé ?

— Le nouveau système d’assurance médicale a pour ambition d’offrir une couverture à tous les citoyens. Dans certains cas, l’accès se fait à travers l’employeur, mais les autres citoyens, qu’ils soient ou non à la retraite, ont le droit d’en profiter. Les entreprises peu­vent s’y inscrire sous plus d’une forme. Supposons par exemple qu’une entre­prise comme Arab Contractors ait ses propres hôpitaux, ses employés peuvent bien entendu profiter de ces hôpitaux, et dans ce cas, l’entreprise réglera ses cotisations au système d’assurance moins les frais des soins prodi­gués à ses employés.

Notons quand même que si le bénéficiaire peut choisir son hôpital dans le cadre du nouveau système d’as­surance, la visite du méde­cin de famille est obliga­toire. Ceci est dans l’inté­rêt des compagnies d’assu­rance médicale dans la mesure où l’admission dans un hôpital sera déci­dée par ce médecin de famille, donc justifiée. Le nouveau système est flexible à plus d’un égard. Par exemple, si un certain service n’est pas inclus, le bénéficiaire sera libre d’avoir recours à une com­pagnie d’assurance pour couvrir ce ser­vice. De même, le secteur privé aura un rôle à jouer dans les zones où il n’existe pas d’institution médicale publique.

— Quand est-ce que cette nouvelle loi sera appliquée ?

— En principe, la mise en oeuvre de ce nouveau système sur l’ensemble du pays prendra une quinzaine d’années, cela dépendra de l’infrastructure et du finan­cement. On commencera avec les gou­vernorats de Port-Saïd, du Nord-Sinaï, du Sud-Sinaï, de Suez et d’Ismaïliya. Cela devrait prendre deux ans tout au plus. Ces gouvernorats ont été choisis à cause de leur faible population, ce qui permettra de tester le nouveau système et de pallier les carences.

— Quelles seront les sources de financement de ce nouveau système et quelle sera la part de l’Etat ?

— Il y a d’abord les cotisations et le Trésor public, en plus d’autres sources de finance­ment. La part de l’Etat changera en fonction du nombre de gouvernorats inclus chaque année. La réforme du secteur de la santé suppose la réallocation de certaines res­sources. En tout, le nouveau système d’assurance médi­cale comptera trois agences : celle du financement, qui sera responsable de la col­lecte des cotisations, celle du contrôle de la qualité et celle responsable de dispenser le service aux bénéficiaires. Les deux dernières agences sont déjà créées et celle du financement est en cours de formation.

— De quel pays est inspiré ce nouveau système d’assurance médicale ?

— Ce nouveau système est un amalgame entre les systèmes d’assurances appliqués en Angleterre, en France et en Allemagne. Par exemple, l’idée du médecin de famille est appliquée en Angleterre, la liberté de choisir son hôpital appartient au système allemand, alors que l’agence responsable de dispenser le service est proche du système français.

— Quelle est la place du secteur privé dans ce système ?

— Nous sommes ouverts à toutes sortes de partenariat avec le secteur privé, c’est l’idée de base du nouveau système. L’objectif de l’Etat n’est pas d’offrir ce service de façon directe, c’est la satisfaction du patient qui compte, et celui-ci a le droit d’avoir un service de qualité, que ce soit dans les hôpitaux publics ou privés. Dans ce nouveau système, le finance­ment, l’offre du service et le contrôle sont des entités sépa­rées.

Par ailleurs, la couverture médicale de 100 millions d’Egyptiens représente une occa­sion intéressante pour le secteur privé, notam­ment les secteurs des industries pharmaceu­tiques et des équipements médicaux. Le patient a aussi le droit d’avoir affaire avec son méde­cin privé, une pharmacie privée et un labora­toire privé. De même, les compagnies d’assu­rance médicale sont aussi appelées à contribuer à ce système.

— D’après vous, quel est le facteur princi­pal dont dépendra la réussite de ce nouveau système d’assurance médicale ?

— A mon avis, un bon système de gestion des informations est primordial. Parce qu’il n’est pas suffisant d’avoir des hôpitaux équi­pés et des médecins bien formés. Il s’agit aussi d’inscriptions, de collecte des cotisations, de constituer un dossier médical pour chaque patient, en plus du système d’admission à l’hô­pital à travers le médecin de famille, et le règlement des paiements avec le secteur privé, etc. Tout cela implique une bonne gestion des informations. D’après le ministre de la Santé, la mise en place de ce système informatisé débutera en juin prochain.

— A ce propos, où en est le projet d’informatisation du ministère des Finances ?

— C’est un projet complexe. Il y a d’abord les finances de l’Etat, et à ce niveau, 90% du travail a été fait. Les dépenses de l’Etat, comme les salaires et le paiement des fournisseurs, ont été complètement informatisées, ce qui reste concerne les reve­nus. Nous avons ainsi annulé les billets des chèques et tous les paiements se font désormais de manière électronique, tout comme l’élaboration du budget de l’Etat.

Mohamed Maeit : Le nouveau système d’assurance médicale est flexible à plus d’un égard

Nous avons également annulé quelque 62000 comptes bancaires appartenant au gouvernement et actuellement, celui-ci ne dispose que d’un seul compte unifié. Actuellement, nous travaillons à l’informatisation du système fiscal, dans toutes ses étapes, et des bureaux d’impôts; c’est un travail de longue haleine. Depuis le mois d’oc­tobre dernier, les sociétés financières effec­tuent leurs déclarations d’impôts en ligne, un développement qui sera généralisé. La réforme et l’informatisation du secteur des impôts seront terminées fin 2021.

— Pensez-vous que l’informatisation de ce secteur soit susceptible d’augmenter les recettes fiscales ?

— Je pense qu’un système fiscal judicieux et informatisé peut minimiser les chances de litiges et créer une atmosphère de confiance. Il peut aussi aider à avoir un recensement plus pointu des contribuables, ce qui, à son tour, peut augmenter les recettes.

Il y a deux ans, les recettes fiscales représentaient 13,5% du PIB; pour l’année fiscale en cours, nous visons 14,7%. Notre objectif est d’arriver graduelle­ment à 20%. Nous voulons enfin faire en sorte que l’évasion fiscale soit reconnue comme un crime préjudiciable à l’honneur et aux intérêts du concerné.

— Les taux de croissance prévus dans le budget de l’Etat sont-ils sujets à la modifica­tion ?

— Le taux de croissance prévu pour cette année est de 5,8%. Le ministère de la Planification a déclaré un taux de croissance de 3,5% pour le premier trimestre et nous atten­dons les prévisions pour le reste de l’année. On espère atteindre un taux de croissance de 6 % l’année prochaine.

— Craignez-vous l’effet de facteurs externes ?

— Bien sûr. Le prix du baril de pétrole a chuté de 87 dollars à moins de 70 dollars. Le prix retenu lors de l’élaboration du budget de l’année prochaine est de 67 dollars. Nous sui­vons de près le marché et nous reconsidérons les prix en cas de besoin.

Il y a aussi la hausse des taux d’intérêt à l’échelle mondiale, qui vient s’ajouter aux effets de l’inflation. Il existe aussi des inconnues: le plan visant à introduire des entreprises publiques en Bourse était supposé apporter à l’Etat 10 milliards de L.E. pour l’année en cours. Mais il est impor­tant de choisir le bon moment pour lancer ce programme, afin de ne pas mettre en péril les fonds publics.

— Aurons-nous un jour un système de fixation des prix de l’essence ?

— Rien n’est exclu. Mais notre priorité actuelle est de revoir à la hausse les allocations pour les secteurs de l’enseignement et de la santé et d’améliorer le niveau de vie des citoyens, plutôt que de subventionner l’es­sence.

— L’Egypte envisage-t-elle d’émettre des obligations libellées en yens japonais et yuan chinois ?

— Notre objectif est de diversifier les sources de financement. Les obliga­tions peuvent être émises en dollars américains, en euros, en yens japonais, ou toutes autres devises. On considère aussi les « obligations vertes » ou Green Bonds, les obligations « Samouraï », émises au Japon, et les « Panda Bonds », émises en Chine, mais jusqu’à présent, ni les montants, ni les devises, ni le moment n’ont été déci­dés.

— Les intérêts de la dette engloutissent une large part des dépenses publiques. Y aura-t-il des mesures pour endiguer l’endettement ?

— Nous avons une stratégie pour gérer les intérêts de la dette et la réduire sur les pro­chaines années. Nous agissons sur la structure de la dette, qui se compose d’obligations à court et à long termes, en monnaie locale et en devises. Le 30 juin 2017, la dette publique représentait 108% du PIB, le 30 juin 2018, elle est passée à 98%. Nous nous attendons à ce qu’elle soit réduite à 92% fin juin 2019.

— Et quelles sont les prévisions en ce qui concerne les taux d’intérêt ?

— Les taux d’intérêt dépendent de plusieurs facteurs. Certains sont relatifs à l’évaluation de la stabilité politique et économique de l’Egypte et à ce niveau, nous sommes en bonne santé. La solvabilité et l’inflation sont également des facteurs importants au niveau du pays. Mais d’autres facteurs sont externes, notamment les taux d’intérêt à l’échelle mondiale, qui dépen­dent à leur tour de la Banque fédérale améri­caine, mais aussi des marchés émergents. Nous essayons de gérer la dette publique au moindre coût.

— Quelle est la vision du gouvernement au sujet du partenariat avec le secteur privé ?

— Le partenariat avec le secteur privé consti­tue un mode de financement efficace, qui peut accélérer le processus de développement. Le ministère des Finances a présenté une étude au Conseil des ministres sur des projets sous le mode PPP (Partenariat Public-Privé). Ceci implique l’amendement de certaines lois. Le mois prochain, une conférence sera consacrée à ce sujet en coopération avec l'Angleterre, qui est l’un des pays les plus avancés dans ce mode de partenariat. Le gouvernement fera égale­ment appel à des experts en la matière pour considérer certains obstacles.

— Quel genre d’obstacles ?

— Il y a d’abord le facteur temps, vu la com­plexité du processus. En plus, nous aurons besoin d’assurer une formation à des fonction­naires de ministères, comme ceux de la Santé et de l’Enseignement, pour leur apprendre ce nouveau mode de fonctionnement. Et il faut trouver les sources de financement.

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