Après des années d’attente, le parlement égyptien avait approuvé, voilà environ un an, précisément dans sa session du 18 décembre 2017, la loi sur l’assurance médicale intégrale. Cette loi, qui est effectivement entrée en vigueur début 2018, était longuement attendue par tout le monde depuis les praticiens de la profession médicale jusqu’aux malades, qui défilaient dans des interminables queues devant les portes des bureaux d’une assurance médicale désuète et dont la qualité des services laisse à désirer.
Cette loi est intervenue dans un contexte de politiques publiques de réforme globale, qui va des cadres législatifs aux secteurs-clés de l’éducation et de la santé, en passant par des réformes spécifiques dans l’environnement des affaires. Elle répond également à une exigence constitutionnelle stipulée par l’article 18 de la Constitution de 2014 sur le droit à la santé. En somme, les 67 articles de la loi réglementent l’expansion de la couverture d’assurance médicale, l’amélioration de la qualité des services santé, l’inclusion du secteur privé au système d’assurance et l’assurance des sources de financement du nouveau système.
De 58,2 à 93 % des Egyptiens couverts
Créé en 1964, l’Organisme des assurances médicales dépendant du ministère de la Santé était jusque-là l’unique fournisseur et financeur de la couverture santé du secteur formel (salariés, retraités, femmes soutiens de familles et élèves). Cette couverture ne concernait que 58,2% des Egyptiens. La loi est venue changer cela. Désormais, en vertu de la nouvelle loi, il doit y avoir un système de couverture unifié qui couvre toute la famille (père, mère, enfants jusqu’à l’âge adulte et les non-salariés) : d’ici 2032, le système couvrira 93% des Egyptiens.
Le nouveau système ralliera aux éléments précités également les paysans, ainsi que les professeurs d’université qui étaient traités dans les hôpitaux universitaires. Seront en revanche exclus les officiers de l’armée et de la police. D’ici 2032, le nouveau système doit être généralisé à tout le pays après 6 phases d’application. La première a commencé en 2018 dans 5 gouvernorats, à savoir Port-Saïd, Suez, Ismaïliya, Sud-Sinaï et Nord-Sinaï.
Selon les estimations officielles de l’Organisme des assurances médicales, les 58,2% qui bénéficiaient de cette couverture étaient inégalement répartis sur les territoires. Au Caire, par exemple, le nombre de bénéficiaires des assurances médicales s’élève à 5,5 millions, soit 61,2% de la population cairote, alors qu’Alexandrie compte 3,6 millions de bénéficiaires, soit 79% de la population locale.
D’autres zones à faible densité de population (Sinaï, mer Rouge, Nouvelle Vallée) sont mieux loties en nombre de médecins et de lits, raison pour laquelle la couverture médicale dans ces régions est meilleure même si les habitants doivent faire de longs trajets pour accéder aux hôpitaux. Ce sont les zones rurales ou lointaines, comme la Haute-Egypte, où la couverture de l’assurance médicale est la plus faible.
Une nouvelle configuration du système
L’une des caractéristiques du nouveau système est d’avoir, à l’instar des modèles mondiaux d’assurance médicale, séparé les prestations des soins de leur financement. A cet égard, Dr Abdel-Hamid Abaza, président du comité d’élaboration du projet de loi sur le système d’assurance médicale intégrale, avait déclaré à Al-Ahram Hebdo que « cette séparation, appliquée partout dans le monde, permettra de répartir les responsabilités, demander des comptes aux contrevenants et surveiller la qualité des services ».
La nouvelle loi de la réforme crée sous son ombrelle trois organismes : l’autorité de l’assurance sociale et l’assurance maladie, qui est chargée du financement, l’autorité des soins médicaux, chargée de la gestion des hôpitaux, et enfin l’organisme chargé de superviser la qualité et l’ISO. L’organisme de maladie sera uniquement chargé de la prestation des soins médicaux jusqu’à ce que les six phases du système soient achevées. « C’est une restructuration radicale. Chaque organisme travaillera de manière autonome. Le ministère de la Santé assume uniquement le rôle de régulateur », a affirmé Alaa Ghanam, membre du comité qui a élaboré le projet de loi.
D’après Ghanam, pour que ce nouveau mode de gouvernance soit achevé en bonne et due forme il faut créer un haut conseil pour l’assurance médicale qui représentera toutes les parties concernées même jusqu’aux patients. Une chose qui n’a pas encore vu le jour.
Quels financements ?
Les sources de financement sont au nombre de trois, tel que stipulé dans la loi. Un tiers provient des abonnements. Un autre tiers de la trésorerie de l’Etat qui sera destiné aux plus démunis. Et un troisième émane des taxes sur le tabac. Alaa Ghanam assure, pour sa part, que 23 milliards de L.E. ont été allouées à la réforme de la première phase et qu’un communiqué officiel a été émis par la ministre des Finances ayant affirmé les allocations supplémentaires. Selon Ghanam, les estimations allouées per capita dans la première phase sont de 2 300 L.E.
« A ces chiffres sont ajoutées des aides qui ont été allouées par l’USAID et l’Agence Française de Développement (AFD) », affirme Ayman Sabie, médecin et spécialiste dans la gestion des hôpitaux. Ghanam poursuit qu’une analyse des besoins de financement avait été effectuée et que le chiffre était convenable: « Nous avons commencé par Port-Saïd qui compte 3 millions d’individus et nous avons calculé les coûts des infrastructures, le nombre de lits, de personnel, médecins et infirmiers, etc. ».
Selon Magdy Maurice, médecin travaillant auprès d’une multinationale pour les consultations médicales, les preneurs de décision sont toujours au stade de l’expérimentation et de l’essai. Un groupe de travail a été formé des ministères des Télécommunications et de la Santé pour sélectionner une multinationale qui installera un système informatique pour le remboursement des frais d’abonnements et qui percevra un taux avec chaque transaction. « C’est une bonne idée, car dans un premier temps, le système doit être centralisé pour garantir l’exactitude des bases de données », éclaircit Maurice.
Intégérer le privé
L’un des atouts de la loi est l’intégration du secteur privé. « Le secteur privé est un partenaire à part entière dans la provision des services. Celui qui veut intégrer le système doit le faire selon nos règles. Nous sommes en train de contrôler un service débridé », réplique Ghanam. En ce qui concerne les craintes affichées quant à une hausse des prix des services sous le nouveau système d’assurance médicale, Ghanam précise qu’en vertu de la nouvelle loi, c’est le gouvernement qui va déterminer les prix des services sanitaires, aussi bien dans les hôpitaux publics que dans les hôpitaux privés, et que ces prix seront identiques.
Sur ce point, Alaa Ghanam est clair et explique: « Nous avons étudié les modèles internationaux et nous en avons taillé un qui convient au contexte égyptien. Ce système mixte public-privé est un amalgame du système anglais et français. Nous avons emprunté les modes de financement au système français et les trois niveaux de soins médicaux à l’anglais, primaire, secondaire et tertiaire ».
La réforme de l’assurance médicale devra être finalisée en 2032. Les décideurs publics ont amplement le temps de rectifier les politiques publiques en cas d’erreur.
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